L’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2014) définit l’adolescence comme une période critique de croissance et de transition qui survient durant le développement humain entre les âges de 10 et 19 ans. Certains critères permettent de définir, de façon plus précise, le début et la fin de l’adolescence. Ceux-ci englobent cinq dimensions, soient biologiques, cognitives, émotionnelles, juridiques et sexuelles (Cannard, 2010). Cette période développementale constitue une phase intermédiaire où l’individu n’est plus sous la protection et la dépendance parentale de l’enfance, mais sans avoir acquis l’autonomie plus complète de l’adulte. Elle permet à l’adolescent d’explorer divers aspects de l’existence qui le prépare à une vie adulte dans le contexte précis de son milieu social et culturel en empruntant différents rôles sociaux. Cette période est donc essentielle à l’autodéfinition de soi puisque parmi les principaux défis développementaux de l’adolescent l’un concerne la quête d’identité (Cloutier & Drapeau, 2015). De plus, plusieurs transformations concernant les aspects biologique, psychologique et social du développement se manifestent chez ce dernier. Plus précisément, les transformations physiologiques s’échelonnent sur une période d’environ quatre ans. Durant la puberté, les modifications corporelles se manifestent sur le plan de la morphologie, du fonctionnement, ainsi qu’au niveau de l’apparence. La puberté engendre de plus des répercussions sur le fonctionnement psychologique, social et sexuel. L’émergence de divers problèmes psychosociaux et comportementaux peut parfois survenir. Il peut s’agir de conduites sexuelles à risque, d’actes délinquants, d’abus d’alcool ou de drogues, etc. (Cloutier & Drapeau, 2015). Habituellement, ces nouveaux comportements sont transitoires et ne se chronicisent pas. À l’âge adulte, la plupart de ceux-ci s’atténueront ou disparaitront (Michel, Purper-Ouakil, & Mouren-Simeoni, 2006). Selon Cannard (2010) et Harden et al. (2017), plusieurs facteurs pousseraient l’adolescent à adopter des comportements associés à une plus importante prise de risque. Cela peut être en lien avec le désir de démontrer son indépendance, d’explorer ses propres limites, d’expérimenter de nouvelles sensations, d’être valorisé par les pairs, etc. De ce fait, il arrive qu’un adolescent adopte une trajectoire de consommation de substances psychotropes menant à un comportement à risque qui induit d’intenses sensations nouvelles qui peuvent satisfaire le besoin fondamental d’exploration engendré à la période de l’adolescence (Michel et al., 2006).
Les substances psychotropes : une brève définition et description générale de l’abus
Une substance psychotrope se caractérise par la capacité de modifier le fonctionnement physiologique du système nerveux central et par extension le fonctionnement psychologique (Jung, 2010). Selon Ben Hamar et Léonard (2002), les substances psychotropes sont subdivisées en trois catégories: les dépresseurs du système nerveux central (alcool, opiacés, substances volatiles, etc.), les stimulants du système nerveux central (cocaïne, amphétamines, etc.) et les perturbateurs du système nerveux central (hallucinogènes, cannabis, etc.). L’adolescent peut, motivé ou influencé par la recherche de sensations nouvelles, la pression des pairs, un mal-être personnel, ou une faible sensibilité au risque encouru, décider de faire une première utilisation d’une substance, et à la suite de cette première utilisation, rechercher plus ou moins activement le renouvellement de la modification physiologique induite et sa conséquence psychologique, en fonction de paramètres à la fois génétiques, physiologiques et psychosociaux. Il s’agit de la période de renforcement positif (Stahl & Grady, 2012). Ce désir de renouveler l’épisode d’intoxication favorise, selon sa fréquence, le développement d’une tolérance et d’une dépendance à la substance qui peut être à la fois physiologique et psychologique (Ben Hamar & Léonard, 2002). Certaines substances psychotropes ont un risque élevé d’utilisation abusive puisqu’elles ont des propriétés psychopharmacologiques qui favorisent cet effet. L’abus d’une substance psychotrope, qui fait référence à l’usage excessif ou inapproprié de celle-ci, peut entrainer des problèmes de santé physique et psychologique chez le consommateur, ainsi que certains problèmes d’ordre social (Ben Hamar & Léonard, 2002; Brochu, Beauregard, & Ally, 2009; Stahl & Grady, 2012). Malgré la présence de conséquences négatives à la consommation de la substance, aucune modification de la consommation de celle-ci ne sera observée. Néanmoins, la consommation de substances psychotropes n’est pas systématiquement en lien avec des comportements d’abus ou de dépendance. Par exemple, selon le site du gouvernement du Canada (2018a), une personne qui aura débuté la consommation de cannabis à l’adolescence aura une chance sur six d’en être dépendant une fois adulte.
Une enquête a démontré que les jeunes Canadiens âgés de 15 à 24 ans sont les plus grands consommateurs de cannabis, s’ils sont comparés aux autres jeunes de pays développés (Centre de recherche de l’UNICEF, 2013). L’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (Gouvernement du Canada, 2018b) démontre que l’âge médian correspondant au début de la consommation de cannabis, autant chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes, est de 17 ans. Cela indique que la moitié d’entre eux auraient commencé à consommer du cannabis avant l’âge de 17 ans et l’autre moitié, après. Toujours selon l’enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (Gouvernement du Canada, 2018b), la prévalence de la consommation de cannabis chez les individus âgés de 15 à 19 ans était de 21 %, ce qui en fait le deuxième groupe le plus élevé après les 20 à 24 ans (30 %).
Le cannabis et ses effets : une brève description et potentiel d’induction de dépendance
Le chanvre indien ou « cannabis sativa » est la plante qui permet la synthèse et l’extraction de plusieurs alcaloïdes ou « cannabinoïdes » (Elsohly & Gul, 2014; Shapiro & Buckley-Hunter, 2010). Parmi ces alcaloïdes, le delta-9 tétrahydrocannabinol ou THC, très lipophile, représente la principale substance psychotrope active et a été identifié pour la première fois par Gaoni et Mechoulam (1964). L’intensité de l’effet ressenti à la suite de la consommation et de l’intoxication au cannabis de même que la durée de l’effet dépend de la teneur en THC de la plante utilisée, de la quantité consommée, du mode de consommation employé, de la demi-vie d’élimination, ainsi que du contexte social et émotionnel dans lequel l’individu se retrouve (Shapiro & Buckley-Hunter, 2010). L’absorption de THC, selon la dose absorbée, provoque divers effets qui se font ressentir aux plans cognitif, perceptif, émotif et psychomoteur. Par exemple, le cannabis peut induire des perturbations de la mémoire, de l’attention de même que de la perception spatiale, ainsi qu’un affaiblissement des capacités d’apprentissage et un temps de réaction plus long. D’autres effets peuvent être ressentis sur le plan émotionnel. Ceux-ci peuvent s’avérer positivement perçus, comme une euphorie, une réduction d’affects négatifs, un sentiment de bien-être, de détente, de sociabilité accrue, etc. À l’inverse, les effets peuvent aussi provoquer des réactions négatives comme de l’impulsivité, ou au contraire de l’inhibition, de la confusion, de l’irritabilité, de l’agressivité, de l’anxiété, une attitude paranoïde et d’une absence de motivation (John’s, 2001; Richard, 2009). Des études ont démontré qu’un pourcentage élevé d’individus exposés au cannabis développeront des troubles liés à cette substance au cours de leur vie (47,4 % des hommes et 32,5 % des femmes). Toutefois, une minorité développera une dépendance (7 % des hommes et 5,3 % des femmes) (Lev-Ran, Le Strat, Imtiaz, Rehm, & Le Foll, 2013). Certains facteurs sont liés au risque élevé de dépendance, notamment un faible statut socioéconomique, une première consommation survenant à l’adolescence, la prise d’autres substances psychotropes et le fait d’avoir consommé du tabac et de l’alcool avant l’usage de cannabis (Chen, O’Brien, & Anthony, 2005).
La consommation de cannabis à l’adolescence
Selon Reynaud-Maurupt (2009), les motivations à l’usage du cannabis peuvent se classer sous quatre rubriques principales, c’est-à-dire 1) relationnelle; 2) de recherche de plaisir; 3) d’adaptation; et 4) d’exaltation et de perturbation. La disposition psychologique de l’adolescent, le contexte de consommation et les effets recherchés sont à l’origine de variations dans les motivations à la consommation de cannabis. La motivation relationnelle permet à l’adolescent de s’intégrer dans un groupe. En imitant les comportements des individus qui composent le groupe, l’adolescent s’assure de la reconnaissance des membres et du partage d’un savoir faire commun. C’est donc l’image véhiculée par l’usage du cannabis qui prédomine pour ce type de consommateur. La motivation de recherche de plaisir implique les effets de détente que le THC procure à l’adolescent qui en consomme (Griffith Lendering et al., 2012; Hathaway, 2003). La motivation adaptative concerne les diverses propriétés pharmacodynamiques du cannabis (antidépressives, anxiolytiques, sédatives, etc.). La consommation est alors en lien avec une réaction à l’égard d’un quelconque trouble psychique (anxiété, phobie, dépression etc.). L’usage du cannabis a alors une fonction pharmacothérapeutique pour l’adolescent et il peut compenser le manque de compétence dans la gestion de l’anxiété éprouvée (Reynaud, 2005). Enfin, la motivation dite d’exaltation et de perturbation a pour but de modifier l’état de conscience et de favoriser la suppression des limites inhibitrices et d’accroitre l’impulsivité. Dans ce cas, l’adolescent privilégie les techniques de consommation qui affectent le plus le cerveau, en maximisant l’absorption de la dose dans un temps minimal et en privilégiant aussi des préparations hautement concentrées en THC (Reynaud-Maurupt, 2009). Cette fonction est souvent en lien avec la consommation d’autres substances psychostimulantes ce qui accroit le risque que l’adolescent développe une dépendance à ceux-ci (Hall, 2015; Reynaud-Maurupt, 2009). Récemment, une nouvelle catégorie s’est ajoutée à la liste de motivations à la consommation de cannabis : l’aspect concernant la rupture de la routine ou la recherche de rupture de l’ennui. En effet, Benschop et al. (2015) proposent que certains adolescents puissent faire usage de cannabis afin de rompre l’ennui.
Selon une enquête québécoise réalisée sur la consommation d’alcool, de drogues, de tabac et la participation aux jeux de hasard et d’argent chez 62 277 élèves du secondaire, 18 % ont consommé du cannabis au moins une fois durant la dernière année. En analysant cette proportion selon le sexe, les données indiquent un pourcentage s’élevant à 19 % pour les garçons et un pourcentage de 17 % pour les filles (Institut de la statistique du Québec, 2016-2017). Cet indice de consommation de cannabis a été obtenu à l’aide de la grille DEP-ADO (Germain et al., 2007). Les données obtenues démontrent un lien entre la consommation de cannabis et l’année d’études de l’adolescent. En effet, une proportion croissante de consommateurs est observée puisqu’en premier secondaire, 3,3 % des élèves ont consommé au moins une fois du cannabis sur une période rétrospective de 12 mois, 8,8 % en deuxième secondaire, 19 % en troisième secondaire, 27,5 % en quatrième secondaire et 36,3% en cinquième secondaire (Institut de la statistique du Québec, 2016- 2017). Il est possible de comparer ces données avec celles obtenues en 2013 : 4,3 % des élèves du premier secondaire ont consommé au moins une fois du cannabis sur une période rétrospective de 12 mois, 13,6 % en deuxième secondaire, 24,9 % en troisième secondaire, 32,2 % en quatrième secondaire et 42,8 % en cinquième secondaire (Institut de la statistique du Québec, 2013). Ces enquêtes permettent de constater qu’une proportion croissante d’adolescents, ont accès et expérimentent l’utilisation du cannabis durant la période couvrant les études secondaires. Cela sous-tend la possibilité d’un accroissement concernant le risque de développement d’une psychopathologie chez l’adolescent, incluant un accroissement de la fréquence et de l’intensité des traits symptomatiques de type psychotique. De ce fait, la possibilité d’un lien existant entre l’augmentation de la consommation de cannabis au moins une fois dans la dernière année en fonction de l’âge et de l’apparition de traits symptomatiques relatifs à ce type de psychopathologie sera, entre autres, vérifiée dans l’étude actuelle. De plus, à partir de ces deux enquêtes, il est possible d’identifier une baisse entre 2013 et 2017 de la fréquence de consommation de cannabis chez les adolescents, aux différents niveaux de la période couvrant les études secondaires.
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