La biodiversité agricole et forestière des Ribeirinhos de la Forêt Nationale du Tapajós
SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX ET BIODIVERSITE VEGETALE
Cette partie s’intéresse aux savoirs locaux associés à la biodiversité végétale, en se focalisant particulièrement sur la diversité végétale forestière. Les classifications locales des formations forestières sont analysées dans un premier temps en se fondant sur les discours des informateurs (chapitre 8). Les savoirs locaux liés à la régénération forestière sont ensuite présentés (chapitre 9). Enfin, le chapitre 10 présente les formes d’identification, de dénomination et de catégorisation des végétaux (forestiers ou non) et les correspondances entre nomenclature locale et nomenclature scientifique. CHAPITRE 8 Le paysage forestier Les Ribeirinhos utilisent 21 termes pour désigner les forêts, parfois synonymes ou révélant de légères différences dans la perception écologique de la mosaïque forestière. L’ensemble de ces termes est regroupé en trois « catégories complexes » au sens de Friedberg (1974), à savoir l’igapó, la mata (incluant la mata queimada) et la capoeira (incluant la juquira).
Les différentes forêts
Igapó
Les igapós sont définis par les Ribeirinhos comme étant des forêts temporairement inondées pendant la saison des pluies, où se jettent les igarapés (ruisseaux) et les grotas, ces derniers désignant à la fois les bas-fonds et les ruisseaux qui les parcourent. Les grotas, tout comme les igarapés, sont bordées de nombreux palmiers tels que l’açaí, le buriti, le patauá, le bacabeira.
Mata et mata queimada
Les termes mata, mata grossa, mata alta, mata virgem, mata bruta, mata verde, ou encore floresta désignent la forêt de terre ferme qui est considérée comme n’ayant jamais été brûlée ni déforestée à des fins agricoles, mais qui est néanmoins occasionnellement exploitée pour le bois, les produits forestiers non ligneux et la chasse. En ce sens, elle n’a pas la même signification qu’une forêt vierge en écologie qui est supposée n’avoir subi aucune influence anthropique. 162 “A mata grossa que a gente chama é a mata onde nunca foi feita roçado nem derrubada. É a mata virgem, a mata bruta, a matona. É da natureza mas se tira paus na mata grossa também.” [9] “Ce que nous appelons la grosse forêt est la forêt où aucun abattis n’a été installé et qui n’a pas été déboisée [à des fins agricoles] C’est la forêt vierge, la forêt brute, la matona. Elle est naturelle (de la nature) mais on peut aussi [y] prélever des arbres.” [9] “A floresta é a mata alta virgem. Ela nunca foi derrubada, nada foi feito nela….só mesmo as pessoas andando nela, as vezes caçando, tirando uma palha, tirando cipó, cascas de alguns paus, ou algumas madeiras.. mas é difícil tirar madeira la na mata alta pois na capoeira já tem.” [1] “La floresta est une grande forêt vierge. Elle n’a jamais été déforestée, rien n’a été fait dans cette forêt… Seules les personnes s’y déplacer, parfois pour chasser, pour recueillir des jeunes feuilles de palmiers, des lianes, l’écorce de quelques arbres, ou du bois… Mais c’est rare de retirer du bois dans la grande forêt parce qu’il y en a dans la capoeira (forêt secondaire post agricole).” [1] “A mata verde nunca foi trabalhada nem queimada.” [10] “La forêt verte n’a jamais été travaillée ni brûlée.” [10] Pour un seul informateur en revanche, le terme mata virgem est plus restreint et concerne les forêts primaires n’ayant jamais subi d’extraction de bois. Pris dans ce sens, la mata virgem est synonyme de mata pura. “A mata virgem é aquela que nunca foi mexido um pau la dentro, nem para roçar.”[3] “La forêt vierge est la forêt où jamais un arbre n’a été retiré, même pour établir un abattis. ”[3] Le terme matona est utilisé plus particulièrement pour insister sur l’éloignement de la forêt par rapport au village. “Matona quer dizer que é a mata está longe… Se eu falo para minha mulher que vou lá na matona, ela sabe que vou demorar, pois é muito longe.” [4] “La matona désigne la forêt qui est distante… Si je dis à ma femme que je vais dans la matona, elle sait que je vais tarder car c’est très loin.” [4] Le terme mata prête cependant à confusion car il désigne également, selon les informateurs interrogés, les forêts secondaires post agricoles ayant repris l’apparence d’une mata virgem après de nombreuses années : “Muitas pessoas pensam que uma mata é uma mata virgem mas não é, porque tem a mata virgem que nunca foi mexida, e tem a mata que já foi mexida mas que já tornou renovar a ser mata…”[3] “Beaucoup de personnes pensent que la mata est une forêt vierge mais ce n’est pas le cas, parce qu’il y a la forêt vierge qui n’a jamais été perturbée et il y a la mata qui a déjà été perturbée mais qui est redevenue une forêt…”[3] 163 Lorsqu’une portion de mata virgem subit le passage d’un feu accidentel (issu de la propagation d’un brûlis non contrôlé), elle est désignée sous le terme mata queimada. Cette formation est toujours considérée comme étant une mata puisqu’elle est encore « naturelle », car non exploitée à des fins agricoles. Cependant, il n’est pas exclu qu’à posteriori, elle soit intégrée dans le cycle agricole au même titre que la mata virgem. “Mesma queimada, ela fica mata virgem, pois, ninguém meixeu aqui para roçar. Só da para ver que o fogo passou aqui, pois ela é baixa.”[3] “Même brûlée, elle reste une forêt vierge parce que personne ne l’a perturbée (bougée) pour [la] cultiver. Le passage du feu ici ne se remarque que par sa petite taille.” [3] La plupart des Ribeirinhos interrogés considère qu’une mata queimada revient à son stade initial de mata virgem après plusieurs années. En revanche, même en regagnant son statut de mata virgem la présence de troncs brûlés trahit le fait qu’il s’agit d’une mata queimada reformada (« reformée »). Les arbres sont également perçus comme étant différents de ceux de la mata. “Mesmo reformada, a mata nunca vai ser como a primeira mata virgem, pois, os paus não engrossam como aqueles que tinha na primeira mata…” [7] “Même régénérée (reformée), la forêt ne sera jamais comme la première forêt vierge car les arbres ne grossissent pas comme ceux qu’il y avait dans la première forêt…”[7] La distinction entre la mata et la mata queimada se fonde également sur des critères liés à structure de la forêt et en particulier au sous-bois. Pour décrire ce dernier, les villageois font référence à: -la taille et à la densité des adventices (mato55) à travers les notions d’ouverture et de fermeture, de propreté et saleté, de beauté et de laideur (aberto/fechado, limpo/sujo, bonito/feio), -l’éclairement du sous-bois (clair/sombre, claro/escuro), -la capacité d’une personne à s’y déplacer (fácil/difícil de andar). -la profondeur du champ de vision (fácil/difícil de enxergar).
INTRODUCTION |