La biodiversité facteur de cohérence pour un développement durable

Dans la nature, chaque être vivant est unique mais jamais isolé. Il est lié à son environnement, aux autres êtres vivants qui l’entourent. Sa nourriture, sa reproduction et toutes ses autres activités en dépendent. Tous les éléments composant la biosphère, aussi différents soient-ils les uns des autres sont interreliés. Cette vision réticulaire de la nature semble se refléter dans le droit qui lui est applicable. Les règles juridiques en matière de biodiversité, leur élaboration, leur édiction, leur mise en œuvre sont, de plus en plus formées selon des modalités rappelant la structure du réseau. La diversité des acteurs concernés par une prise de décision en la matière va être consultée et participer à son élaboration. C’est la volonté d’une démocratie participative. Parallèlement, il faut observer la diversité croissante des instruments juridiques au caractère contraignant ou non ainsi que le développement de la contractualisation. Ces développements répondent à de nouveaux besoins qui ne peuvent trouver satisfaction dans les seuls outils classiques. Enfin, des institutions très variées en termes de compétences et de champs d’actions se multiplient au rythme de la mise en lumière de nouveaux problèmes écologiques. Le droit est face à une demande croissante et multiple de reconnaissance de la diversité auquel il ne peut être simplement répondu par le pouvoir d’englober des éléments divers, il convient également de permettre l’expression de la diversité.

La structure réticulaire permet de lier et d’organiser des éléments très variés. Elle s’impose peu à peu permettant au droit d’envisager la multiplicité de la biodiversité. La protection juridique de la biodiversité marine est particulièrement révélatrice à cet égard. La mer est un lieu où la souveraineté des États est multiple : souveraineté de l’État du port, de l’État du pavillon, de l’État côtier. Elle subit même des gradations : l’État côtier est souverain en mer territoriale et dispose d’une juridiction ou de droits souverains en zone économique exclusive. De nombreuses institutions sont créées, permettant d’inscrire le dialogue inter-étatique dans le temps. Parallèlement, de multiples acteurs sont concernés par les décisions prises en matière de biodiversité marine, comme, entre autres, les pêcheurs, les transporteurs, les associations de protection de la nature. Cet ensemble tisse un réseau juridique original et particulièrement fourni.

Il apparaît dès lors que la biodiversité offre une vision englobante de la nature   qui permet de concilier les finalités d’exploitation et de protection, tout en tenant compte de la diversité des situations appuyant la réalisation d’un développement durable.

La notion de biodiversité est déstabilisante par la difficulté que l’on peut rencontrer de prime abord à la définir clairement. Elle semble être utilisée sous différentes acceptations. Dès lors, le flou entourant sa signification pourrait conduire au rejet du terme lui même, perçu comme une notion fourre-tout sans utilité pratique. A l’inverse, c’est son caractère protéiforme qui donne à la notion de biodiversité tout son intérêt. Tout en mettant l’accent sur sa diversité, elle apporte une vision englobante de la nature, au sens de l’ensemble de la biosphère y compris l’être humain, par son caractère réticulaire d’une part   et par son double caractère économique et environnemental d’autre part.

La diversité biologique est une expression d’origine scientifique, inventée et utilisée par les biologistes. Sa définition fait l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Il n’y a pas lieu d’exposer ici l’ensemble des ramifications de ces controverses. Cependant, il est important d’avoir une vision synthétique de ce que recouvre cette notion pour comprendre ses implications en droit et le choix de sa définition juridique dans la Convention sur la diversité biologique. Afin de mieux la comprendre, il convient de l’analyser en fonction de sa structure réticulaire. La diversité biologique permet d’exprimer la complexité de la nature au travers des multiples éléments et interrelations qui la composent et qui permettent son renouvellement. Elle comporte un double caractère à la fois qualitatif et quantitatif (A). Ses éléments sont tous inter-reliés (B).

La diversité biologique « est une notion complexe, dynamique et relationnelle» . Si elle désigne le monde vivant dans son ensemble, c’est en insistant sur le caractère diversifié de celui-ci. Une telle accentuation peut recouvrir différentes perceptions. En effet, la diversité peut être envisagée sous un angle quantitatif et qualitatif. Aussi, convientil de s’interroger sur la ou les significations de cette mise en valeur de la diversité pour appréhender le monde vivant afin d’en éclaircir les implications juridiques et notamment une meilleure compréhension de la définition que donne la Convention sur la diversité biologique de la notion éponyme. Comme la lumière, dont la physique quantique a montré qu’elle était à la fois une onde et une particule, la notion de biodiversité réunit deux caractéristiques qui paraissent pourtant exclusives: elle désigne à la fois un ensemble (1) et une variabilité (2).

Afin de saisir les caractéristiques de la diversité biologique, il convient d’en donner quelques définitions. En effet, la notion ne peut être résumée par une définition unique, tant celle-ci fait débat. Sans entrer dans le détail de controverses appartenant à d’autres disciplines, outre la définition juridique qu’en donne la Convention sur la diversité biologique, il conviendra d’analyser deux définitions scientifiques représentatives. Dans la Convention sur la diversité biologique, la notion éponyme est définie comme suit : « Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes » . Ces derniers sont eux-même définis comme : « Le complexe dynamique formé de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment une unité fonctionnelle » . Les complexes écologiques ne sont pas définis. Il semble qu’ils visent la diversité des paysages et des régions.

Cette définition doit être mise en parallèle avec celle de E. O. Wilson : « La diversité des organismes considérée à tous les niveaux, depuis les variants génétiques appartenant à la même espèce jusqu’aux gammes des espèces et aux gammes des genres, familles, des catégories taxinomiques de plus haut niveau. Elle comprend également la diversité des écosystèmes lesquels sont constitués à la fois de la communauté des organismes vivant au sein d’habitats particuliers et de l’ensemble des conditions physiques qui y règne » ; ainsi qu’avec celle du Global Biodiversity Assesment : « La totalité des gènes, des écosystèmes et des espèces dans une région ».

Cette dernière définition met en exergue la biodiversité en tant qu’ensemble. Il s’agit d’une vision comptable de la notion. De nombreux travaux sont d’ailleurs menés sur le point de savoir comment compter la biodiversité en général ou celle d’un site en particulier . Les recherches portant sur la biodiversité, en ce sens, conduisent à l’élaboration d’inventaires, menés par des taxinomistes, comme c’est le cas dans le cadre de l’initiative taxonomique mondiale . Sous un angle plus appliqué, il s’agit de la bioprospection qui vise à rechercher des gènes et autres substances biologiques utiles pour l’industrie.

La définition de la Convention sur la diversité biologique n’exprime pas directement cette conception de la biodiversité. Néanmoins, les obligations des États pour protéger la biodiversité portent notamment sur les éléments de celle-ci. En effet, les objectifs énoncés par la Convention sont « (…) la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques (…) ».

Table des matières

Introduction
Section 1 : La biodiversité, une vision englobante de la nature
Section 2 : La biodiversité : un outil de conciliation des finalités environnementale et d’exploitation
1° Partie : La biodiversité révélatrice de la multiplicité des modes d’appropriation du vivant
Titre 1 : Maîtriser l’accès aux éléments de la biodiversité marine
Chapitre 1 : Les revendications multiples de droits souverains sur la biodiversité marine
Section 1 : La construction de la souveraineté permanente des États sur les ressources naturelles
Section 2 : Le titulaire de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles : la question de la revendication autochtone
Chapitre 2 : Les aléas d’un régime juridique fondé sur les droits souverains des États
Section 1 : Le contrôle par les États côtiers de l’accès à la biodiversité marine : une emprise à géométrie variable
Section 2 : Les limites sur zonage dans la définition des régimes d’accès à la biodiversité : le cas des écosystèmes abyssaux
Titre 2 : Maîtriser l’accès à la connaissance
Chapitre 1 : L’appropriation des connaissances sur la biodiversité
Section 1: La privatisation rampante des connaissances portant sur la biodiversité
Section 2 : Les tentatives de conciliation entre droit de propriété intellectuelle et souveraineté permanente des États sur leurs ressources génétiques
Chapitre 2 : La circulation des connaissances et techniques
Section 1 : Les mesures en faveur de la circulation des connaissances et techniques
Section 2 : Les obstacles à la circulation des connaissances et techniques
2° Partie : La biodiversité facteur de cohérence pour un développement durable
Titre 1 : Une prise de décision holistique
Chapitre 1 : L’approche écosystémique : un cadre permettant d’embrasser la complexité.
Section 1 : Approche écosystémique et écosystème : un nouveau cadre de réflexion
Section 2 : Approche écosystémique et écosystème : un nouveau cadre spatial de délimitation de l’action
Chapitre 2 : L’approche écosystémique : une approche intégrative
Section 1 : L’élimination des frontières sectorielles : une approche intégrée
Section 2 : La redéfinition des frontières entre droit de savoir et droit de décider
Titre 2 : Une responsabilité commune
Chapitre 1 : L’interdépendance : fondement de la responsabilité commune
Section 1 : Une action assumée en commun
Section 2 : Une action menée en commun
Chapitre 2 : La temporalité : condition de la responsabilité commune
Section 1 : Intégrer le risque dans la décision : la précaution
Section 2 : La gestion adaptative : construction d’un savoir-faire
Conclusion

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