Une colonie particulière
Nous l’avons dit précédemment, la colonie de la Citadelle se démarque du système des colonies d’accueil des enfants basques mis en place par le gouvernement par la dimension de sa structure et du nombre de réfugiés qu’elle abrite. Cependant ce ne sont pas les seules caractéristiques qui la différencient des autres. Nous verrons cela à travers son système éducatif, son approche de la culture et de la langue basque, son approche de la religion, de sa fréquentation par des personnalités extérieures mais aussi par la mémoire de l’exil qui est entretenu autour de cette colonie. Lorsqu’au cours du printemps et de l’été 1937 le gouvernement basque installe ses différentes colonies, il accompagne automatiquement celles-ci d’enseignants pour mettre en place des cours et un système scolaire propre aux refuges d’enfants.
Pour cela dès le début de l’évacuation le gouvernement basque a affecté des maîtresses et des professeurs par établissement. Mais la question est de savoir quel type d’enseignement il veut dispenser à ces enfants.Pour comprendre le système mis en place il faut revenir au début de la seconde république. Comme nous l’avons vu auparavant, lorsqu’en 1931 la République est proclamée, les nationalistes basques ont bon espoir de voir le statut d’autonomie accordé comme ce fut le cas pour la Catalogne. Or pour ce qui est de l’enseignement il se passe la même chose. Le 29 avril 1931, un décret autorise le bilinguisme en Catalogne tant au niveau administratif que pour l’éducation tout en précisant que toutes les langues maternelles de la péninsule pourront suivre le même chemin. Au Pays Basque la Sociedad de Estudios Vascos1 (SEV) remet alors un plan d’application du bilinguisme dans sa région au ministre de l’Instruction publique. Mais là encore les choses traînent sur plusieurs mois et pendant ce temps, le 13 mai 1931, le gouvernement de Madrid publie une circulaire qui propose la suppression de l’enseignement religieux à l’école et une laïcisation du système scolaire. Or, comme nous le savons, les Basques étant de fervents catholiques, ils s’opposent fortement à cette idée tout comme le clergéespagnol.
Les associations rattachées au PNV tel que Juventud Vasca1 et Emakume-Abertzale-Batza2, qui se sont développées depuis la chute de la dictature, soutiennent alors l’idée de créer leur propre système éducatif qui serait catholique et basque sans attendre ni le statut d’autonomie, ni de loi venant de l’État. Eusko Ikastola Batza3(EIB) est fondé le 4 mars 1932 avec le soutien du PNV pour créer une école qui défend les valeurs catholiques, la langue et la culture basques. Petit à petit s’ouvrent alors des écoles dans les endroits où le nationalisme basque est très fort. Les ressources financières étant limitées, le fonctionnement des établissements est plutôt spartiate. Cependant d’année en année de nouvelles classes ouvrent et à la fin de l’année scolaire de 1936 il y a 1079 enfants répartis dans 14 établissements alors qu’ils étaient 802 à la fin de la première année scolaire en 19334.
L’EIB se définit comme un organisme basque et catholique dont les valeursont une place prépondérante dans l’enseignement qu’il veut dispenser. Mais le système éducatif mis en place va bien au-delà des modes d’enseignements classiques. Ces écoles ont bien sûr un caractère patriotique car on y apprend l’histoire du Pays Basque et la langue basque mais les méthodes d’enseignements voulues par l’organisme sont très différentes de celles en vigueur à l’époque. Il préconise à l’école primaire une formation de l’esprit plutôt qu’un apprentissage méthodique de toute une série de données qui restent vagues pour l’enfant. Partir de sujets concrets pour susciter l’intérêt de l’enfant et le faire réfléchir. La volonté est de connecter l’enseignement avec ce que l’enfant voit, entend et touche5. L’euskara s’apprend avec une méthode directe nommée Jarduketera et l’éducation religieuse se fait de façon déductive. Pour l’histoire et la géographie on se base sur l’environnement et pour cela les sorties de classes sont courantes. Les classes sont organisées autour d’une grande table commune pour « créer dans la classe une atmosphère de liberté, mobilité et d’indépendance de l’enfant »6. L’enseignement dans les communes de majorité bascophone se fait intégralement en basque avec l’espagnol en seconde langue alors que dans les endroits hispanophones c’est l’inverse. À partir de 12 ans, les élèves suivent des cours de professionnalisation avec notamment l’apprentissage de notions d’agriculture pour les garçons et de comptabilité pour les filles. Pour encadrer ces enfants, l’EIB forme ses propres enseignants qui malgré leur inexpérience et leur jeunesse font preuve d’un grand enthousiasme..