Avant de développer les enjeux de la boxe thaïlandaise, il est primordial de définir ce sport afin d’identifier s’il entre dans la catégorie des arts martiaux ou des sports de combat.
La boxe thaï ou Muay Thaï naquit en Thaïlande autour du XVe siècle. Cet art martial profondément enraciné dans la culture thaïlandaise s’est développé dans les autres continents au XXe siècle (Carter & Boyard, 1997, p.5). La boxe thaïlandaise moderne se fonde sur des pratiques martiales ancestrales à poings nus, le Muay boran (boxe thaïlandaise traditionnelle) (Dezes, 2014, p. 11). Elle est un héritage des princes guerriers du Siam, devenue aujourd’hui un sport de combat en plein essor (Savoldelli & Do-Truong, 1999 ; Rennesson, 2012). En compétition, nous pouvons assister à une ambiance « ring » d’une rare violence, véritable spectacle entre deux adversaires aguerris et surexcités (Poy-Tardieu, 2001, p.174). La boxe thaïlandaise est une discipline rude. Elle entre dans la catégorie de boxe « pieds-poings » la plus efficace, qui autorise l’usage des jambes, des bras, des coudes et des genoux pour frapper, tout en y alliant des techniques de corps à corps et de projection. Elle est la synthèse de différentes techniques de boxe (anglaise, française, américaine, etc. (Carter & Boyard, 1997, p.5). Considéré comme le plus agressif et le plus violent des sports d’autodéfense, le Muay Thaï, dans sa forme actuelle, existe depuis environ 70 ans (Savoldelli & Do-Truong, 1999, p. 24).
Conformément aux dires des auteurs, la boxe thaï se définit aujourd’hui comme un sport de combat agressif et violent. Suite à cette définition, il semble essentiel d’identifier l’historique de la boxe thaï afin de comprendre pourquoi elle s’est transformée en sport de combat et d’analyser ses enjeux.
Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la boxe thaïlandaise aurait été enseignée aux militaires et à certains souverains. Les combats souvent mortels, opposaient des combattants qui se protégeaient avec divers matériaux tels que des crins de cheval et du verre pilé. Selon Carter et Boyard (1997, p.8), ces pratiques auraient laissé place aujourd’hui à des méthodes plus conventionnelles et moins dangereuses.
Lors de la seconde moitié du XIXe siècle, sous le règne de Chulalongkorn, le Muay Thaï se définit comme une discipline séparée des arts martiaux. Chulalongkorn organisait des manifestations de boxe qui réunissaient des boxeurs de toutes les régions du Siam dans le but de représenter leur gouverneur de province. Durant le temps de ces compétitions, les boxeurs recevaient des salaires. Ainsi, cette période marquerait les débuts d’un mouvement de professionnalisation de la pratique de la boxe thaïlandaise. L’enseignement du Muay thaï sort désormais des casernes militaires et des temples bouddhistes (Rennesson, 2012, p. 20).
Rennesson (2012, p.20) affirme que le Muay thaï moderne apparut en Thaïlande dès le début du XXe siècle et que sa pratique est de plus en plus associée aux individus qui entrevoient le ring comme lien d’ascension sociale. C’est d’ailleurs à cette époque que le financement des camps et des compétitions pour les non nobles devient possible. Des hauts fonctionnaires, des militaires et des hommes d’affaire s’improvisent comme promoteurs de la boxe thaïlandaise professionnelle. Cette démocratisation s’accompagne de la création des premiers stades à Bangkok, et à partir des années 1910, l’armée prend le relais de l’aristocratie dans la promotion du Muay Thaï.
Les décès étaient encore fréquents au début du XXe siècle malgré les règles établies par le gouvernement, affirment Savoldelli et Do-Truong (1999, p.13). A partir de 1930 la boxe thaïlandaise adopterait quelques règles de la boxe anglaise et les gants de cuir feraient leur apparition. De plus, les coquilles en métal permettraient d’assurer une meilleure protection et les individus seraient classés par catégorie de poids. C’est la naissance de la boxe thaï d’aujourd’hui. Selon Rennesson (2012, p.20), les puissances coloniales occidentales s’étonnèrent de la violence de ce sport, ainsi, la boxe thaïlandaise se serait standardisée sur la base de critères plus conformes à l’idée de sport dans les pays occidentaux.
Selon les auteurs, la boxe thaï aurait subi plusieurs modifications, au fil du temps, avant d’atteindre sa forme actuelle. D’ailleurs, dans sa forme traditionnelle, il semblerait que le manque de protection et de règles ainsi que l’utilisation des armes entraînaient la mort de ceux qui la pratiquaient. Il est également explicité que les pays occidentaux trouvaient ce sport trop dangereux, c’est pourquoi ils auraient modifié certains critères. Ainsi, la boxe thaï d’aujourd’hui est-elle réellement un sport de combat emprunte d’agressivité et de violence comme l’ont décrit précédemment Savoldelli et Do-Truong (1999) ainsi que Poy-Tardieu (2001) ?
LES ENJEUX DES SPORTS DE COMBAT
D’après la définition et l’historique de la boxe thaïlandaise, les auteurs la définissent comme étant un sport de combat. Ainsi, l’identification des enjeux des sports de combat me permettra de mieux saisir ceux de la boxe thaï.
Selon les dires de Di Marino (2008, p.174), le courage, la loyauté, la prise de conscience de ses propres moyens, l’attitude positive en cas de difficultés sont des qualités que chacun peut acquérir grâce à une pratique régulière des sports de combat. En fait, il s’agirait d’aspects psychologiques positifs qui découlent de toute activité sportive.
Lopes, auteur cité par Pugin (2007, p.20), soutient le fait que les jeunes aient des passions et des activités sportives qui leur permettent d’évacuer leurs impulsions. Il affirme que dans les sports de combat, la part individuelle est importante, ce qui pousse à aller au fond de soi pour trouver les ressources nécessaires. Toutefois, l’auteur comprend les personnes qui ont peur que les jeunes s’engagent dans ces sports, car leur pratique pourrait intensifier leur comportement violent. En effet, il ne faut pas négliger cet éventuel risque. Le professeur semble jouer un rôle très important et devrait être bien formé dans le but de prévenir les dangers. Poy-Tardieu (2001) et Di Marino (2008) soulignent également que les sports de combat sont principalement pratiqués par des individus qui recherchent des méthodes de combat expéditives plutôt que des concepts bouddhistes et répondraient donc aux personnes qui souhaitent exalter leur force et leur agressivité.
Cependant, tous les auteurs n’ont pas la même perception concernant les sports de combat. Conformément aux dires de Savoldelli et Do-Truong (1999, p.187), un jeune qui pratique un sport de combat ne devient pas pour autant un bagarreur, mais trouve, au contraire, le moyen de libérer son agressivité. Pugin (2007, p.88) affirme que l’agressivité ne peut pas disparaître totalement, car elle serait souvent causée par l’environnement, cependant, le jeune apprendrait à se contrôler et à utiliser un autre type de dialogue que la voie de la violence. Dans certaines cités françaises, le taux de criminalité aurait même baissé de 30% après que des activités sportives furent instaurées telles que les sports de combat. Les jeunes ayant des comportements violents y trouveraient facilement leur compte, car ils connaissent déjà le type de communication de ces sports sous une forme non cadrée, où l’adversaire est à détruire. Lors d’entraînement, l’adversaire deviendrait plutôt un partenaire qui permet l’évolution technique (Pugin, 2007, p. 80).
Le full-contact et le kick-boxing tel que le conçoit Pugin (2007, p.31) se définissent comme étant des sports de combat à la fois défensifs, éducatifs et thérapeutiques. Grâce à l’intégration des règles morales élaborées dans un règlement précis et adapté, la confrontation serait possible dans le respect. Les jeunes intègreraient des règles souvent absentes et floues dans leur environnement telles que : être à l’heure, respecter les consignes et ses partenaires, respecter la hiérarchie, apprendre à se dépasser, se concentrer sur une action, donner sa confiance à l’autre, etc. (Pugin, 2007, p.32).
Les programmes d’éducation physique (EP) en France utiliseraient la boxe sans danger, que Ferdinand Lagrange (1899), auteur cité par Groenen et Ottogalli-mazzacavallo (2011, p.7), considère comme «le plus hygiénique des sports» et qui s’adapte le mieux à l’éducation physique du jeune homme et de l’enfant. C’est en tant que l’une des meilleures «gymnastiques correctives» ou encore, comme un exercice «aux effets généraux qui retentissent rapidement sur les organes centraux», que la boxe française justifierait son statut éducatif de nos jours, selon le Docteur Diffre que les auteurs nomment (Groenen & Ottogalli-mazzacavallo, 2011, p.8). Toutefois, dans le Règlement Général d’éducation physique de 1925, la boxe, la canne de combat et le jiu-jitsu seraient envisagés en tant que moyen de «mise hors de combat d’un adversaire» et il serait dangereux pour les adolescents de les introduire dans le cadre de la leçon d’éducation physique. Au XXème siècle, d’après Brousse (1996), cité par les auteurs (Groenen & Ottogalli-mazzacavallo, 2011, p.9), les activités physiques de combat (APC) se définissent comme disciplines sportives, qui inculquent l’audace et le courage. Les Instructions Officielles (IO) du 1er juin 1945 relatives à l’Éducation Générale et Sportive (EGS) décrivent également qu’elles contribueraient à l’éducation de l’esprit d’équipe, de la discipline, de la virilité, de l’altruisme et de la vie sociale.
Groenen et Ottogalli-mazzacavallo (2011, p.10) rappellent que Baquet (1942) défend le rôle des sports de combat comme outil éducatif, mais surtout pour les garçons. Selon lui, ces sports permettraient de connaître ses propres moyens, ainsi que ceux de ses camarades, d’acquérir une plastique irréprochable et d’endurcir l’individu grâce au goût de l’effort et de la persévérance. De plus, d’après l’auteur, les sports de combat contribueraient au développement des qualités physiques telles que la vitesse, l’adresse, la résistance et la force, mais permettraient également d’augmenter les capacités morales. Benhaim-Grosse, cité par Groenen & Ottogalli mazzacavallo (2011, p.15), souligne que les APC ne sont plus officiellement réservées aux garçons depuis 1985, toutefois, la littérature ne traite que rarement la question de la mixité dans ces activités. Une majorité d’enseignants estimerait d’ailleurs que la mixité est difficile à mettre en place et rarement enrichissante dans ces sports.
1 Introduction |