Ecophysiologie de la chouette effraie
Alimentation
Technique de chasse [Vallée, 1999]
Le terme de « charge alaire » désigne le rapport entre la masse corporelle de l’oiseau et la surface de ses ailes. Plus la charge alaire est faible et plus l’oiseau peut voler lentement. Parmi les chasseurs de milieu ouvert, la chouette effraie est celui dont la charge alaire est la plus faible (0,25 g/cm2 contre 0,28 g/cm2 pour le hibou moyen-duc par exemple) : ses ailes sont longues et assez larges. Elle peut donc patrouiller lentement et à faible altitude (1 à 5 m) au dessus de son territoire de chasse. Les rapaces à charge alaire plus élevée, comme le faucon crécerelle (Falco tinnunculus), ont un vol trop rapide pour ce type de chasse. A faible hauteur, ils n’auraient pas le temps de détecter une éventuelle proie tant leur vitesse est importante.
La chouette effraie est aidée dans sa recherche alimentaire par une ouïe très bien développée. Elle chasse face au vent pour ralentir davantage son vol et pour mieux réceptionner les sons. La chasse en vol consomme de l’énergie. Les effraies ne peuvent donc pas la pratiquer trop longtemps. Elles se perchent donc aussi, le plus souvent sur des poteaux de clôture, à l’affût de la moindre proie.
La chouette effraie paraît chasser en vol intensément en début de nuit pour s’assurer un premier repas et profiter de l’activité de ses proies. Ensuite, une partie de la nuit est consacrée à la chasse à l’affût. Il peut lui arriver de sortir le jour : ce comportement est variable d’un individu à un autre et ce phénomène semble s’accentuer lorsque la nourriture se fait rare ou que la nuit est trop courte (photopériode estivale).
La stratégie de chasse de la chouette effraie dépendrait à la fois du temps et de l’énergie investis dans la recherche et la capture des proies ainsi que de la valeur nutritive de la proie comme l’a montré Ille sur 11 Tyto alba guttata captives (Ille, 1991). L’expérience a consisté à proposer des proies (Mus musculus et Rattus norvegicus) de tailles différentes, vivantes ou mortes à la chouette et à étudier ses choix. Une grosse proie est plus facile à détecter, elle apporte plus d’énergie et réduit le nombre de chasses nécessaires. En revanche, elle est plus difficile à tuer, transporter, dépecer (obligatoire avec les grosses proies alors que d’ordinaire la chouette effraie avale ses proies entières), elle se défend, faisant courir un danger au rapace. Dans des conditions expérimentales contrôlées, la chouette effraie choisissait les plus petites proies lorsque des animaux de différentes tailles lui étaient proposées vivants et des moyennes lorsque les proies lui étaient proposées mortes (figure 14).
Figure 14 : pourcentage de proies choisies par Tyto alba guttata en fonction du poids et de l’activité des proies proposées dans un cadre expérimental (Ille, 1991)
Régime alimentaire
Les micromammifères constituent l’alimentation principale de la chouette effraie représentant plus de 70 % du poids quotidien ingéré (Taylor, 1994 dans Durant, 2000). Son régime est assez spécialisé ; elle consomme très peu d’oiseaux. Chassant préférentiellement en milieu ouvert (champ, prairie et pâturage), le campagnol des champs (Microtus arvalis) est l’espèce la plus représentée dans son régime alimentaire, suivi du campagnol agreste (Microtus agrestis), du mulot sylvestre (Apodemus sylvestris) et du mulot à collier (Apodemus flavicollis). Les insectivores sont considérés comme des proies secondaires à l’instar de la musaraigne carrelée (Sorex araneus) mais ils peuvent devenir des proies principales lors du déclin cyclique des populations de campagnols qui intervient tous les 3-4 ans (Spitz, 1977 et Taylor, 1992 dans Vallée, 1999).
Roulin (2004a) suppose que les variations de la coloration du plumage des chouettes effraies leur confèrent un avantage pour la chasse dans les zones où le croisement des sous-espèces est effectif : les proies les identifieraient plus difficilement comme prédateurs.
Digestion
L’œsophage des oiseaux carnivores est plus large que celui des autres oiseaux, mais à l’inverse, leur tube digestif est plus court (Duke, 1997). Parmi les carnivores, le charognard a un intestin plus long que celui du chasseur. Il semble que l’efficacité digestive soit corrélée positivement à la longueur de l’intestin (Barton et Houston, 1993). Le chasseur compense donc son handicap en se nourrissant de proies plus riches en énergie.
La chouette effraie est un chasseur actif ; la faible longueur de son intestin peut être considérée comme un avantage dans la mesure où cela lui permet d’être plus légère pour le vol. Il existe probablement un bon compromis : un tube digestif suffisamment long pour assurer une bonne digestion et suffisamment court pour ne pas trop alourdir le vol.
L’efficacité digestive de la chouette effraie a été estimée entre 77,5 et 79,4 % (étude menée sur des souris de laboratoire, Mus musculus). A 20°C, cette modeste efficacité n’est pas un handicap dans la mesure où la chouette effraie peut augmenter son effort de chasse pour la compenser. En revanche, à 0 °C, la disponibilité des proies n’est plus suffisante pour compenser cette efficacité digestive relativement faible.
Une fois la digestion effectuée, la chouette effraie rejette une pelote formée de débris non digestibles (poils, os). Guérin (Guérin, 1928 dans McNab, 2009) précise qu’elle régurgite en moyenne 2 pelotes par jour : une au début de la nuit dans son territoire de chasse et une en fin de nuit sous son site de repos.
D’après Duke et al. (1975), le pH gastrique des Strigiformes (2,35) est beaucoup plus basique que celui des Falconiformes (1,6). Ceci explique le fait que des os soient retrouvés dans les pelotes des chouettes mais pas dans celles des faucons crécerelles. Par contre, la protéolyse et l’efficacité avec laquelle ils utilisent l’énergie contenue dans leurs proies (MEC) (Kirkwood, 1979) sont similaires dans les deux ordres.
Consommation quotidienne
L’étude réalisée par Marti (1973) avait pour objectif de mesurer la consommation quotidienne de proies et la production de pelotes de la chouette effraie. L’expérience a été menée sur des oiseaux captifs dont l’activité est de ce fait limitée. La femelle effraie mange en moyenne 60,5 g par jour, ce qui correspond à la consommation quotidienne moyenne du Grand-duc de Virginie (Bubo virginiatus) deux fois plus lourd. Du fait du besoin énergétique lié à ses activités physiques, Marti estime que les effraies sauvages mangent plus que les captives soit environ 110 g/jour.
Les abris
La chouette effraie est une espèce cavernicole. Pendant la journée, elle se repose dans un abri soit un grenier, une grange, un clocher, un arbre creux… En Europe continentale, elle profite davantage des structures humaines qu’en Grande-Bretagne par exemple (Johnson, 1994). Elle a ses habitudes, le reposoir diurne en fait partie : c’est le même d’un jour à l’autre et l’on retrouve dessous de nombreuses fientes et pelotes de réjection. Elle possède aussi des gîtes de substitution qu’elle utilise si elle est dérangée à l’abri principal.
Klein et al. (2007) évoquent le fait que les nichoirs mis à disposition par les scientifiques semblent avoir un effet néfaste sur le succès reproducteur de la chouette effraie ; soit tout le contraire de ce pourquoi ils ont été installés. En effet, les nichoirs installés pour compenser la destruction des sites de nidification naturels seraient corrélés avec une moindre survie à court terme des jeunes par rapport aux jeunes élevés dans des bâtiments. Il évoque l’hypothèse selon laquelle le confinement de cet abri empêcherait l’apprentissage du vol auquel s’adonnent les poussins sous les toits par exemple. Même s’ils reconnaissent que mieux vaut des nichoirs peu efficaces que pas de nichoir du tout, peut-être faudra-t-il à l’avenir concevoir des nichoirs plus adaptés pour la pérennité de l’espèce.
Une reproduction particulièrement efficace
La reproduction, au centre du cycle de vie des animaux, représente un véritable enjeu énergétique pour les oiseaux. Il est indispensable de connaître son déroulement chez la chouette effraie pour comprendre pourquoi la thermorégulation y tient un rôle important.
Une prolificité exceptionnelle
Parmi les rapaces diurnes et nocturnes européens, la chouette effraie présente une stratégie de reproduction très particulière. Tout d’abord, l’âge de la première reproduction est estimé à 1,06 an en moyenne (Marti, 1997). A cette faculté de se reproduire précocement s’ajoute le fait qu’en Europe, la chouette effraie est la seule, parmi tous les rapaces nocturnes, à connaître une reproduction aussi prolifique. En effet, les années favorables, elle peut effectuer deux nichées successives, exceptionnellement trois. Il est intéressant de noter que cette faculté est exploitée surtout dans le nord de sa zone de répartition (Vallée, 1999). De plus, elle pond en général de 3 à 8 œufs avec une amplitude maximale de 2 à 18 œufs (Taylor, 1994 dans Vallée, 1999). Quand deux nichées se succèdent (10 % des cas), la première ponte comprend en moyenne 4 à 7 œufs et la seconde 6 à 9. Quand on compare le nombre de jeunes élevés jusqu’à l’envol par an et par un couple chez quelques rapaces européens, on comprend à quel point la chouette effraie se distingue des autres par sa grande prolificité (figure 15).
Figure 15 : performances moyennes de reproduction pour différentes espèces de rapaces en Europe (Vallée, 1999)
La chouette effraie présente une stratégie démographique qualifiée de type « r » par les spécialistes : mortalité importante, faible espérance de vie, maturité sexuelle précoce, fécondité élevée, fortes fluctuations de population. Elle se distingue des espèces à stratégie « K » caractérisée par une faible mortalité, une maturité sexuelle tardive, et une reproduction peu prolifique (Pianka, 1970 dans Durant, 2000).
« Décision » de ponte [Durant, 2000]
La chouette effraie est considérée comme un reproducteur sur le revenu (« income breeder »), c’est-à-dire qu’elle n’accumule pas de réserves avant la période de reproduction, la prise alimentaire étant ajustée chaque jour aux besoins journaliers liés en partie à la reproduction. A cette stratégie s’oppose celle des reproducteurs sur capital (« capital breeder »).
Chez les reproducteurs sur le revenu, la « décision » de ponte semble être prise après avoir évalué la qualité du milieu (abondance de micromammifères, conditions climatiques…). La femelle astreinte au nid ne peut évaluer cet environnement qu’au travers de son partenaire, des proies qu’il ramène au nid qui dépendent à la fois des conditions environnementales mais aussi des qualités de chasseur du mâle.
D’une manière générale, plus les conditions environnementales (climat et abondance de proies) sont mauvaises, plus la reproduction est tardive et moins elle est efficace (figure 16 et tableau 1).
Figure 16 : variations des caractéristiques de la reproduction de la chouette effraie Tyto alba en fonction des variations de la population de campagnols (Taylor, 1994 dans Durant, 2000)
Etude menée en Ecosse
On observe en effet que le nombre d’œufs pondus par nichée et le nombre de couple nicheurs suivent exactement les fluctuations de la population de campagnols. La taille moyenne de la ponte est reliée de façon linéaire à l’abondance des proies (r = 0,87 et p < 0,001). On constate également que les années d’abondance pour les chouettes effraies correspondent aux années où les pontes sont les plus précoces.
Tableau 1 : influence de la disponibilité en proies sur le succès reproducteur de la chouette effraie Tyto alba de 1965 à 1971 dans le Welder Wildlife refuge (Otteni et al., 1972)
La date de ponte est un compromis : elle doit être suffisamment tardive dans la saison pour que les proies soient redevenues abondantes au moment où la demande énergétique de la nichée est maximale, c’est-à-dire pendant la seconde moitié de l’élevage, mais elle doit être aussi assez précoce pour que les jeunes soient suffisamment autonomes et que les parents puissent reconstituer leurs réserves avant l’hiver. La photopériode semble aussi avoir son influence sur la date de ponte. Tous ces facteurs délimitent une fenêtre de reproduction, c’est-à-dire l’intervalle de temps pendant lequel il est possible de se reproduire. En général, les premières pontes sont situées, en France, autour des mois d’avril et de mai. Quand deux nichées se succèdent, la première ponte est plus précoce (février, mars), ainsi la seconde nichée peut s’envoler et apprendre à chasser avant le début de l’hiver. Quelques rares nichées ont été observées en automne et même en hiver : exemple d’une nichée de Tyto alba pratincola dans l’état du Delaware aux Etats-Unis d’Amérique en janvier (Poole, 1930). La seconde ponte est habituellement déposée une centaine de jours après la première, ce qui implique que les œufs se développent dans l’ovaire de la femelle pendant la période d’élevage au nid des poussins de la première ponte. Ce recouvrement des nichées, quand les couples se reproduisent deux fois par an (10 % des cas), participe à la grande prolificité de l’espèce.
Le poids de la femelle commence à augmenter 30 à 40 jours avant le début de la ponte. Il atteint son maximum au moment de la première oviposition (soit 20 % de plus que le poids initial) puis décroît lentement ensuite. Cette prise de poids est due au développement des organes reproducteurs, à la formation des œufs et à l’augmentation de l’hydratation des tissus. Cette accumulation d’eau est liée à l’intensification des synthèses protéiques qui accompagnent le développement de l’appareil reproducteur et la formation des œufs. Ces réserves aqueuses sont maintenues pendant toute l’incubation pour être finalement utilisées quelques jours avant la première sortie en chasse de la femelle. Ceci est un avantage dans la mesure où cette surcharge pondérale l’handicaperait fortement si elle devait chasser avec ce surpoids.