La contribution des TIC à la croissance et aux gains de productivité
Les relations entre utilisation des TIC et performances économiques ont fait l’objet de nombreuses études réalisées par des instituts de recherches nationaux ou internationaux comme l’OCDE. Ces études portent essentiellement sur deux types de relations et nous en présentons les principales conclusions. Le premier type d’études examine les relations entre investissements réalisés en TIC et croissance du PIB et le second type est centré sur les relations entre croissance des investissements en TIC et accélération de la productivité. Cette partie présente les principaux résultats de ces études et souligne la sensibilité de certains de ces résultats aux méthodologies utilisées.
Investissements en TIC et croissance
Dans la plupart des travaux publiés récemment, l’accélération de la croissance de la production et de la productivité aux États-Unis puis dans d’autres pays développés à la fin des années 90 est en grande partie expliquée par la diffusion croissante des TIC. Ces études ont soit été réalisées aux États-Unis (Whelan 2000, Oliner et Sichel 2000, Jorgenson et Stiroh 2000), soit résultent de comparaisons internationales pour les pays de l’OCDE (Schreyer 2000, Colecchia et Schreyer 2001), soit enfin concernent les pays européens (Daveri 2000, Baudchon et Brossard 2001, Baudchon 2002, Cette et alii, 2002).
Les investissements réalisés dans l’intégration des technologies numériques au sein des appareils productifs ont été faits à des rythmes différents selon les pays. Ainsi, la figure 1 montre que la croissance des investissements réalisés dans les TIC, entre 1980 et 2000, a été beaucoup forte aux États-Unis que dans les autres pays développés. Aux États-Unis cette part a doublé sur la période pour atteindre environ 30% en 2000 contre 15% dans les autres pays développés.
Source : d’après Colecchia A. et Schreyer P. (2001)
Ce graphique montre également que l’écart dans les rythmes de croissance des investissements dans les TIC s’est notablement creusé au cours de la période 1980-1995 et qu’à partir de cette date, les taux de croissance de certains pays européens sont équivalent à ceux des États-Unis. La figure 2 confirme cette tendance en décomposant, sur la période 1995-2000, les taux de croissance entre les principaux types d’investissement en TIC. Les taux de croissance dans les investissements en équipements informatiques sont notablement plus importants que pour les équipements de télécommunication et les logiciels[1]. Cependant, ces résultats doivent tenir compte de l’accélération de la croissance aux Etats-Unis (de 2,3% par an en moyenne entre 1990 et 1995 à 4,7% par an en moyenne entre 1996 et 1999). Ce contexte de forte croissance relativise les résultats concernant les investissements car la croissance induit une hausse des investissements dans l’ensemble des secteurs de l’économie.
Source : d’après Colecchia et Schreyer (2001)
De nombreuses analyses menées aux États-Unis à la fin de la dernière décennie cherchent à mesurer la contribution des investissements en matériels TIC à la croissance. Ces analyses confirment l’existence d’une telle contribution et montrent son accélération dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix (figure 3).
Figure 3 : La contribution du matériel informatique à la croissance annuelle de la production ou à la croissance du PNB aux États-Unis (en % de point de croissance)
Années | Contribution annuelle | Années | Contribution annuelle | |
Jorgenson et Stiroh
(2000) |
1991-95 | 0.19% | 1996-99
1996-98 |
0.49%
0.46% |
Macroeconomic advisers
(1999) |
1994-95 | 0.20-0.30% | 1996-99
1996-98 |
0.50-0.70%
0.50-0.60% |
Oliner et Sichel
(2000) |
1991-95 | 0.25% | 1996-99
1996-98 |
0.63%
0.59% |
Whelan (2000) | 1990-95 | 0.33% | 1996-98 | 0.82% |
Source : Landerfeld et Fraumeni (2001)
Les comparaisons internationales mettent en évidence le caractère exceptionnel de la situation américaine (figure 4). Elles montrent que l’impact des TIC sur la croissance est plus élevé aux États-Unis que dans les autres pays sur la période 1980-95 et que l’écart se creuse fortement dans les années 1995-2000[2].Les investissements réalisés dans les TIC ont incontestablement été, notamment dans les années 1995-2000, plus important aux États-Unis que dans les autres pays développés. Cependant, la croissance économique plus forte conduit à supposer qu’il pourrait aussi exister un lien de causalité entre investissement dans les TIC et accélération de la croissance. Ainsi, afin de conforter l’existence de la nouvelle économie, il est nécessaire de préciser cette relation causale en examinant les liens entre investissements en TIC et augmentation de la productivité.
Accélération des investissements TIC et gains de productivité
L’existence d’une relation forte entre utilisation des TIC et gains (et accélération des gains) de productivité est centrale dans l’hypothèse de l’existence d’une « nouvelle économie». Pour que cette hypothèse soit confirmée, il est important de montrer que ces gains de productivité ne concernent pas seulement les secteurs de production des TIC mais aussi, et surtout, les secteurs utilisateurs de ces technologies. La plupart des études analysent la contribution des TIC à la productivité en mobilisant la notion de Productivité Globale des Facteurs (PGF)[3].
Les études économétriques présentées dans la figure 5, en montrant que l’augmentation de la PGF constatée aux États-Unis pendant la seconde moitié des années 90 est, pour une part importante, imputable à l’utilisation des TIC confirment l’hypothèse de l’existence de la nouvelle économie. Ainsi, l’augmentation rapide du capital TIC a dynamisé la productivité du travail et a pu compenser la réduction de l’apport provenant des autres capitaux. Par ailleurs, les résultats présentés montrent que la productivité des autres secteurs s’est aussi accrue. Il faut toutefois relativiser ces résultats qui ne tiennent pas compte de l’accélération de la croissance qui influence la productivité [4]. La figure 6 montre, en distinguant les entreprises en deux catégories en fonction de leur utilisation massive ou non de TIC, que les entreprises utilisant massivement des TIC sont celles pour lesquelles la croissance de la productivité a été la plus forte.
Figure 5 :L’évolution de la PGF aux États-Unis et la contribution des TIC
Jorgenson et Stiroh (2000) | Oliner et Sichel (2000) | Council of economic Advisers (2000) | |
Définition du secteur TIC | Matériels informatique et de communication, logiciels | Ordinateurs et semi conducteurs | ordinateurs |
Taux de croissance annuel moyen de la PGF et période | 0.99
1995-1998 |
1.25
1996-1999 |
0.93
1995-1999 |
Contribution du secteur TIC | 0.44 | 0.47 | 0.39 |
Contribution des autres secteurs | 0.55 | 0.78 | 0.65 |
Source :d’après Baudchon et Brossard (2001)
Figure 6 : Croissance de la productivité du travail aux Etats-Unis (PIB par équivalent temps complet et en moyenne annuelle de la variation en %)
1989-1995 | 1995-2000 | Différence | |
Groupe des industries « grandes consommatrices » de TIC | 2,43 | 4,15 | 1,72 |
Groupe des industries « faibles consommatrices » de TIC | -0,10 | 1,05 | 1,15 |
Source : Baily (2003)
L’examen de la figure 5 indique aussi que les résultats des études présentent de nombreuses différences, différences qui résultent des choix méthodologiques retenus par les auteurs (Baily, 2003). Par ailleurs, Baily souligne que le fait que l’augmentation des investissements en TIC et de la productivité ait eu lieu de façon simultanée ne suffit pas à établir entre eux un lien de causalité. Il est possible de trouver une explication alternative selon laquelle les gains de productivité et la croissance ont suscité les investissement en TIC.
Enfin, beaucoup d’auteurs précisent qu’il est difficile de savoir si cette hausse de la PGF est due directement aux TIC (les TIC accélèrent la réalisation de nombreuses taches) ou plus indirectement, aux réorganisations des taches engendrées par la diffusion des TIC. Ces contributions « organisationnelles » des TIC à l’augmentation de la productivité sont beaucoup plus difficiles à mettre en évidence. Ainsi Greenan et Mairesse (2000) montrent que la diffusion des TIC n’entraînent d’effets favorables que si elles s’accompagnent d’une augmentation de la qualification de la main d’œuvre. D’autres travaux (Cette et alii 2002) montrent que la mise en œuvre des TIC s’accompagne souvent de réorganisations importantes dans les entreprises et que ce sont surtout ces réorganisations qui permettent des gains de productivité.
Cette et alii (2002) examinent la relation entre investissements en TIC, croissance du PIB et de la productivité en démontrant que l’analyse de cette relation suppose de prendre en compte deux types d’effets relativement spécifiques aux TIC. D’une part, les effets de substitution associés à l’accumulation de capital en TIC[5] et liés à l’amélioration continue et rapide des performances des matériels TIC. Les indices de prix des matériels prennent en compte ces améliorations en utilisant des indices de prix ajustés à la qualité. Et, d’autre part, les gains de PGF liés notamment aux progrès réalisés dans les secteurs producteurs de TIC et traduisant les améliorations de performances.
Les auteurs montrent que le partage du rôle attribué aux deux types d’effets dépend des méthodes comptables retenues pour réaliser le partage volume-prix dans les séries d’investissements en valeur. Les auteurs envisagent deux cas polaires :
– L’approche au coût des facteurs dans laquelle le volume d’un produit d’investissement suit l’évolution des facteurs nécessaires à sa production quelle que soit l’évolution de ses performances productives. C’est alors la productivité du capital qui augmente.
– L’approche aux services producteurs dans laquelle le volume du produit d’investissement évolue selon les modifications de ses performances quelle que soit l’évolution des quantités de facteurs nécessaires à sa production. Dans ce cas les gains de productivité seront nuls et les gains en performance se traduiront par une baisse de prix.
Les méthodes comptables retenues par les instituts statistiques nationaux pour opérer le partage volume-prix des dépenses d’investissements relèvent de ces deux logiques et différent selon les pays. En France et aux États-Unis elles se rapprochent de la logique « aux services producteurs » pour les matériels informatiques et uniquement aux États-Unis pour certains logiciels.
Ainsi, en dépit des problèmes méthodologiques évoqués, il apparaît désormais probable que la forte croissance enregistrée aux États-Unis à la fin de la dernière décennie a été notablement impulsée par la diffusion massive des TIC dans ce pays. Toutefois, comme nous le verrons dans les points suivant, des avancées méthodologiques réalisées aux États-Unis concernant la mesure des TIC et de leurs effets sur l’économie peuvent expliquer une partie des performances constatées et aussi sans doute une partie du décalage entre les États-Unis et les pays occidentaux.
[1] Les principaux écarts se situent dans les logiciels. Nous verrons plus loin que ces différences peuvent en partie s’expliquer par des méthodes différentes de comptabilisation.
[2] Toutefois, et comme le note Baudchon (2002), l’exception américaine doit être relativisée, dans le cas de certains pays européens, comme l’Irlande, la Finlande et les Pays-Bas, pour lesquels la contribution des TIC à la croissance, mais aussi à d’autres indicateurs comme les échanges extérieurs, est particulièrement significative.
[3] La PGF (Productivité Générale des Facteurs) prend en compte l’efficacité dans l’utilisation des facteurs de production et non pas uniquement l’augmentation de l’intensité capitalistique. Une bonne mesure de cette PGF est essentielle dans le débat sur la nouvelle économie car c’est l’accélération de la PGF qui permet une croissance durable de la productivité (Jacquet 2001).
[4] Les travaux de Gordon (1999, 2000) relativisent la relation entre investissement en TIC et gains de productivité en montrant que les gains de productivité sont essentiellement concentrés dans le secteur de production des TIC et ne se diffusent pas dans l’ensemble du système productif. Ainsi, compte tenu du poids relativement plus important de l’industrie des TIC aux États-Unis, les gains de productivité y sont naturellement plus élevés que dans les autres pays. (voir Daveri (2000) et Baudchon et Brossard (2001)).
[5] Ces effets résultent de la diffusion des TIC par substitution du capital TIC principalement aux autres formes de capital dans les secteurs utilisateurs de TIC (voir Cette, Mairesse et Kocoglu, 2002)