La communication persuasive
HISTORIQUE DE LA PARENTE A PLAISANTERIE ET FORMES DE PRATIQUE EN AFIQUE
HISTORIQUE
La tradition orale raconte que cette coutume a été instaurée par Soundiata Keïta lors de la fondation de l’Empire du Mali. Il est néanmoins très probable qu’elle soit plus ancienne, et qu’elle n’ait été que confirmée à cette occasion. Selon les historiens, l’origine de ce système de cousinage remonterait à l’antiquité africaine dans la vallée du Nil. Il serait un héritage du totémisme pratiqué durant cette époque, ou chaque clan était associé à un animal ou un végétal totem. Aujourd’hui en Afrique noire, bon nombre de noms claniques sont associés à un animal totem. Cette Charte, mieux que les déclarations qui lui sont postérieures, a la particularité d’avoir résisté au temps et aux vicissitudes de l’histoire (traite négrière, colonisation..). En effet, la Charte de Kurukan Fuga continue de régir de nos jours tous les peuples ayant appartenu au grand manding du moins pour ce qui est de l’organisation de la société, la gestion des conflits, la division du travail, l’hospitalité, la coexistence pacifique et la tolérance. Convoquée au lendemain de l’historique bataille de Kirina qui a vu la défaite de l’armée Sosso par le Manding primitif et ses alliés, la Charte de Kurukan Fuga s’est tenue sous l’égide de Soundiata KEITA, tombeur de Soumaoro KANTE. Les délégués convoqués pour la Charte étaient les représentants des douze tribus qui devaient plus tard constituer les douze Provinces de l’empire manding. A ces délégués, il faut ajouter les représentants familles princières et les tribus des marabouts et des nyamakalas (les gens de caste) . Les femmes n’étaient pas en reste dans le rassemblement parce qu’elles y prirent une part active à travers quatre représentantes. Trente miradors furent construits sur la clairière de Kurukan Fuga pour servir de sièges à l’intention des délégations. L’ensemble des miradors formait une circonférence au centre de laquelle s’élevait un dernier mirador plus haut que les autres, occupé par le griot Balla Fasséké KOUYATE, le porte-voix et le porte-parole de Soundjata. Après les remerciements adressés par le roi du Manding à tous les peuples qui avaient uni 18 leurs efforts pour la reconquête de leur liberté perdue, les Chefs de Provinces auxquels Soundiata avait rendu leurs zones d’influence respectives firent tous allégeance et le proclamèrent empereur du grand manding. La première fédération des peuples noirs venait de naître, ils l’appelèrent Empire du Mali. Après la proclamation de l’empire, le reste du temps fut consacré à des discussions où chacun pouvait donner son avis en vue de mettre sur pied un ensemble de règles devant régir la vie du grand manding. A l’issue des discussions, une Charte de 44 articles fut adoptée. Aucun domaine de la vie des hommes n’a été occulté : l’organisation sociale, les droits et les devoirs de la personne humaine, l’exercice du pouvoir, les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux, la place des femmes dans la société, la famille, la gestion des étrangers, la préservation de la nature, la conservation et la transmission de l’histoire, tout y passa. Parmi les sujets débattus et les résolutions adoptées, il y en a qui eurent et qui continuent d’avoir un impact certain sur la vie quotidienne de tous les peuples de culture mandingue. C’est le Sanankunya ou cousinage à plaisanterie. Le Sanankunya ou cousinage à plaisanterie a un champ d’action plus étendu parce qu’il est intimement lié au nom patronymique des clans concernés. Entre eux, les Sanankuns ( les cousins à plaisanterie ) ont tous les droits et peuvent tout se permettre, à la limite de la décence bien évidemment. Ils n’ont pas besoin de se connaître d’ailleurs et la seule évocation de leurs patronymes respectifs suffit à décrisper les situations les plus délicates. Au Mandé le Sanankunya ne fut pas un phénomène imposé à telle ou telle tribu vis-à-vis de telle ou telle autre. Il s’est établi selon les affinités entre les clans et les tribus au fil de leur existence quotidienne et a fini par s’imposer avec le temps. Au même moment, il a fini par imposer une ligne de conduite, une discipline à plusieurs générations de mandénkas, même après la désintégration de l’empire mandingue à la fin du 15ème siècle. Bien plus qu’un simple jeu, ces relations sont sans doute un moyen de désamorcer les tensions entre ethnies voisines ou entre clans familiaux, selon l’interprétation de l’anthropologue Marcel Griaule qui a désigné ce phénomène comme une alliance cathartique. Alain Joseph Sissao, sociologue burkinabé, chercheur à l’Institut des Sciences des Sociétés à Ouagadougou, a la même interprétation. Au Burkina Faso, en fonction des ethnies, les circonstances de sa mise en place sont différentes. La relation s’est instaurée parfois lors de conflits au travers d’alliances guerrières, comme entre les Mossis et les Samos. Parfois elle s’est développée entre des peuples aux modes de vie différents, comme c’est le cas par exemple entre les Bobos, sédentaires cultivateurs, et les Peuls, nomades éleveurs. Cette pratique s’appelle sinankuya au Mali, rakiré chez les Mossis (Burkina Faso), toukpê en Côte d’ivoire kalungoraxu chez les Soninkés, dendiraagal chez les Toucouleurs (Sénégal), kalir ou massir chez les Sérères, Kal chez les Wolofs (Sénégal), Avousso chez les Boulou (Cameroun). Aujourd’hui encore, dans tous les peuples de culture mandingue, principalement au Mali, en Guinée et au Sénégal, le Sanankunya demeure une arme extrêmement efficace pour la gestion des conflits entre les communautés. Si le Sanankunya avait pu s’établir entre les Etats, il aurait résolu beaucoup de conflits. Il nous appartient à nous africains de tirer bon parti de cet élément inestimable de notre culture lequel n’existe nulle part ailleurs pour essayer d’asseoir les bases d’une forme authentiquement africaine de gestion de nos conflits. Aussi, des principes d’organisation et de gestion administrative édictés dans la Charte peuvent aujourd’hui aider certainement à résoudre certaines difficultés auxquelles les processus de décentralisation sont confrontés dans nos pays.
MANIFESTATION DE LA PARENTE A PLAISANTERIE EN AFRIQUE DE L’OUEST
Dans la plupart des cultures, il serait impoli de se moquer ouvertement d’un inconnu, parfaitement insultant de le traiter d’esclave, et complètement criminel d’entrer dans son domicile et voler sa télévision. Dans le contexte des parentés à plaisanterie — ou « cousinage », sinankunya au Mali, rakiré au Burkina Faso — ces actes peuvent dans certains cas être tout à fait acceptables en Afrique de l’Ouest, et donnent souvent lieu à des scènes pittoresques, et d’abondants éclats de rires. Les parentés à plaisanterie autorisent, encouragent, et parfois même obligent, aux membres de certains groupes, qu’ils se connaissent ou non, à se railler, se taquiner, ou s’insulter sans conséquence sociale, sans rancune, et sans outrage. Ces relations lient certains groupes ethniques (Dogons et Bozos), certaines castes (nobles et griots), certaines familles (Coulibaly et Ouattara, Diarra et Traoré), certains liens familiaux 20 (grands-parents et petits-enfants), certains individus de la même classe d’âge (jeunes hommes circoncis en même temps), ou une combinaison de ceux-ci (l’ethnie Peul et la caste des forgerons). Un Bambara qui rencontre un Peul pour la première fois pourrait dire en blaguant de celui-ci est inutile sans maître — une insulte qui découle de l’histoire, quand les Peuls servaient les rois Bambaras comme gardiens de leurs troupeaux. Les Peuls se moquent des Bozos à cause de leur prétendue consommation excessive d’alcool. Les Bozo accusent les troupeaux des bergers d’avoir piétiné leurs champs — un jeu sur les stéréotypes. Quelqu’un de patronyme Traoré peut réprimander un Condé en disant que ces derniers sont tellement voraces qu’ils ne peuvent tenir le ramadan sans former une flaque de salive à leurs pieds. L’échange de blagues dans les parentés à plaisanterie culmine souvent en bataille d’esprit; c’est à celui qui trouvera l’injure la plus astucieuse, créative et comique. Ces scènes pittoresques, presque théâtrales se jouent tous les jours dans la rue, dans les magasins, dans les marchés, lors de cérémonies, même au bureau ou pendant les réunions officielles aux sommets de l’État. De temps à autres, ces interactions surpassent les stéréotypes, habitudes alimentaires et tranches obscures de l’histoire. Parfois, elles franchissent les frontières des pratiques et croyances sacrées d’un peuple: S’il n’y a aucune contrainte sur l’heure, ou l’endroit, ou la créativité des insultes, il y a toutefois des limites: entraîner la mère de quelqu’un dans tout cela est un grand faux pas. Entrer en vrai conflit et faire couler du sang est aussi inacceptable. Si l’interaction devient agressive, le coupable peut offrir des noix de kola, symboles de paix, pour demander pardon. Même les funérailles ne sont pas exclues des plaisanteries dans certains pays. Les enterrements sont souvent perturbés par des amis proches, membres de ces alliances intimes. Des forgerons peuvent s’incruster dans les obsèques d’un Peul et empêcher le corps d’être déplacé par tous les moyens, tant qu’ils ne reçoivent pas d’argent. De même, les petits-enfants demandent des cadeaux avant de permettre aux funérailles de leurs grands-parents de procéder. Un Bissa décédé peut s’attendre à ce que son ami Gourounsi jette des cacahuètes sur son cercueil pour se moquer des habitudes alimentaires de son peuple. À l’inverse, une Gourounsi ne sera pas surprise si un Bissa demande de remplacer son cercueil avec une tête de chien pour la même raison. Certains groupes au Burkina Faso s’accusent les uns les autres d’être des meurtriers ou parricides dès que quelqu’un meurt. Ceci est censé banaliser et dédramatiser la mort, pour que les membres de la famille ne sombrent pas trop profondément dans le deuil. Cette coutume est retracée à travers les récits oraux à Sundiata Keita, le fondateur de l’Empire du Mali. Les ethnologues, eux, pensent que ce pourrait être une pratique beaucoup plus ancienne. En réalité, les parentés à plaisanterie n’ont rien d’une plaisanterie : elles sont bien plus profondes et sérieuses qu’un brise-glace humoristique. Ce sont les manifestations d’alliances ancestrales, de pactes de sang et de liens d’honneur entre communautés. Tandis que certaines alliances se sont estompées, certaines, comme celles des Dogon-Bozos ou des Peulsforgerons, restent robustes. Dans ces cousinages intenses, la parenté à plaisanterie va souvent de pair avec des tabous sociaux. Une interdiction sur l’intermariage et le contact sexuel entre les membres de chaque groupe est typique. Cela permet prétendument d’éviter les jalousies et les querelles autour des relations amoureuses: de nombreuses guerres ont été déclenchées pour une femme. La règle d’or des parentés à plaisanterie : ne jamais nuire à l’autre. Cette prescription pour le respect mutuel, l’amitié réciproque et l’entraide aide à éviter les conflits entre les groupes et encourage la mise en place de compromis. Le cousinage offre une façon cathartique d’exprimer ses plaintes sans animosité, et d’apaiser les tensions. Comme le disait Balla Fasséké, le griot du premier empereur du Mali, « Prévenir, c’est mieux que guérir. » Tableau d’ethnies et leurs alliés Bien que cette liste ne soit pas complète, et que ce genre de relations est susceptible de changer, le tableau ci-dessous donne un aperçu grossier du réseau complexe des parentés à plaisanterie entre les ethnies. (Tiré du livre de Sissao sur les parentés à plaisanterie indiqué en bas de page.) En raison de leur mode de vie semi-nomade, les Peuls ont développé des parentés à plaisanterie avec le plus grand nombre d’autres ethnies.
LA FORME DE PRATIQUE AU NIGER
La parenté à plaisanterie est une pratique sociale qui s’exerce entre individus, groupes et communautés ethnolinguistiques pour promouvoir la fraternité, la solidarité et la convivialité. Elle prend la forme d’un jeu entre deux personnes de deux communautés qui représentent symboliquement les branches mari et femme d’un cousinage croisé de la même famille. Cette parenté résulte souvent d’un pacte ancestral interdisant les conflits ou les guerres entre les communautés en question, et implique que ses membres doivent s’aimer et se porter mutuellement assistance si nécessaire. Les membres ont le devoir de se dire la vérité, de plaisanter ensemble et de mutualiser leurs biens respectifs, en sachant que tout différend doit se régler de manière pacifique. La parenté à plaisanterie se pratique dans les lieux publics, dans les champs, dans les bureaux, aux marchés, aux points d’eau, en famille, etc., au quotidien comme lors d’occasions spéciales : mariages, baptêmes, diverses cérémonies, funérailles, transactions commerciales, manifestations culturelles et de divertissement. Le premier mois lunaire est notamment consacré à la parenté à plaisanterie, parallèlement à d’autres rituels associés. Transmise de manière informelle de génération en génération, la parenté à plaisanterie est un outil de réconciliation et de pacification qui favorise la cohésion et la stabilité des familles, des groupes ethniques et des communautés. Elle favorise l’égalité sociale en termes d’âge et de hiérarchie et encourage le dialogue intergénérationnel. Un exemple Niamey, le 1er septembre. Une interminable file d’attente s’étire devant les guichets d’une banque. Les clients attendent sagement leur tour quand un homme surgit qui grille la politesse à tout le monde pour se poster en tête, ignorant de sa superbe les regards désapprobateurs. Une voix de femme retentit : « Il faut être un Bagobiri pour agir de la sorte ! Quand il s’agit d’argent, ils oublient les règles de bienséance. Ils n’y peuvent rien, c’est comme ça. Les Bagobiris se laissent toujours guider par leur cupidité. » « Et les Djermas, alors, n’est-ce pas pareil quand ils se retrouvent devant un plat de dibiganda bien assaisonné de tigadigué ? Et que dire des Songhaïs devant une tasse de doungandi ? » Rétorque le monsieur. Le ton est vif, mi-figue mi-raisin. Les deux protagonistes semblent prêts à en découdre. Quand l’atmosphère se détend, aussi soudainement. Et les rires fusent. L’homme et la femme se sont reconnus à leurs scarifications et n’ont pu résister à cette petite joute. C’est le « cousinage à plaisanterie » : un affrontement verbal au cours duquel on peut s’insulter entre membres de certaines ethnies, mais qui constitue en réalité un moyen de 25 décrispation sociale. Au Niger, ces altercations verbales sont ainsi autorisées entre Peuls, Maouris et/ou Béris-Béris, entre Djermas, Songhaïs, Bagobiris et Touaregs, entre Gourmantchés et Touaregs… Elles atteignent leur paroxysme lors des grands rassemblements, comme les baptêmes, les mariages, les obsèques, où elles peuvent choquer un public non averti tant les piques sont acérées. Personne ne perd son sang-froid pour autant. C’est codifié. Par conte les relations sociales ont des limites, Nigérien d’origine française, l’ethnologue Jean-Pierre Olivier de Sardan se veut plus mesurer. Si le cousinage à plaisanterie « décontracte » effectivement les relations, il ne témoigne pas forcément d’une ouverture « extraordinaire » à l’autre. Les relations sociales ne sont pas entièrement pacifiées au Niger, et, même si elles ne sont pas toujours perceptibles, la xénophobie tout comme les tensions – interethniques existent. Pour lui, « le clientélisme du terroir » fait que l’on a tendance à – favoriser les siens, ce qui crée des crispations. Il évoque aussi un racisme social persistant dans le nord et l’ouest du pays, notamment vis-à-vis des descendants de captifs. Les populations, elles, ne semblent pas s’arrêter à ces considérations. Depuis la fin des années 1990, le ministère nigérien de la Culture organise la « semaine de la parenté à plaisanterie », assortie d’un concours annuel. Et, il y a quelques années, une émission de radio consacrée à la parenté à plaisanterie a fait un carton d’audience dans le pays. La durée de l’émission était rapidement passée d’une heure à une heure trente, sans pause musicale Le Niger fait partie des pays africains où se pratique, depuis les temps immémoriaux, cette forme de relation La reconnaissance de cette pratique comme étant un ciment de l’unité nationale a conduit le Niger à inscrire cette tradition au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2012 et à en instituer une journée nationale pour promouvoir la paix dans le pays et à travers le monde. Faire vivre et perpétuer cette coutume est d’une grande importance dans un contexte où les tensions entre communautés sont exacerbées par les difficultés croissantes d’accès aux ressources naturelles (l’eau, les terres cultivables, les pâturages..) qui s’appauvrissent avec le changement climatique et la pression démographique. Cette année (2017), le Conseil régional de Tillabéri a innové en ramenant cette manifestation au niveau de la région. Cette proximité a permis de toucher un plus grand nombre d’habitants et favorisé les liens entre les différentes ethnies du territoire régional. Cette célébration régionale a connu la participation des pays voisins, notamment le groupe ethnique Gourunsi du Burkina Faso et les Bororo de Gao au Mali.
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