La boue de station d’épuration
La boue résiduaire contient la plupart des éléments polluants retirés des eaux usées. C’est un mélange hétérogène de microorganismes, de fibres, de particules colloïdales et non colloïdales, d’éléments métalliques, de polymères organiques et de divers autres constituants dans l’eau dont la composition peut varier considérablement selon l’origine de la boue, la saison, la température, … [1]. Dans la boue résiduaire urbaine, la matière organique représente 50 à 70 % de la matière sèche des boues. Elle se compose de lipides, fibres (cellulose, hémicellulose et lignine), protéines, amidon, sucres simples et pectines. Une large partie de cette matière organique se présente sous la forme de polymères extra-cellulaires (PEC) [2,3]. D’un point de vue physique, la boue peut être définie comme une suspension de particules suspendues dans un fluide contenant des polymères extra-cellulaires (PEC) formant dans l’eau une structure tridimensionnelle de type gel [4]. Chaque année, environ 1 million de tonnes de matière sèche de boues urbaines sont produites. δa gestion d’une telle quantité de boues produites constitue un véritable défi pour les municipalités. δ’économie circulaire d’aujourd’hui incite à la valorisation des boues urbaines par recyclage en agriculture, par transformation en compost normé ayant un statut de produit ou par la production d’énergie [5].
Voies de valorisation de la boue
Les filières de valorisation par incinération spécifique et co-incinération traitent environ 18 % de la production française de boues. Environ 4 % de la production est envoyé dans des centres d’enfouissement technique. Une part de 33 % est valorisée en compostage. δa valorisation par épandage est la voie privilégiée, à raison de 43 % de la production de boues pour des raisons de coûts de mise en œuvre et l’intérêt agronomique (source ADEεE [6]). La gazéification et la pyrolyse ne sont pas encore appliquées à l’échelle industrielle, à notre connaissance. En général, les boues subissent, en sortie de la station d’épuration, une étape d’épaississement suivie d’une déshydratation mécanique, par pressage ou centrifugation. Au mieux, ces traitements permettent d’atteindre des siccités de l’ordre de 25 à 35 % [7]. Afin de pouvoir intégrer les différentes voies de valorisation et d’élimination, il est nécessaire d’accroitre la siccité de la boue dans la plupart des cas (Tableau 1). En effet, il faut atteindre une siccité de 30 à 45 % pour une incinération spécifique. Une siccité de 60 % est nécessaire pour une coincinération de la boue avec des ordures ménagères. Plus de 85 % de siccité est attendu pour la pyrolyse et la gazéification. Une étape de séchage devient donc indispensable après l’étape de déshydratation mécanique, pour continuer à retirer de l’eau du produit.
Problématique de la phase plastique
Quelle que soit la filière de valorisation agricole ou énergétique, une succession de traitements et de manutentions, telle que le pompage, le transport, le stockage, la déshydratation mécanique ou thermique au cours de ces traitements sont nécessaires. Au cours de ces divers traitements, les boues passent par une phase dite « plastique » [9–12]. Les propriétés cohésives et adhésives augmentent significativement, posant des problèmes techniques lors de leur manutention. Citons les exemples suivants : – Pendant le stockage, les boues adhèrent aux parois des silos ce qui rend la vidange difficile. – Lors de la déshydratation mécanique par filtre-presse, à cause du caractère adhésif (Figure 1, à gauche), les gâteux de boues adhèrent au filtre. La boue devient très difficile à détacher des tissus filtrants, ce qui induit à une augmentation remarquable du temps de décharge [13]. – Dans le cas de la déshydratation thermique, l’état collant (Figure 1, à droite) entraine à la fois des dommages mécaniques dans l’installation, une augmentation de la puissance mécanique nécessaire à l’agitation, une diminution de la vitesse de séchage et une réduction de la capacité du sécheur [7,9–17].
La valorisation des boues nécessite donc de maîtriser ses propriétés rhéophysiques afin d’optimiser les procédés de traitement, de minimiser leur consommation énergétique et de faciliter leur recyclage
Techniques d’identification de la phase plastique
Depuis plusieurs années, un certain nombre d’auteurs tentent de développer des outils expérimentaux pour caractériser cette phase plastique et trouver des solutions alternatives. Les principales techniques sont présentées dans ce qui suit.
Limites d’Atterberg
Certains auteurs ont adopté une approche utilisée en mécanique des sols, connue sous le nom de limites d’Atterberg. Avec de tels tests empiriques, les siccités, auxquelles se produisent les transitions entre l’état liquide et plastique (Si, la limite de liquidité) et entre l’état plastique et granulaire (Si, la limite de plasticité), sont déterminées à température ambiante. En dessous de la limite de liquidité Si, la boue est dans un état liquide. Au-dessus de la limite de plasticité Si, la boue devient un matériau à consistance granulaire. Pour ne pas confondre entre les boues granulaires (aérobie/anaérobie) et les boues granulaires déshydratées, nous désignons ces dernières par boues déshydratées à consistance granulaire. Entre ces deux cas, la boue est dans un état intermédiaire, plastique ou pâteux, comme l’illustre la Figure 2. La limite de liquidité est souvent déterminée par la méthode de la coupelle et la limite de plasticité au rouleau (NF P 94 051 ou ASTM D 4318). La méthode de la coupelle consiste à appliquer une rainure au milieu d’un sol placé dans une coupelle. Ensuite, déterminer la siccité pour laquelle la rainure se ferme sur plus de 1 cm lorsque la coupelle et son contenu sont soumis à une répétition de 25 chocs. Pour la limite de plasticité, elle correspond à la siccité à partir de laquelle un rouleau de sol de dimensions connues (3 mm de diamètre et 10 cm de longueur) se brise en morceaux [19,20]. D’après Ruiz et al. [21–23], le principal facteur impactant la consistance physique d’une boue résiduaire est la teneur en matières organiques (MO). Plus la boue est organique, plus elle retient d’eau et sa transition de l’état liquide vers l’état plastique se produit à des niveaux de siccité plus bas. Le type de boue et le traitement subi sont également des facteurs impactant la consistance physique d’une boue résiduaire, comme le montre le Tableau 2. Par exemple, pour une même teneur en matières organiques de 75 % (base sèche), la phase plastique se situe entre 12 et 18 % pour une boue anaérobie déshydratée par convection et entre 16 et 42 % pour une boue aérobie déshydratée par filtre-presse.
Méthode de Jenike
Cette méthode a été développée par Jenike dans le cadre de la conception de silos et est devenue depuis une norme industrielle pour caractériser les propriétés d’écoulement des poudres et des milieux granulaires. Le principe consiste à appliquer une contrainte normale sur l’échantillon pour créer une consolidation et, ensuite, d’exercer une contrainte tangentielle sur la partie supérieure du dispositif (Figure 3). À partir de ce test, la contrainte de cisaillement de rupture de l’échantillon (la force nécessaire pour déplacer la partie supérieure) est déterminée. Peeters et al. [26] ont adapté ce principe pour mesurer à température ambiante les contraintes adhésives de boues dont la siccité varie de 9 à 99 %. L’appareil est composé d’une paire de cylindres coaxiaux : un creux et l’autre plein (Figure 4, à gauche). L’échantillon de boue est introduit dans le cylindre creux. Le cylindre plein est ensuite placé dans le cylindre creux pour consolider la boue contre la table. À partir de ce moment, de faibles masses (de 3 g chacun) sont introduits toutes les 5 secondes dans le récipient jusqu’à ce que le cylindre contenant la boue commence à glisser sur la surface de la table. Une fois que le cylindre commence à glisser, le poids total, M, est enregistré. La contrainte de cisaillement τ nécessaire pour provoquer le glissement de la boue consolidée est calculée (Equation 1) et tracée en fonction de la siccité de la boue (Figure 4, à droite).