LA COMMUNICATION ORALE COMME TREMPLIN SOCIAL ET ÉDUCATIF
Les enjeux sociaux
Avec l’implantation progressive du renouveau pédagogique au cours des quinze dernières années au Québec, l’école a réaffirmé explicitement son rôle de tremplin social à travers l’une de ses missions fondamentales, la socialisation des enfants et des adolescents fréquentant les institutions scolaires de la province (MELS, 2007). Selon Bergeron (2000), cet apprentissage du « vivre-ensemble » passe notamment par la maitrise d’habiletés de communication orale fournies, entre autres, par l’école. Certains auteurs situent même la compétence à communiquer oralement comme un jalon essentiel pour permettre une adaptation aux différentes situations de communication qui parsèment autant le contexte scolaire que la vie d’adulte (Simard, Dufays, Dolz, & Garcia-Debanc, 2010). De surcroit, puisque l’oral est impliqué dans la plupart des contextes d’interaction sociale, certains le considèrent comme l’un des piliers des différentes sphères de la vie sociale (Bronckart, Bulea, & Pouliot, 2005; Simard et al., 2010).
Si la communication orale prend une place majeure dans la vie des adolescents au quotidien, c’est principalement en situation d’interlocution. Constamment, ils sont appelés à prendre part à des échanges polygérés qui demandent, en temps réel, d’élaborer et d’organiser un discours oral tout en interagissant avec d’autres (Forget, 2012; Goetz & Shatz, 1999; Kyratzis, Ross, & Koymen, 2010). Selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2000), les manières dont les élèves élaborent et organisent leur discours oral (compétence discursive) en contexte d’interaction (compétence interactionnelle) renvoient à ce qu’il conviendrait d’appeler les compétences pragmatiques à l’oral.
Les enjeux pour l’apprentissage
Selon plusieurs, c’est dans sa mise en pratique en interaction en contexte scolaire que l’oral serait le plus propice à l’élaboration de savoirs, à l’enrichissement du champ conceptuel, bref, à l’apprentissage (Auriac-Peyronnet, 2003a, 2003b, 2003c, 2004; Chabanne & Bucheton, 2002; Grandaty, 2001; Halté & Rispail, 2005; LeCunff, 2012; Nonnon, 1999; Plane, 2001; Schneeberger & Ponce, 2003). Ce postulat s’inscrit, à tout le moins en partie, dans le sillage de la théorie vygotskienne selon laquelle les interactions sociales participeraient à l’activité cognitive individuelle, ce qui suppose l’implication d’une dynamique sociolangagière dans le processus d’apprentissage (Gilly, 1988; Vygotsky, 1962). En d’autres mots, le rapport du langage à la cognition serait intimement lié à la pratique de l’oral en contexte d’interlocution, et ce, en étroite relation avec sa dimension pragmatique (Auriac Peyronnet, 2003c; Daniel, 2003, 2005; LeCunff, 2004; Nonnon, 1996, 1998; Toczek Capelle, 2003).
Communiquer oralement permettrait donc d’alimenter le processus d’apprentissage et de construire des relations sociales en passant par une dynamique d’interlocution où les locuteurs élaborent en commun un discours. Toutefois, malgré son importance dans la vie sociale et scolaire des adolescents, la communication orale en interaction demeure la grande absente du contexte scolaire (Lafontaine, 2011). Plusieurs enseignants ont toujours tendance à faire de l’exposé oral l’activité de communication principale en classe de français, langue d’enseignement, au détriment d’activités interactives telles que les causeries, les dialogues philosophiques , les groupes de discussion, les conseils de coopération, etc. Pourtant, les exposés oraux évacuent bien souvent le cadre naturel d’interlocution de la communication orale, cadre qui suppose son lot de contraintes, d’imprévus, d’adaptations, de revirements, de changements de perspective, voire d’attitudes (Grandaty, 2001; Nonnon, 1996). Cette présence marquée de l’exposé oral est sans doute en lien avec la difficulté à enseigner cet objet immatériel qu’est la communication orale. Cette intangibilité de l’oral complexifie également son évaluation en contexte scolaire (Garcia-Debanc, 1999). Cela apparaît d’autant plus vrai en contexte d’interlocution où les activités discursives sont prises en charge collectivement, où la gestion des tours de parole complexifie la communication, où les interlocuteurs sont souvent appelés à coordonner plusieurs actes discursifs pour prendre part activement à l’élaboration d’un tissu discursif commun (Pekarek Doehler, 2006b; Pochon-Berger, 2010). L’enseignement de la communication orale semble constituer une activité difficile à gérer sans indicateurs pour orienter le quoi enseigner et le quoi évaluer.
Quelles pistes pour observer la communication orale en interaction?
Malgré les enjeux sociaux et cognitifs liés à la pratique de l’oral en interaction, peu de recherches proposent de pistes d’observation de la manifestation des compétences pragmatiques en contexte d’interaction (Grandaty, 2001) , et aucune ne s’intéresse au contexte particulier de l’enseignement secondaire, où les cadres d’interlocution et les actes discursifs mobilisés se complexifient (Bergeron, Tamsé, & Lachance, 2012). Ainsi, les manières dont des élèves élaborent et organisent leur discours oral en français, langue première demeurent, encore aujourd’hui, peu étudiées. Dans le passé, des recherches issues de la linguistique ont bien permis de dégager un éventail d’actes discursifs (Searle, 1972; Van Ek & Trim, 1990) mobilisés par un locuteur (p. ex. répondre à une interrogation, exprimer un accord, réfuter une affirmation). Par contre, à l’heure actuelle, la manifestation de ces actes discursifs et leur organisation au sein de communications orales en contexte scolaire francophone ne dispose, à notre connaissance, que d’un faible appui empirique (Auriac-Peyronnet, 2003c; Daniel, Pettier, & Auriac-Slusarczyk, 2011; Kucharczyk, 2009). D’ailleurs, ce manque d’études est bien plus grand lorsqu’il s’agit de décrire la compétence orale telle qu’elle se manifeste dans des espaces pédagogiques interactifs, où le discours oral est géré en commun par les élèves et l’enseignant (LeCunff, 2012). Les travaux rattachés à l’analyse conversationnelle (Brown & Levinson, 1987; Kerbrat-Orecchioni, 2005a), bien qu’ils apportent un éclairage essentiel sur l’aspect interactionnel de la communication orale, ne s’inscrivent que très rarement dans un contexte scolaire et, encore moins, dans un contexte scolaire où le français est la langue première des apprenants.
Bref, les enseignants ne disposent que de peu de balises pertinentes pour orienter l’observation de la compétence à communiquer oralement de leurs élèves en contexte d’interlocution. C’est en réponse à cette problématique qu’il devient judicieux de tenter de décrire et de comprendre comment les compétences pragmatiques à l’oral se manifestent en interaction. Dans la mesure où, à notre connaissance, peu de recherches proposent des indicateurs de la manifestation des compétences pragmatiques à l’oral dans le contexte de l’enseignement secondaire, nous portons un regard, dans le cadre de ce chapitre, sur les référentiels ministériels, le matériel didactique et les grilles d’observation existantes pour comprendre de quelle manière ils permettent ou non de guider l’observation de ces compétences. De plus, nous réfléchissons à un espace pédagogique interactif théoriquement susceptible de réunir des conditions favorables à la manifestation des compétences pragmatiques qu’il serait pertinent d’investiguer.
1. PROBLÉMATIQUE |