La controverse du numérique en éducation

La controverse du numérique en éducation

L’usage du numérique en éducation est souvent remis en question, voire contesté par les différents acteurs du système éducatif. Plusieurs raisons peuvent conduire à cela, nous en citerons deux. La première raison s’articule autour d’un manque de maîtrise du numérique éducatif pouvant être renforcé par une indisponibilité des outils et équipements nécessaires, malgré une injonction de l’institution éducative à innover. La deuxième raison porte sur les évidentes contradictions des études scientifiques sur le sujet. En effet, il est difficile de se forger une opinion entre les enquêtes mettant en avant les succès du numérique en éducation et celles montrant des échecs parfois flagrants. A titre d’exemple et pour donner du grain à moudre aux techno-sceptiques, nous citons l’enquête Profetic 2014 du Ministère de l’Éducation Nationale (MÉN, 2014, p. 16), avec moins de 49 % d’enseignants du second degré convaincus des bénéfices du numérique éducatif, ou encore l’enquête de l’OCDE « Connectés pour apprendre » (OCDE, 2015, p. 3) révélant en avant-propos « l’immense décalage entre la réalité de notre école et les promesses des nouvelles technologies ». Plus fort encore, elle conclut que « lorsque les nouvelles technologies sont utilisées en classe, leur incidence sur la performance des élèves est mitigée, dans le meilleur des cas ». Et pour couronner le tout « les élèves utilisant très souvent les ordinateurs à l’école obtiennent des résultats bien inférieurs dans la plupart des domaines d’apprentissage, même après contrôle de leurs caractéristiques socio‑démographiques » (OCDE, 2015, p. 3). Ces constats, dressés par une source reconnue fiable, ont de quoi conforter le non-usage des technologies en éducation, ou décourager une pratique naissante. A l’opposé, dans le camp des techno-optimistes, nous constatons l’évolution des résultats de l’enquête Profetic en 2016, ou cette fois-ci l’infographie de synthèse précise que « trois enseignants sur quatre pensent que le numérique fait progresser l’élève dans ses apprentissages ». De plus, 56 % des enseignants sont convaincus des bénéfices du numérique éducatif (MÉN, 2016, p. 36). Cette progression, de 7 points en deux ans (par rapport à Profetic 2014), indiquerait-elle une évolution des mentalités et conceptions du métier d’enseignant à l’ère du numérique ? La question mérite d’être posée. De même, les récents travaux de Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication, montrent que les technologies ont un réel impact sur l’apprentissage et la motivation, encore faut-il développer « l’art d’enseigner avec les technologies » (Karsenti, 2016). Les exemples ne manquent pas, et cette partie introductive n’a pas pour vocation de dresser une revue de littérature sur ce sujet ou de cartographier la controverse du numérique en  éducation, mais nous y reviendrons19 . Comment pourrions-nous expliquer cette disparité d’avis des scientifiques sur le numérique en éducation ? Le défaut serait-il plutôt du côté de l’analyse scientifique (protocoles peu robustes par exemple) ou de la proposition pédagogique analysée (dispositifs pédagogiques inadaptés aux technologies) ? Il est évident que certaines enquêtes sur le sujet, basées sur un protocole manquant de robustesse (faible échantillon, reproduction impossible de la méthodologie, biais importants, interprétation en terme quantitatif et non en terme d’usages…), semblent conclure de manière hâtive à propos des plus-values ou moins-values éventuellement constatées du numérique en éducation. Cela pourrait être le cas de l’enquête de l’OCDE 2015 évoquée plus haut, pour laquelle le classement « au point près » des pays est sujet à la marge d’erreur. De plus, les éventuelles plus-values de l’usage des Tice ne sont ni réductibles, ni corrélées au nombre d’heures passées devant un écran en classe, mais dépendent plutôt de la qualité du dispositif pédagogique incluant le numérique. Par exemple, les activités de création, d’interaction et de jeux, avec ou sans numérique, sont reconnues mobiliser au mieux les trois moteurs de l’apprentissage (l’interaction, la découverte de l’environnement et le jeu), moteurs par lesquels apprendre se fait plus facilement (Tricot, 2016, p. 4). Dès lors, aux défauts du côté scientifique de la controverse, nous pourrions opposer tout dispositif pédagogique qui, s’il n’est pas compatible avec une « amplification » par la technologie (nous y reviendrons au chapitre I.7, ainsi que V.1 p. 359), ne permettra pas d’en tirer des conclusions signifiantes. Que conclure par exemple, de l’usage d’un Tableau Blanc Interactif (TBI) pour projeter des documents de type Powerpoint ? Quelle est la plus-value du TBI par rapport à un simple vidéoprojecteur dix fois moins cher ? De même, quelle en serait la plus-value pédagogique si l’enseignant l’utilise pour écrire comme sur un tableau classique à feutres ? Tout comme un laboratoire de langues où tous les élèves écoutent la même chose (pas d’individualisation) ne serait guère plus efficace qu’un simple magnétophone, tout dispositif pédagogique n’est pas forcément plus efficace s’il intègre une dimension technologique forte. A cela, les propos de Cédric Fluckiger ajoutent qu’il n’y a « aucune attestation empirique pas plus que de nécessité logique à ce que l’innovation technologique entraine une innovation pédagogique » (Fluckiger, 2018). La technologie n’aurait donc pas le pouvoir transcendantal, ni même intrinsèque qu’on lui confère parfois, de transformer le monde (ou la pédagogie ici). Pour autant, bien utilisée, la technologie permettrait de faire mieux, d’aller plus loin, voire d’innover, donc de faire autrement, car « il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises technologies mais de plus ou moins bonnes pédagogies utilisant les technologies » (Lameul, 2008, p. 80). La technologie possède donc un pouvoir de transformation, nous dirons plutôt d’ « amplification », d’un dispositif pédagogique et « cela nous incite à penser que nous devons revoir sous un jour nouveau, les propos un peu trop “anti-déterminisme technologique” en éducation, parfois utilisés comme rempart à une diffusion des technologies dans le système éducatif » (Céci, 2018b). Nous apporterons, ainsi, une modeste contribution au débat autour du déterminisme technologique en éducation, en illustrant les conditions positives d’influence de la technologie sur la pédagogie. Nous utiliserons pour cela une allégorie technologique, caractérisée en modèle d’intégration des technologies éducatives, métaphore d’un amplificateur audio (voir § V.2 , p. 373). 

Le Numérique éducatif, un « train en marche » ?

L’École de la république, ou École de l’égalité des chances est régulièrement décrite comme une École creusant les inégalités sociales , et en crise car soumise à une massification difficile à assurer. La pédagogie dite numérique, c’est-à-dire instrumentée et amplifiée par les technologies numériques (voir chapitre I.7), est souvent convoquée pour résoudre « tous » les problèmes de l’École, ainsi que pour faire entrer les élèves dans l’ère numérique et acquérir les compétences du XXIe siècle . Pour ses détracteurs, le Numérique éducatif est classé au rang d’utopie numérique multipliant des promesses qu’il ne peut tenir, dans un système scolaire réfractaire aux changements. Doit-on céder aux chants des sirènes des géants de la Silicon Valley, ceux-là même dont les enfants sont scolarisés dans des écoles sans écrans ? L’individualisation permise par le Numérique dans une école « massive » et « mécanisée » est–elle possible ? Quid des enseignants que l’institution et la société placent dans l’injonction permanente à innover et à exceller dans le champ des sciences humaines, là même où la performance est si difficilement mesurable ? Mais de l’autre côté du spectre, des milliers d’enseignants se structurent en réseaux d’innovateurs, se rencontrent pour partager leurs pratiques et dispositifs pédagogiques appuyés sur le Numérique, sont récompensés voire même décorés pour leur innovation. Nous devons donc prendre du recul et envisager les divers aspects de la problématique, pour construire des connaissances objectives, autant que faire se peut, et déconstruire des présupposés et mythes, comme celui autour des enfants des géants de la Silicon valley : ces derniers seraient scolarisés dans des écoles sans écrans, comme nous l’évoquions plus haut. En réalité, il s’agit d’écoles privées Waldorf très qualitatives, en grand nombre en Californie, basées sur la pédagogie Steiner (du philosophe Rudolf Steiner). Tout comme dans les écoles dites Montessori, les formes pédagogiques sont actives (voir § I.7), basées sur la pratique et la découverte, et utilisent un matériel didactique très diversifié. L’introduction des écrans peut donc être retardée. A défaut de moyens conséquents pour l’achat de ces matériels pédagogiques, un simple écran peut se substituer à un grand ensemble de ceux-ci, rationalisant l’espace et les moyens. Pour voir si « le train du Numérique éducatif est en marche33 », prenons comme illustration et point d’ancrage de départ, la politique du précédent Président de la République, François Hollande. Le 7 mai 2015, ce dernier lança le « Plan numérique pour l’éducation », avec un budget annoncé de 1 milliard d’euros sur trois ans, « …pour que la jeunesse soit de plain-pied dans le monde numérique. 1256 écoles et 1510 collèges au moins seront équipés en tablettes à la rentrée 2016. C’est près d’un quart des collèges qui rejoignent donc le plan numérique. Plus de 175 000 élèves seront dotés de tablettes numériques, cofinancées par l’État et par les collectivités territoriales » 34 . Après cette introduction, l’article mentionne que le milliard d’euros permettra de « former des enseignants et personnels, développer de ressources pédagogiques accessibles, financer des ordinateurs ou des tablettes. L’objectif est que chaque collégien puisse avoir lui-même les outils numériques à sa disposition partout sur le territoire. Pour chaque euro investi par un département dans l’équipement informatique, l’État mettra un euro. ». 

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