La capacité et le pouvoir à compromettre des personnes privées
L’article 453-2 du CPCM prévoit que les parties à un accord compromissoire doivent avoir la capacité de «disposer de leurs droits» et l’incapacité à compromettre est un motif d’annulation de la sentence arbitrale par le juge malgache. La personne qui va compromettre devra en ce sens avoir la capacité générale de contracter et la libre disposition du droit en litige dans la convention d’arbitrage. Un mineur n’a donc pas la capacité de compromettre40, ni le majeur en régime d’incapacité supposant un mécanisme de représentation telle la tutelle. La question se pose également si un débiteur en état de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peut convenir d’un arbitrage international. En matière de redressement judiciaire, le droit malgache prévoit qu’un dessaisissement partiel du pouvoir découlant de l’ouverture de la procédure aura pour conséquence que le syndic – qui représente les créanciers – devra assister obligatoirement le débiteur dans tout acte d’administration et de disposition de ses biens41.
Le débiteur ne peut ainsi passer un accord compromissoire sans l’autorisation préalable du syndic42. Pour la liquidation qui entraine un dessaisissement complet du débiteur, seul le syndic sous l’autorisation du juge commissaire pourra conclure une convention d’arbitrage eu égard au fait qu’elle est liée aux contestations qui intéressent collectivement les créanciers. Cette convention devra dans certaines conditions être homologuée par le tribunal de commerce43. Il est néanmoins à remarquer que cette solution s’éloigne de celle adoptée par le droit français où le dessaisissement est à contenu variable et où il faut, de ce fait, consulter le jugement d’ouverture de la procédure pour voir à quelles conditions l’intéressé peut valablement compromettre44. Une procédure d’arbitrage ne pouvait ainsi se porter sur les principes fondamentaux du droit des procédures collectives dont ceux portant sur la suspension des poursuites individuelles ou l’égalité des créanciers45.
Ainsi, une personne privée peut compromettre si elle possède la capacité juridique pour le faire. En ce qui concerne les sociétés commerciales, il est important de savoir le pouvoir de compromettre au sein de ces entités. Une société peut-elle s’opposer à l’application de la convention d’arbitrage du fait du défaut de pouvoir de son représentant ? Le droit des sociétés malgache a déjà prévu dans l’article 107 de la loi sur les sociétés commerciales le pouvoir des organes de gestion, de direction et d’administration pour engager la société sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait un mandat spécial46. La jurisprudence française sur la base des règles matérielles à l’arbitrage qu’elle a développé y a toutefois répondu par la négative en déclarant que «l’engagement d’une société à l’arbitrage ne s’apprécie pas par référence à une quelconque loi nationale [y compris celle sur la représentation d’une société commerciale] mais par la mise en oeuvre d’une règle matérielle déduite du principe de validité de la convention d’arbitrage fondée sur la volonté commune des parties, de l’exigence de bonne foi et de la croyance légitime dans les pouvoirs du signataire de la clause pour conclure un acte de gestion courante qui lie la société47». Le défaut du pouvoir du signataire de la convention ne pourra ainsi être invoqué par la société pour remettre en cause l’efficacité la convention d’arbitrage si le cocontractant a pu légitimement croire à l’existence d’un pouvoir de représentation. Cela est en soi une application de la théorie de l’apparence en matière d’arbitrage international tout en considérant l’accord compromissoire non plus comme un acte grave mais comme un acte de gestion courante de la société48.
Le contrôle sur la forme de la convention
La forme écrite (a), sous ses différents aspects (b), de la convention d’arbitrage est nécessaire afin de déterminer l’existence de l’accord compromissoire plus particulièrement lorsqu’il est référé dans plusieurs contrats (c).
a) La nécessité de l’écrit Au point de vue de l’arbitrage international, le droit malgache énonce la nécessité de la forme écrite de la convention d’arbitrage62 pour que celle-ci soit valide. Cette disposition du CPCM est identique à celle de la Loi-type63 et sous-tend une tendance formaliste de l’arbitrage international à Madagascar. En France, depuis longtemps, la jurisprudence a consacré le principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport aux lois étatiques. Ce principe a ainsi permis que la convention soit immunisée «face aux prohibitions venues du droit interne»64 et qu’une forme de règle matérielle propre, d’où s’inspirait le juge, en aurait été bâti65. De cet ensemble de règles, la jurisprudence a pu ainsi libérer l’arbitrage de tout formalisme en n’exigeant aucune forme écrite pour la convention d’arbitrage commercial international. C’est en ce sens que la CA de Paris a pu déclarer dans son arrêt du 24 février 2005 que «la convention d’arbitrage international n’obéit à aucune règle de forme, mais à un principe de validité qui repose sur le seul accord de volonté des parties». Depuis le décret français du 13 janvier 2011, la convention d’arbitrage international «n’est soumise à aucune condition de forme» selon l’article 1507 du CPCF et ainsi une convention verbale serait ainsi théoriquement admise. Cet article constitue une dérogation à l’article II de la Convention de New York dans le sens d’une plus grande faveur à l’arbitrage66. Néanmoins, l’écrit reste la solution la plus privilégiée en pratique car il est plus aisément utilisable comme preuve de l’existence de l’arbitrage même si d’autres formes de convention seraient admises.
b) Les différentes formes d’écrit et l’écrit électronique Ainsi, la loi malgache ne reconnait que l’écrit en tant que forme de la convention d’arbitrage international. L’article 453 al. 2 du CPCM a établit ainsi une énumération des formes admises pour la convention d’arbitrage écrite : celle «consignée dans un document signé par les parties ou dans un échange de lettres, de communications télex, de télégrammes ou de tout autre moyen de télécommunication qui en atteste l’existence». La loi malgache admet également l’échange de conclusions dans lequel l’existence d’une convention d’arbitrage est invoquée par une partie et qui est non contestée par l’autre. Il s’agit donc d’une exigence d’écrit ad validatem de l’existence d’une convention internationale67. Cela relèvera également d’une question pratique puisqu’il en sera plus facile de prouver la réalité du consentement des parties lors de la procédure d’exequatur de la sentence arbitrale68. La question de la reconnaissance de l’écrit électronique comme source de l’arbitrage se pose avec intérêt dans un monde où l’espace virtuel ne cesse de prendre de l’ampleur dans le domaine du droit69.
Le législateur malgache a déjà pris les devants en reconnaissant la validité des contrats70, les écrits71 et signatures72 électroniques. Il semblerait donc aux termes de l’article 270.1 nouveau de la LTGO que la forme électronique d’un acte sous seing privé soit admise comme étant un écrit valide au même pied que l’écrit manuscrit. Plus particulièrement, pour la convention d’arbitrage international soumis au CPCM, rien ne s’oppose à ce que les parties compromettent par voie d’écrit électronique d’autant plus que l’écrit compromissoire pourrait être prouvé par «tout autre moyen de télécommunication qui en atteste l’existence». Néanmoins, le législateur malgache n’ayant pas encore repris les amendements de la Loi-type adoptés en 2006 et notamment de son article 7 paragraphe 473, une formule claire sur la question de la convention d’arbitrage électronique aurait le mérite de préciser ce moyen dans un monde sans cesse en évolution. D’autant plus que la voie électronique présente l’avantage d’assurer la confidentialité et l’accès sécurisé du contenu, confidentialité et sécurité, des concepts si chers au droit de l’arbitrage74. La forme de la convention ainsi discutée, qu’en serait-il si l’acte d’arbitrage écrit se trouverait dans un acte séparé de l’acte de base auquel il se réfère ?
a) L’incompétence d’office du juge devant le tribunal arbitral 23. Ainsi, l’arbitrage entrainant la transmission de la fonction juridictionnelle du juge étatique à l’arbitre, il apparait dès lors évident que ce dernier bénéficie des pouvoirs habituellement accordés au juge dont celui de connaitre de sa propre compétence. L’on parle en ce sens de principe de compétence de la compétence vu aussi bien dans son sens positif que négatif. Au sens positif du terme, ce serait le principe qui permettrait «aux arbitres de connaitre des litiges tombant dans le champ d’application de la convention d’arbitrage121». Dans le sens négatif, il est entendu comme celui qui interdirait «aux juridictions étatiques de se prononcer sur ces mêmes litiges». Ce principe apparait ainsi comme une transposition de la règle en droit processuel selon lequel tout juge est juge de sa compétence, applicable devant les juridictions étatiques. Autrement dit, l’arbitre se mettant à la place du juge agira ainsi pour caricaturer les processualistes, en se posant la question de «la division du travail judiciaire : moi ou un autre122», privilège qui auparavant, soit avant le début des années 1980 pour le droit français123, appartenait à la seule justice étatique, le tribunal arbitral devant s’y conformer124.
Mais avant d’avoir inspiré les auteurs, le juge ainsi que le législateur français – en connaissant au passage une francisation du terme- le principe s’est initialement développé dans les écoles de pensée allemandes du XIXème siècle125 sous le terme de «Kompetenz-Kompetenz» reconnu en droit germanique comme «le pouvoir des juridictions allemandes de statuer sur leur propre compétence, sans que les autres pouvoirs, législatif et exécutif, ne puissent s’immiscer dans cette délimitation126». Le principe compétence–compétence permet ainsi une efficacité du processus arbitral en supprimant les blocages intempestifs constitutifs de «manoeuvres dilatoires» de la poursuite de l’instance quand le droit d’invoquer l’exception d’incompét abusivement soulevé127. Autre intérêt de cette règle, le juge arbitral pourra de lui-même délimiter ses sphères de compétence sur la base de la convention d’arbitrage, évitant de ce fait que la juridiction étatique et la justice arbitrale se saisissent en même temps d’un même litige avec le risque qu’elles statuent en sens opposé. Afin de pallier à ces saisines parallèles, différentes approches ont été adoptées par les textes aussi bien nationaux qu’internationaux. La Convention de New York128 par exemple autorise le juge d’Etat (ou plus précisément d’un Etat contractant) à apprécier la compétence arbitrale. Les juridictions américaines, elles, recourent occasionnellement aux injonctions anti-suit129. Ces exemples ont ainsi recueilli de manière hésitante le fait d’octroyer à des instances arbitrales le pouvoir initial de juger de la compétence en matière d’arbitrage international. D’autres pays, notamment la France, influencées par le courant de pensées favorable à la place de l’arbitrage dans la résolution des litiges, initièrent le pouvoir juridictionnel de l’arbitre de connaitre de sa compétence et ainsi en consacrant le principe compétence–compétence.
La conception positive du principe de la compétence–compétence impliquant que le tribunal arbitral puisse se saisir d’office pour connaitre de sa compétence en présence d’une convention d’arbitrage a été reconnue en droit français bien avant la réforme de 2011 et cela par le biais de la jurisprudence130, et réaffirmée par le décret de 2011 en même temps que l’effet négatif du principe131. L’article 1465 CPCF dispose ainsi que «le tribunal arbitral est seul compètent pour statuer sur les contestations relatives à son ence aurait été pouvoir juridictionnel». A Madagascar, le CPCM dans son article 45 paragraphe 1er prévoit également que «le tribunal arbitral statue sur sa propre compétence, y compris sur toute exception relative à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage». Au niveau international et régional, les principales conventions telles que la Loi-Type du CNUDCI (article 16.1), la Convention de Genève de 1961 (article V.3) ainsi que le droit OHADA (article 11 al. 1er de l’AUDA) vont dans le même sens que les dispositions internes même si la Convention de New York, d’une importance internationale, ne prévoit pas spécifiquement l’effet positif du principe compétence–compétence au profit de son effet négatif132. Le principe a pour conséquence que l’arbitre puisse connaitre non seulement du fond du litige mais également des mesures provisoires ou conservatoires comme reconnu en droit malgache par l’article 456 du CPCM. Bien antérieurement à la reconnaissance législative, le principe de la compétence–compétence s’est imposé au niveau jurisprudentielle en tant que principe général du droit de l’arbitrage et la haute juridiction française a ainsi reconnu qu’«il appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence133». Ce pouvoir reconnu du tribunal arbitral envers le pouvoir juridictionnel du tribunal étatique n’est toutefois pas entier puisque la sentence arbitrale pour être entièrement efficace reste soumise – soit a priori, contrôle tendant à s’amenuiser du fait du principe de validité de la convention compromissoire, soit a posteriori lors du contrôle du recours en annulation.
Liste des principales abréviations (par ordre alphabétique) |