LA CONCEPTION DE L’AU-DELÀ DANS LA RELIGION ÉGYPTIENNE

LA CONCEPTION DE L’AU-DELÀ DANS LA RELIGION ÉGYPTIENNE

La Maât, principe fondateur de l’existence de l’au-delà dans la religion égyptienne 

La notion de Maât en Égypte ancienne

La Maât, traduite le plus souvent par vérité-justice : 15 , occupe une place importante dans l’étude de la civilisation égyptienne. Pour comprendre ainsi la civilisation égyptienne en général et la façon dont les anciens Égyptiens percevaient l’au-delà en particulier, il est nécessaire de commencer par étudier la notion de Maât. C’est elle qui donne une vue de l’intérieur du monde pharaonique et nous apprend aussi la façon dont les anciens Égyptiens eux-mêmes ont vécu et interprété leur vision du monde16. La Maât a permis à la civilisation égyptienne de se maintenir pendant plus de trois millénaires. Le crédo en Égypte pharaonique, est que tous les habitants doivent se conformer aux prescriptions établies par la Maât (y compris le pharaon) pour qu’il y ait de l’harmonie et de la cohésion dans la société. Ainsi donc, le chemin à suivre pour maintenir l’ordre cosmique repose sur la Maât. Celle-ci, attestée dès le début de la création, est intimement liée à la vie. Autrement dit, à tous les niveaux de la création, Maât est le principe complémentaire et indissociable de celui de la vie . Elle est représentée dans l’iconographie égyptienne sous la forme d’une déesse portant une plume d’autruche sur la tête (cf. Planche I). Cette représentation montre en outre le lien étroit que la déesse de la vérité et de la justice entretient avec la vie. Assise à même le sol ou sur la corbeilleneb (signe hiéroglyphique désignant « la totalité »), écrit Bernadette Menu, Maât serre dans ses mains le signe ankh, hiéroglyphe signifiant « vie »18 . Le signe ankh: anḫ (la vie) est toujours accompagné du sceptre ouas, symbole de puissance et de domination attribuée au roi et à certaines entités divines. À côté du sceptre ouas, nous avons d’autres sceptres d’autorité tels que le sḫm, le ḫrp et le ḥḳA. Toutefois, si le ḥḳA semble avoir été l’apanage de pharaon, le sḫm et le ḫrp ont été portés par des personnages de rang inférieur19 . En tant que déesse qui symbolise l’ordre social et la justice, la Maât est aussi une créature divine. Elle est considérée comme fille du dieu Ra. 15 Y. Somet, L’Afrique dans la philosophie. De ce point de vue, dans la titulature officielle, pharaon est présenté comme fils de Rê et frère de Maât20 . Dans d’autres textes égyptiens, la déesse Maât est aussi considérée comme fille du dieu Atoum car elle est assimilée à Tefnout. La formule 80 des Textes des Sarcophages donne à ce propos les précisions suivantes : Dd.in tm sAt.i pw anx.ti tfn(w)t Atoum dit : « C’est ma fille, qu’elle vive, Tefnout ! wnn.s Hna sn.s Sw Et qu’elle soit avec son frère Chou ! anx rn.f mAat rn.s « Vie » est son nom à lui et « Maât » est son nom à elle ! anx.i Hna sAty.i Je vis avec mes deux filles. anx.i Hna tAty.i Je vis avec mes deux oisillons, isk wi m Hry-ib.sny En vérité, je vis au milieu d’eux ! En Égypte ancienne, depuis la mise en place de l’État, l’ordre politique est une réplique de l’ordre divin, c’est-à-dire la Maât qui doit s’imposer dans le fonctionnement des institutions établies. Raison pour laquelle, le pharaon ne saurait être au-dessus des lois et encore moins de la loi, la Maât22. Le roi régnant n’administrait pas donc le pays à sa guise, mais selon les principes d’une vertu, celle de Maât23. Dans l’Égypte pharaonique, le pouvoir royal n’est pas une chose acquise une fois pour toute. Seule Maât, la justice divine, est éternelle et immuable24 . Ainsi les divinités qui incarnaient le bien, le droit, etc., en Égypte ancienne sont étroitement liées à la Maât. 21 Y. Somet, L’Égypte ancienne : un système africain du monde, Thèse de Doctorat d’égyptologie, U.C.A.D., 2016, pp. 117-118. 22 F. K. Camara, « La femme et le pouvoir politique dans la tradition noire africaine: Maât et le matriarcat », op. cit., p. 148. 23 B. Sall, Les racines éthiopiennes de l’Égypte ancienne, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 121. 24 C. Jacq, Pouvoir et sagesse selon l’Égypte ancienne, Paris, Éditions du Rocher, 1981, pp. 30-31. 29 Des divinités comme Osiris, Ptah, le démiurge de Memphis, ou Thot, sont neb Maât, « maîtres, seigneurs (ou « possesseurs ») de Maât25 . Sous ce rapport, le dieu Ptah de Memphis est considéré comme un dieu de la justice au même titre que la déesse Maât. Ces fonctions de justicier de Ptah sont exposées dans Der Berliner Ptah-Hymnus, au chapitre VIII, 1-9 de la manière suivante : , nb mA at tnj n jmAw = f : Le maître de la vérité, sublime dans sa beauté , aA pḥty ḥr jrj st = f wr .t : Le grand par la force, sur son grand siège , m rn = f nb mA at : En sa qualité de seigneur de la vérité26 . Mais en Égypte ancienne, c’est pharaon qui était chargé du maintien de la Maât dans la société. 2/Pharaon, chargé du maintien de la Maât Le maintien de la Maât relève du devoir du pharaon27 (le roi) considéré dès les origines de la royauté égyptienne comme un être divin. C’est lors de son couronnement que le pharaon obtenait ce statut divin. Les égyptologues sont assez partagés sur l’aspect divin du roi vivant. Toutefois, dans les Textes des Pyramides, certaines formulent funéraires précisent les nombreuses identifications et associations divines du roi ; par exemple : « je suis Horus » ou « je suis Sobek28 ». Lors du couronnement, tout pharaon dès l’Ancien Empire porte cinq noms distincts qui constituent ce qu’on appelle aujourd’hui dans le jargon égyptologique la « titulature royale ». Mais, seuls trois des cinq noms sont le plus souvent employés. Il s’agit d’abord le nom d’Horus considéré comme le plus ancien. 25 B. Menu, Maât. L’ordre juste du monde, p. 29. 26 W. Wolf, Der Berliner Ptah-Hymnus (P 3048, II-XII), Chap. VIII, 1-9, pp. 31-32, cité par El. H. M. Dème, La métallurgie en Égypte pharaonique : origines, techniques de réduction et symbolisme du fer, Thèse de Doctorat d’égyptologie, U.C.A.D., 2010, p. 326. 27 Le mot « pharaon » vient de la version grecque de la Bible où il apparaît dans la vulgate sous la forme ‘‘Pharao’’. Attesté dès l’Ancien Empire vers 2400 avant J.-C., le mot désignait à l’origine le palais royal et ceux qui l’habitaient. C’est apparemment sous le règne de Thoutmosis III que l’on commence à employer le nom du palais pr aA, « la Grande Maison » pour qualifier celui qui l’habite. G. Housson et D. Valbelle, L’État et les institutions en Égypte des premiers pharaons aux empereurs romains, Paris, Armand Colin, 1992, p. 18. 28 D. P. Silverman, Au cœur de l’Égypte ancienne, Paris, Larousse-Bordas, 1997, p. 110. 30 Ce nom généralement inscrit dans un encadrement rectangulaire, en égyptien comporte le nom des deux maîtresses nbty, c’est-à-dire les deux déesses protectrices de l’État égyptien : la déesse vautour nxbt, pour la Haute Égypte et la déesse cobra wADt, protectrice de la Basse Égypte ; ensuite vient le nom du couronnement ou nom de roi de Haute et de Basse Égypte nsw-bity et enfin le nom de naissance, encore appelé nom de fils de Rê/fils du soleil sAra29 . En tant que fils du dieu Rê, la première mission de pharaon sur terre est de maintenir l’harmonie universelle telle que la symbolise Maât, déesse de la vérité et de la justice. De ce point de vue, la royauté en Égypte ancienne était un élément essentiel pour le bon fonctionnement non seulement de l’État mais aussi du cosmos tout entier. Pour les anciens Égyptiens, la royauté est une fonction iaout, un office, un ministère. C’est l’exercice de cette fonction jugée bienveillante, manekh qui rend divin, qui qualifie pharaon (ne) fils (ou fille) du démiurge Rê. La fonction sacralisée30. Le pharaon régnant était en effet l’intermédiaire entre le monde des dieux et celui des hommes. C’est ce qui fait de lui justement le garant de l’ordre divin, c’est-à-dire la Maât. En d’autres termes, installé au centre de l’État, le pharaon incarnait un pouvoir divin. Cette position exceptionnelle, qui le plaçait aux côtés des dieux, des hommes et des esprits des morts (akhs), était nécessaire au maintien de la Maât, l’ordre divin31 . De l’Ancien Empire jusqu’au Nouvel Empire, en passant par le Moyen Empire, le pharaon est toujours considéré comme le garant de l’ordre social. De ce fait, sa préoccupation majeure est d’instaurer la Maât et de repousser Isfet, (l’opposé de la Maât). C’est dire que dans ses fonctions politique et religieuse, pharaon qui est aussi le fils de Rê, est à la fois celui qui apporte Maât : ini maât, et repousser Isfet , dr isft 32. Le pharaon doit cette double fonction au dieu soleil Rê, son père. Celui-ci a installé le roi sur la terre des vivants à jamais et en toute éternité de sorte qu’il juge les hommes et satisfasse les dieux, qu’il réalise Maât et anéantisse Isfet33 . Sous ce rapport, dans les textes égyptiens, le pharaon dit : 29 Y. Somet, Initiation à la langue égyptienne pharaonique, Paris, Khépéra/Presses Universitaires de Dakar, 2007, p. 93. 30 G. NGom, « Le nom en Égypte ancienne », in Ankh : Revue d’égyptologie et des civilisations africaines, n°18/19/20, Paris, Khépéra, 2009/2010/2011, p. 76. 31 D. P. Silverman, Au cœur de l’Égypte ancienne, 1997, p. 108. 32 Y. Somet, L’Égypte ancienne : un système africain du monde, 2016, p. 128. 33 B. Menu, Maât. L’ordre juste du monde, 2005, p. 23. 31 , iw ṯs .n .i maAt r ḳAw n pt J’ai élevé Maât jusqu’à la hauteur du ciel ; , spẖr .n .i nfrw .s r wsḫ n tA Et j’ai fait que sa beauté rayonne largement sur terre (jusqu’à l’étendue de la terre) 34 . La Maât que le pharaon doit instaurer, renvoie à tout ce qui est bien, bon, ordre, contrairement à Isfet défini comme tout ce qui est mauvais, y compris l’injustice et le mensonge. De façon plus large, Isfet c’est l’injustice, le mensonge, le désordre, la guerre, la violence, la rébellion, l’inimitié, le vol, la peine, la maladie, le manque, la mort. Ce sont toutes les manifestations de l’imperfection qui s’est installée dans le monde et dont le monde a besoin d’être sauvé35. Donc, si Maât est l’ordre, source de vie dont les hommes ont besoin pour exister et dont les forces surnaturelles se nourrissent afin de perpétuer leur action, l’Isfet est son antonyme36 . Le pharaon est donc celui qui fait régner le bien, la vérité, la justice et repousser le mal. C’est la raison pour laquelle, la Maât était inséparable du pouvoir politique dans l’Égypte ancienne. Avec la formation de l’État, l’idée de la Maât s’est aussi constituée37 permettant ainsi au pharaon régnant de garantir l’intégrité du territoire et l’unité d’un pays géographiquement double38. Le pharaon est donc celui qui établit la Maât à travers les deux terres (la Haute et la Basse Égypte) : , smn (w) mAa.t ḫt TA. Wy39 . Il doit prouver chaque jour qu’il est capable d’entretenir les forces divines sur terre et assurer quotidiennement à son peuple les bienfaits des dieux. Véritable pont entre le Ciel et la Terre, pharaon est responsable devant son peuple et devant les dieux de la bonne marche de la création sur terre40. Le premier pharaon à gouverner l’Égypte nouvellement unifiée fut Narmer/Ménès appelé en égyptien ancien, mny. 34 Y. Somet, Cours d’initiation à la langue égyptienne pharaonique, Khépéra/Presses Universitaires de Dakar, 2007, p. 156. 35 J. Assmann, Maât, l’Égypte pharaonique et l’idée de justice sociale, 1999, p. 133. 36 B. Menu, Maât. L’ordre juste du monde, 2005, pp. 9-10. 37J. Assmann, Maât, l’Égypte pharaonique et l’idée de justice sociale, p. 34. 38 B. Menu, Maât. L’ordre juste du monde, p. 18. 39 M. Dessoudeix, Chronique de l’Égypte ancienne : les pharaons, leur règne, leurs contemporains, Actes Sud, 2008, p. 326. 40 F. Schwarz, Initiation aux livres des morts des anciens Égyptiens, Paris, Albin Michel, 1988, p. 210. 32 Son nom (Ménès) est employé par les historiens pour désigner commodément le roi qui fédéra les royaumes de Haute et de Basse Égypte vers 3200 av. J.-C.41. Narmer est aussi connu en tant que premier roi à établir des lois pour toute l’Égypte, si l’on en croit Diodore de Sicile42 . Les documents datant de son règne sont révélateurs sur le processus d’unification du pays et surtout sa fonction de maintien de l’ordre dans les deux parties de l’Égypte (la Haute et la Basse Égypte). Ces documents iconographiques sont représentés dans la ‘‘palette de Narmer’’. Celleci est écrite au recto et au verso (cf. Planche II). Toutefois, c’est par l’intermédiaire des dieux, en particulier le dieu Thot ( , ḏḥwty) que pharaon reçoit les lois qui lui permettent de maintenir le pays et de faire appliquer la Maât. 3/Thot, dieu détenteur de la Maât Dans le panthéon égyptien, le dieu Thot est en effet présenté comme le conservateur du droit durant toute l’histoire pharaonique (cf. Planche III). Aujourd’hui, de nombreux indices archéologiques trouvés à Hermopolis, attestent à juste titre que le dieu Thot était réellement un conservateur du droit dans l’ancienne Égypte. C’est ce rôle important qui fait de Thot le dieu qui a donné la loi (la Maât) au roi. Selon l’historien grec, Diodore de Sicile, Narmer/Ménès, le fondateur du régime pharaonique prétendit que ses lois lui avaient été données par Hermès Trismégiste (nom grec du dieu Thot) avec l’assurance qu’elles seraient cause d’un grand bénéfice43. De ce point de vue, le roi ou pharaon doit continuer la mission de dieu sur terre; c’est-à-dire le maintien de l’ordre cosmique. Ce n’est pas aussi un hasard que lors de la psychostasie, c’est-à-dire la pesée des actions sur une balance où l’un des plateaux contient la plume de Maât et l’autre le cœur du défunt, c’est le dieu Thot qui est chargé d’enregistrer les actions bonnes ou mauvaises du défunt en fonction de la Maât. Ainsi, ce dieu reste une figure emblématique du tribunal d’Osiris. Il faut aussi ajouter en dehors des lois, il enseigna aux Égyptiens l’art de l’écriture. À ce propos, Grégoire Kolpaktchy écrit : « Parallèlement à ces révélations, le Trismégiste enseigna aux Égyptiens l’art de l’écriture. Il se rendait compte que l’humanité continuait sa descente involutive ; la réalité ésotérique s’estompait au loin ; de plus en plus le monde devenait figé, saisi par la mort, telle une momie. La prodigieuse mémoire des anciens hommes s’éteignait ; d’où la nécessité de l’écriture44 ».

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Table des matières

 INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIERE PARTIE : LES PRINCIPES FONDATEURS DE L’EXISTENCE DE L’AU-DELÀ DANS LA RELIGION ÉGYPTIENNE ET DANS LES RELIGIONS
RÉVÉLÉES ET NÉGRO-AFRICAINES
Introduction
Chapitre I : La Maât, principe fondateur de l’existence de l’au-delà dans la religion égyptienne
Chapitre II : La Torah, la Chari’a et les Coutumes, principes fondateurs de l’existence de l’au-delà dans les religions révélées et négro-africaines
Conclusion de la première partie
DEUXIEME PARTIE : LA CONCEPTION DE LA MORT ET DES RITES FUNÉRAIRES DANS LA RELIGION ÉGYPTIENNE, LES RELIGIONS RÉVÉLÉES
ET NÉGRO-AFRICAINES
Introduction
Chapitre I : La conception de la mort dans la religion égyptienne, les religions révélées et négro-africaines
Chapitre II : Les rites funéraires dans la religion égyptienne, les religions révélées et négro-africaines
Conclusion de la deuxième partie
TROISIEME PARTIE : LA VIE DANS L’AU-DELÀ
Introduction
Chapitre I : Les phénomènes cosmiques et la résurrection des morts
Chapitre II : Le jugement dernier
Chapitre III : La description du paradis et de l’enfer et le sort de ses habitants
Conclusion de la troisième partie
CONCLUSION GÉNÉRALE

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