Les mathématiques en contexte scolaire et au quotidien

La pertinence sociale et scientifique

Dès les premiers paragraphes du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), on peut lire que ce dernier « met l’accent sur l’exploration et l’approfondissement des dimensions de la vie quotidienne, amenant les élèves à tisser des liens entre leurs apprentissages et les situations de la vie courante» (MELS, 2006, p. 4). Quelles raisons justifient une si grande préoccupation pour l’établissement de liens entre les apprentissages scolaires et la VIe quotidienne des élèves? Deux concepts scientifiques peuvent, selon nous, expliquer l’intérêt pour un tel sujet. D’une part, l’utilité perçue d’une discipline, facette importante de la motivation scolaire, favoriserait de façon significative l’engagement de l’élève envers ses apprentissages (Claveau, 2006; Husman & Shell; 2008). D’autre part, la reconnaissance des situations dans lesquelles pourront être réutilisés les apprentissages réalisés serait une prémisse importante au transfert des connaissances, concept majeur dans la plus récente réforme des programmes. Bien que les recherches sur l’utilité perçue et le transfert des apprentissages mettent en évidence l’intérêt de se pencher sur la reconnaissance de ces situations, force est de constater, à travers notre recension des écrits, que peu d’entre elles se sont intéressées à cet aspect précis chez les élèves québécois du primaire. Après en avoir fait état, une brève présentation des études s’étant penchées sur la distinction entre les mathématiques pratiquées à l’intérieur et à l’extérieur du cadre scolaire vient elle aussi réaffirmer ce peu d’intérêt pour la perception qu’ont ces élèves de l’utilité des mathématiques pour leur vie quotidienne. Enfin, les quelques écrits ayant fait état de la question bouclent la présente section de ce mémoire. Précisons avant tout que de nombreuses recherches sur la contextualisation des apprentissages, les domaines d’expérience et la pédagogie par le lieu abordent elles aussi cette thématique. Nous choisissons toutefois de ne pas nous attarder à ces dernières puisqu’elles se centrent davantage sur l’acte d’enseigner que sur le processus d’apprentissage.

L’importance de l’utilité perçue

Selon plusieurs chercheurs (Claveau, 2006; Husman, McCann & Crowson, 2000; Husman & Shell, 2008; Shell & Husman, 2001 ; Simon, Dewitte & Lens, 2000), un lien étroit existe entre la motivation de l’élève à s’engager dans un apprentissage quel qu’il soit et le côté utilitaire, présent ou futur, de ce dernier. En effet, selon plusieurs modèles théoriques (voir entre autres Eccles & Wigfield, 2002; Pintrich & Schrauben, 1992; Viau & Bouchard, 2000; Wigfield, 1994), l’utilité que l’apprenant attribue à une tâche constitue une facette importante de sa motivation à réaliser cette dernière. Le lien entre l’engagement scolaire de l’élève et ce que l’on appelle « utilité perçue» ayant été établi à maintes reprises, il apparait pertinent de travailler sur ce dernier concept pour accroitre la motivation scolaire des jeunes Québécois. Pourtant, selon notre recension des écrits, peu de recherches s’intéressant à la motivation scolaire permettent de décrire spécifiquement la perception qu’ont les élèves du primaire de l’utilité des mathématiques. C’est principalement à partir des années 80 que les chercheurs se sont intéressés aux croyances des élèves concernant cette discipline (Edwards & Ruthven, 2003). Parmi les quelques chercheurs concernés par cette préoccupation (Chouinard & Roy, 2008; Claveau, 2006; Eccles, O’Neil & Wigfield, 2005; Garcia, 2010; Kaczala, 1980; Leblond, 2012; Vanayan, White, Yuen & Teper, 1997), la plupart a plutôt tenté de quantifier cette dernière pour en observer l’évolution ou encore pour la comparer selon l’âge et le genre des apprenants. L’étude qualitative de Perlmutter, Bloom, Rose et Rogers (1997) démontre cependant que bien que les enfants semblent à première vue conscients de l’utilité des mathématiques, ils ne savent pas exactement pourquoi.

Répondre affirmativement à des items comme « Les mathématiques m’aident en dehors de l’école », tels que présentés dans l’ étude de Vanayan et al. (1997), ne semble donc pas suffisant pour conclure que l’élève saisit réellement la portée de cette discipline pour sa vie quotidienne. D’ailleurs, McLoed (1992) recommandait, il y a plus de 20 ans, que plus d’études qualitatives à petite échelle soient conduites à propos de la perception qu’ont les élèves des mathématiques. Cela confirme la nécessité de surpasser les études à grande échelle dans lesquelles on demande aux enfants si les mathématiques sont utiles, en leur demandant plutôt à quoi les mathématiques peuvent leur servir. Dans leur article sur le sujet, Perlmutter et al. (1997) proposent d’ailleurs l’idée d’observer l’habileté des enfants à pointer l’utilisation des mathématiques dans leur propre univers ainsi que dans celui des adultes. Seuls quelques travaux ont étudié la perception des élèves de manière aussi détaillée.

Des situations à l’origine du transfert 

Cette « capacité pour toute personne de réutiliser ce qu’elle a appris à un autre moment ou un autre lieu représente une problématique de plus en plus préoccupante» (Frenay & Bédard, 2011 , p. 125). Selon Frenay et Bédard (2011), depuis plus d’un siècle, ce que les professionnels de l’éducation définissent sous les termes « transfert des apprentissages » ou « transfert des connaissances » intéresse bon nombre de psychologues et montre, si besoin en est, toute l’importance de ce processus, autant du point de vue des chercheurs que de celui des praticiens. En effet, ces derniers légitiment leur rôle par la capacité des apprenants à transférer leurs acquis à d’autres situations (Frenay & Bédard, 2011). D’ailleurs, les réformes des programmes de formation du primaire et du secondaire dans plusieurs pays du monde illustrent bien la place désormais accordée à ce processus (presseau & Frenay, 2004). On veut ainsi renverser « les résultats de diverses recherches nord-américaines et européennes en didactique portant sur les jeunes élèves, les adolescents ou les étudiants universitaires [qui] soutiennent l’idée que ceux-ci transfèrent peu les savoirs scolaires appris dans les tâches de la vie quotidienne … » (Lefrançois, Éthier & Demers, 2011 , p.44). Il n’y a donc aucun doute, de toute part on reconnait la nécessité de transférer (presseau, 2000). Toutefois, malgré le fait que ce concept soit de plus en plus perçu comme l’un des objectifs fondamentaux de tout apprentissage, force est de constater qu’il pose toujours problème en contexte scolaire et que peu d’enseignants savent comment intervenir de façon efficace pour le favoriser (presseau, 2000).

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Parmi les actions à poser pour soutenir le transfert, Pressley et McCormick (1995) suggèrent notamment l’anticipation des applications ultérieures aux apprentissages actuels. Presseau (2003) va dans le même sens en précisant que l’on doit, entre autres, « amener les élèves à envisager hypothétiquement les contextes à l’intérieur desquels ils pourraient réutiliser les apprentissages qu’ils viennent d’effectuer» (p. 117). La reconnaissance par l’élève de ces situations concrètes s’avère donc une étape primordiale au processus de transfert. Dans son mémoire, Presseau (2000) rapporte que l’intérêt d’ étudier cette problématique s’explique en grande partie par l’utilité potentielle des concepts mathématiques pour la vie quotidienne des jeunes ainsi que leur difficulté actuelle à réutiliser ces dernières dans des situations définies comme « extrascolaires » (Kataoka & Patton, 1996; Penn, Shelley & Schwartz, 1998). Il appert donc que le transfert d’un contenu disciplinaire n’ est en fait possible que si l’élève relie ce dernier à d’autres situations plus vastes auxquelles il aura à faire face (Jonnaert, 2001). Pour ce faire, Rey (1996, 1998) parle d’intention et de désir de transférer de la part de l’ élève. Or, selon Perrenoud (1999), l’ école ne favorise que très rarement cette intention. Pour lui: Tout se passe comme si la présence d’un savoir dans les programmes suffisait à justifier son utilité et à lui donner du sens, sans qu’il soit opportun de perdre du temps à débattre des liens entre les savoirs enseignés [ … ] et les pratiques sociales auxquelles ils préparent aujourd’hui. (n. p.)  .

Malgré ces constats, parmi les chercheurs s’ étant intéressés au processus de transfert (Tardif, Meirieu, Presseau, Perrenoud, Kataoka, Dixon, Bracke, Basque, Samson, etc.), aucun, à notre connaissance, n’est allé investiguer en profondeur sur cette étape spécifique qui consiste à reconnaitre les situations de la vie quotidienne qui se rapprochent des situations sources vécues à l’école. À ce sujet, plusieurs auteurs, entre autres Brown, Collins & Duguid (1989), Dasen (1990) ainsi que Masingila, Muthwii & Kirnani (20 Il), reconnaissent les différences évidentes qui séparent les apprentissages faits dans la vie personnelle et professionnelle de ceux effectués dans le cadre scolaire. Est-ce alors raisonnable d’exiger d’élèves du primaire qu’ils perçoivent les similitudes entre les mathématiques présentes dans ces deux contextes distincts? L’étude dont il est ici question s’intéresse à cette capacité des élèves à percevoir les liens qui relient les mathématiques présentes dans leur vie quotidienne et celles qui leur sont enseignées à l’école primaire. C’est pourquoi nous consacrerons la prochaine section de ce mémoire aux principaux écrits s’étant intéressés à la distinction entre les «types » de mathématiques présents dans ces deux contextes.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 La pertinence sociale et scientifique
1.1 .1 L’ importance de l’ utilité perçue
1.1.2 Des situations à l’origine du transfert
1.1.3 Les différents « types » de mathématiques
1.1.4 Les travaux sur la conscience de l’utilité des mathématiques au quotidien
1.2 L’identification du problème
1.3 Les apports de la présente étude
1.4 Les questions spécifiques de recherche
CHAPITRE 2 CADRE CONCEPTUEL
2.1 L’utilité perçue
2.2 Les mathématiques en contexte scolaire et au quotidien
2.2.1 Les mathématiques enseignées à l’école
2.2.2 Les mathématiques utilisées dans la vie quotidienne
2.3 En quête de « situations»
2.4 La pédagogie Freinet et l’enseignement régulier quelle différence?
2.5 Le résumé des principaux concepts de la recherche
2.6 Les objectifs de la recherche
CHAPITRE 3 CADRE MÉTHODOLOGIQUE
3.1 L’approche méthodologique
3.2 La collecte des données
3 .2.1 Les participants
3.2.2 Les outils
3 .2.3 Le déroulement
3.3 Le traitement des données
CHAPITRE 4 PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS
4.1 La perception des participants avant l’expérimentation – Analyse des questionnaires A
4.2 Les situations dans lesquelles les élèves perçoivent des mathématiques
4.3 Les entretiens collectüs, pour mieux comprendre la perception des élèves
4.3.1 L’entretien avec les groupes A et B
4.3.2 L’entretien avec le groupe C
4.3.3 L’ entretien avec le groupe D
4.3.4 L’entretien avec le groupe E
4.3.5 L’entretien avec le groupe F
4.4 Le retour sur l’expérimentation – Analyse des questionnaires B
4.5 Le questionnaire enseignant
CHAPITRE 5 DISCUSSION
5.1 La perception générale des participants sur l’utilité des mathématiques dans leur vie quotidienne
5.2 L’habileté des participants à identifier des situations dans lesquelles se trouvent des mathématiques
5.3 Les critères d’un concept utile
5.4 L’utilité perçue des concepts mathématiques prévus au PFEQ
5.5 Des pistes de suggestions pour le milieu pratique
5.6 Les limites de la recherche
CONCLUSION

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