La comptabilité patrimoniale des collectivités territoriales

La comptabilité patrimoniale des collectivités territoriales : l’exemple de la ville de Paris

 Les spécificités du suivi comptable du patrimoine parisien

La comptabilité patrimoniale de la ville de Paris est caractérisée, comme le patrimoine qu’elle doit décrire, par une importance exceptionnelle en même temps que par une situation d’une complexité certaine.

Un patrimoine représentant un enjeu exceptionnel

Selon une étude publiée par la ville de Paris en 1996, le patrimoine comprenait notamment : 10 millions de m2 de trottoirs, 1 700 km de voies publiques et privées, 125 km de voies d’eau, 10 450 immeubles, 75 000 logements, auxquels s’ajoutent 63 300 logements gérés par l’OPAC de la ville de Paris et les sociétés d’économie mixte municipales, 3 600 boutiques, 14 200 locaux d’activités, une centaine d’églises, 397 parcs et jardins publics, 2 199 hectares d’espaces verts ouverts au public, 309 écoles maternelles, 330 écoles élémentaires, 108 collèges, 64 bibliothèques et médiathèques, 7 millions de documents, 17 conservatoires, 15 musées municipaux, y compris les œuvres d’art propriétés de la ville, 37 stades, 33 piscines, 125 gymnases, 209 salles de sport, 142 courts de tennis …. Certaines situations sont originales, et non dépourvues d’incidences financières : ainsi, la Sorbonne est la propriété de la ville de Paris et non de l’Etat alors qu’elle abrite des établissements d’enseignement supérieur. L’importance du patrimoine de la ville de Paris s’accompagne parfois, dans un même ensemble immobilier, d’une situation juridique d’autant plus difficile à clarifier qu’elle plonge ses racines dans l’histoire. A titre d’exemple, la clarification complète de la situation patrimoniale de la Cité internationale universitaire de Paris247 implique un accord entre la ville de Paris et l’Etat sur la situation de parcelles en cours d’échange depuis plusieurs décennies. Le patrimoine immobilier privé productif de revenus a fait l’objet de travaux depuis les observations tant de la Cour (rapport public de 1976) que de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France. En particulier, un conseil du patrimoine constitué d’experts indépendants a été créé en 1996 auprès du maire de Paris à la suite d’observations de la chambre régionale des comptes, afin d’évaluer les biens immobiliers appartenant au domaine privé et de préconiser les modalités de gestion les plus pertinentes (cession, remise en gestion à des bailleurs sociaux, gestion directe par la ville pour les immeubles ayant vocation à accueillir des organismes dont l’activité mérite un soutien par cette dernière ou susceptibles d’héberger des services publics). Si les décisions prises sur la base des travaux de ce conseil ont abouti fin 2002 à la diminution d’environ un cinquième du domaine privé, la comptabilisation du patrimoine immobilier privé demeure incomplète. A la clôture de l’exercice 2001, la valeur nette de l’actif immobilisé de la ville de Paris s’établissait à 14,1 milliards d’euros. Les neuf dixièmes des immobilisations étaient corporelles. Au sein des immobilisations corporelles, les constructions représentaient plus des quatre dixièmes du total.

Une organisation budgétaire et comptable complexe

La loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne explique une partie des difficultés de la ville de Paris à connaître précisément son patrimoine. Les immeubles faisant partie du domaine public ou privé des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, leurs meubles ainsi que les droits et obligations se rattachant à ces immeubles ou à ces meubles devaient être transférés, de plein droit, aux nouvelles collectivités sur le territoire desquelles ils sont situés. Deux décrets du 22 décembre 1967 ont encadré les transferts patrimoniaux. Or à ce jour, la ville de Paris ignore largement le bilan de ces transferts et la teneur des écritures comptables qui en ont découlé. Cette situation est en grande partie à l’origine des difficultés de la ville à tenir une comptabilité de son patrimoine. Ces difficultés sont aggravées par le fait que la ville de Paris est à la fois une commune et un département, qui sont deux personnes morales séparées disposant chacune d’un compte distinct. Le compte de la commune comprend de surcroît un compte propre à la préfecture de police, retraçant des opérations de fonctionnement et d’investissement, auquel contribuent la ville de Paris et l’Etat248 ainsi que, notamment pour le fonctionnement de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, les départements et communes des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le budget spécial de la préfecture de police présente la particularité d’avoir pour ordonnateur un fonctionnaire de l’Etat, le préfet de police, en charge de l’essentiel des attributions de police municipale (circulation, tranquillité et salubrité publiques) qui, par dérogation à la règle générale, ne sont pas assurées par le maire de Paris. Enfin, la place et le rôle des conseils et maires d’arrondissement sont une autre spécificité du fonctionnement institutionnel de la ville de Paris, singulièrement depuis que le nombre des équipements de proximité gérés par les maires d’arrondissement a fortement augmenté, à la suite de la publication de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité. En termes d’actifs immobilisés, la commune et le département représentent la part prépondérante d’un ensemble plus vaste regroupant d’autres entités parisiennes : la préfecture de police déjà mentionnée (budget spécial) et les budgets annexes communaux. Les immobilisations de la commune représentent plus de 84% des immobilisations ainsi consolidées. L’actif immobilisé des autres entités n’est toutefois pas négligeable et sa part relative tend à croître sur la période récente.

Une connaissance lacunaire du patrimoine

Les réformes comptables doivent être pour les ordonnateurs locaux l’occasion de procéder à un inventaire complet de leurs immobilisations ou de réviser l’inventaire existant et ce, en liaison avec le comptable public. Dans le cas de la ville de Paris, l’échange d’informations doit se faire entre les services du maire et la recette générale des finances. A l’effort de recensement s’ajoute une valorisation des immobilisations qui repose sur une reconstitution du coût historique, ce qui implique de réunir les données comptables relatives aux travaux réalisés sur les immobilisations postérieurement à leur acquisition. L’inventaire et la valorisation doivent conduire le comptable à ajuster les données des comptes de bilan.

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L’absence d’état de l’actif

Comme toute comptabilité, la comptabilité communale doit donner une image fidèle de la composition et de l’évolution du patrimoine de la ville. C’est dans ce but que l’instruction M14 a prévu tous les deux ans (soit pour les exercices budgétaires pairs), la production d’un état de l’actif par les trésoriers des communes. Pour les exercices impairs, l’instruction ordonne la production d’un état partiel, retraçant les flux d’immobilisations de l’exercice. Ces états ont pour objet de justifier précisément les soldes figurant au bilan et retraçant la valeur comptable de l’actif communal. Ils sont un complément indispensable du compte présenté au conseil municipal, sans lequel il ne peut être attesté de l’image fidèle du patrimoine décrit dans ce compte. Les états de l’actif font défaut à la ville de Paris. Par ailleurs, en application des dispositions prévues par le code général des collectivités territoriales, un état des biens meubles et immeubles doit être annexé par l’ordonnateur aux documents budgétaires et au compte administratif. Il doit indiquer, pour les biens amortis, ainsi que pour les biens acquis, cédés, affectés, mis à disposition, réformés ou détruits, la durée d’amortissement, le coût historique, la valeur nette comptable, les amortissements antérieurs et l’amortissement de l’exercice. L’état produit à l’appui du compte administratif du maire de Paris devrait correspondre aux données figurant dans le compte de gestion du comptable. Les états produits par la ville de Paris ne permettent pas un rapprochement avec le bilan figurant au compte de gestion. Pour les immeubles acquis depuis plus de 30 ans (soit 1972 pour l’état des immobilisations 2002), réputés amortis, aucune référence n’est faite à la valeur d’acquisition alors que l’état des immobilisations annexé aux documents budgétaires doit indiquer, pour les biens amortis, le coût historique. Un état des immobilisations devrait être également dressé pour chaque budget annexe. L’état des immobilisations du budget annexe des transports automobiles municipaux est intégré à l’état des immobilisations de la ville alors que cette liste devrait appuyer le compte administratif de ce budget annexe. Il existe de surcroît un état des matériels roulants séparé pour la direction de la propreté et de l’environnement. Ce morcellement des données complique la lecture des états des immobilisations. Les états des biens acquis, cédés, détruits ou réformés, tenus par l’ordonnateur, qui ne sont d’ailleurs pas visés par le comptable, ne mentionnent pas les biens détruits ou réformés. Ils ne portent que sur une petite partie du patrimoine (les opérations foncières). L’état des cessions et acquisitions foncières de l’exercice, annexé au compte administratif, dont les montants ne correspondent pas aux variations des postes au bilan, ne permet pas sur la période contrôlée de justifier les entrées et sorties du patrimoine foncier tant de la commune que du département de Paris. Enfin, aucun rapprochement des données patrimoniales de l’ordonnateur et du comptable n’est manifestement opéré à l’arrêté des comptes du fait des faiblesses des documents dressés par l’ordonnateur.

Un patrimoine incomplètement retracé au bilan

L’examen du bilan communal montre que la réalité du patrimoine de la ville de Paris et de son affectation n’est pas toujours retranscrite dans les comptes. L’instruction M14 prévoit la comptabilisation séparée par la personne publique propriétaire des biens affectés, concédés, affermés ou mis à disposition d’autres personnes morales ou d’un budget annexe de la collectivité. A la lecture du bilan communal arrêté à la clôture de l’exercice 2002, il apparaît, contre toute évidence, que seraient inexistants les patrimoines affectés : − au syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne et au syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères de l’agglomération parisienne ; − au centre communal d’action sociale de la ville de Paris ; − aux caisses des écoles des vingt arrondissements. S’agissant des immobilisations qui, en application d’environ 200 contrats de délégation de service public, sont mises en concession ou en affermage, il est très douteux que leur valeur comptable ne s’élève depuis 1997 qu’à 2 901,73 euros. La mauvaise comptabilisation du patrimoine constitué d’immobilisations aussi importantes et aussi diverses que la tour Eiffel ou des milliers de logements gérés par des sociétés d’économie mixte pour le compte de la ville doit être corrigée ; elle pourrait l’être progressivement à l’occasion du renouvellement des conventions de gestion actuellement en cours. Certaines approximations ont été relevées dans la comptabilisation des biens affectés ou mis à disposition de services faisant l’objet d’un budget annexe, tels que l’assainissement et l’alimentation en eau potable ou encore le fossoyage. Bien que le service public de l’assainissement à Paris soit confié au syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne déjà mentionné, la ville conserve une compétence pour la collecte initiale des eaux usées et pluviales. Afin de retracer les opérations financières relatives à cette mission, un compte annexe de l’assainissement a été ouvert dans la comptabilité parisienne en 1991. A la création de ce compte, les mouvements d’ordre permettant d’affecter le patrimoine relevant du budget annexe de l’assainissement n’ont pas été effectués au budget général. Ainsi, la balance d’entrée en 1991 a été dressée au vu d’un tableau d’amortissement reconstitué à cette date et non à partir de données strictement comptables. De plus, la valeur patrimoniale de 434 M€ était une valeur d’achat extracomptable et non le coût comptable historique.

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