Jusqu’au début du 20e siècle, les médecins et les psychiatres ont été les seuls professionnels reconnus à titre de témoin expert auprès des tribunaux (Bernheim & Lebeke, 2014; Gélinas, Alain, & Thomassin, 1994). À cette même période, la communauté scientifique en psychologie a commencé à s’intéresser au domaine légal, réalisant des études sur des sujets tels la détection du mensonge, le fonctionnement du Jury ou encore la fiabilité des témoignages produits en Cour (Gélinas et al., 1994; Sabourin, Brunet, & Létourneau, 2014). Des réticences ont alors été émises par les communautés médicale et juridique envers les psychologues désireux de s’impliquer comme experts auprès des tribunaux. Plus spécifiquement, les médecins se sont objectés à une pratique indépendante des psychologues, remettant en question leurs compétences à titre de témoin expert dans les causes relevant de la santé mentale. Pour leur part, les acteurs du domaine juridique les ont accueillis négativement, percevant qu’ils s’immisçaient dans leur champ de pratique (Sabourin et al., 2014). Peu à peu, la réalisation de travaux de recherche et l’augmentation des revues spécifiques au domaine de la psychologie légale ont permis d’établir la crédibilité des psychologues auprès des avocats et de favoriser leur admissibilité à titre de témoin expert (Godbout, Poitras, & Saini, 2018). Malgré les réserves persistantes du corps médical, l’admission des psychologues à titre de témoin expert n’a cessé d’augmenter, faisant de la psychologie légale un champ de pratique en soi. Ainsi, ces derniers ont obtenu leur reconnaissance à titre de témoin expert auprès des tribunaux peu après la Deuxième guerre mondiale (Otto & Heilbrun, 2002). Au Québec, c’est principalement dans les causes relevant des services de la protection que les psychologues ont fait leur apparition comme experts (Parent, 2010). Depuis ce temps, ces professionnels sont appelés à se prononcer dans des causes diverses et leur implication auprès des tribunaux ne cesse de croitre (Otto & Heilbrun, 2002). En droit de la famille, l’expertise psychologique constitue un élément de preuve incontournable dans la prise de décisions relative aux modalités de garde et de droits d’ accès d’un enfant (Bernheim & Lebeke, 2014; Parent, 2010; Sabourin et al., 2014).
Or, ce sont les travailleurs sociaux qui ont été les premiers impliqués comme experts en droit de la famille dans le système de justice canadien (BaIa, 2004; Godbout, Poitras et al., 2018; Macerola & Gaumond, 1999). En effet, ces derniers ont été admis comme experts en matière familiale suite à la reconnaissance de leur profession comme science sociale il y a plus de quarante ans (Godbout, Poitras et al., 2018; Prescott, 2013). Leur implication au sein des services de protection de la jeunesse (Loi sur la protection de la jeunesse, 1977) et de réadaptation pour les jeunes en difficultés (Loi sur les jeunes contrevenants, 1984) a favorisé le développement de leurs compétences en évaluation psychosociale, les rendant habiletés à agir et à être reconnus comme témoin expert (Rondeau & Commelin, 2005). Par ailleurs, l’application de ces Lois et des politiques sociales a balisé l’intervention des travailleurs sociaux, instaurant des contours juridiques importants à cette profession (OTSTCFQ, 2009). Actuellement, les travailleurs sociaux sont les professionnels les plus actifs comme experts psychosociaux et demeurent au cœur des services d’expertise psychosociale au Québec (BaIa, 2004; Godbout, Poitras et al., 2018; Macerola & Gaumond, 1999). Cependant, les juristes manifestent une préférence envers l’expertise réalisée par un psychologue puisqu’elle permet la réalisation d’évaluations diagnostiques essentielles à la compréhension des situations familiales complexes (BaIa, 2004). Ainsi, le recours au travailleur social et au psychologue à des [ms d’expertise constitue une pratique courante pour les tribunaux et le domaine de l’expertise en matière de garde et de droits d’accès n’y fait pas exception (Godbout, Poitras et al., 2018; Van Gijseghem et al., 2004).
L’entrée en vigueur de la Loi sur le divorce au Canada (1968) a favorisé l’augmentation du recours à ces professionnels à titre de témoin expert dans les causes relevant du droit de la famille (Godbout, Poitras et al., 2018; Kelly & Ramsey, 2009; Parent, 2010). Dès lors, les tribunaux se sont montrés de plus en plus soucieux d’objectiver les décisions relatives à la garde d’ enfants, d’ autant plus en considérant la complexité des situations familiales rencontrées (Godbout, Poitras et al., 2018). Pendant ce temps, le concept de «meilleur intérêt de l’ enfant» a fait son apparition, devenant la base des décisions relatives à la garde d’ enfants, et ce, au détriment des idéaux patriarcal et matriarcal jusqu’ alors favorisés (Godbout, Parent, & Saint-Jacques, 2014; Krauss & Sales, 2000; Luftman, Veltkamp, Clark, Lannacone, & Snooks, 2005; Parent, 2010). Plus spécifiquement, ce concept a été adapté aux avancements scientifiques, juridiques et sociaux survenus au fil des décennies, lui ayant permis de prédominer sur la présomption de garde au père et sur la doctrine de l’ âge tendre, soit la présomption de garde à la mère, appliquées aux 19e et 20e siècles (Godbout, Poitras et al., 2018; Goubau, 2009; Luftman et al., 2005). Ce concept étant défini sur la base de théories psychologiques, les tribunaux n’ont eu d’autres choix que de recourir davantage à l’ expertise psychosociale, cette dernière apparaissant nécessaire dans certaines situations familiales afin de leur fournir cet éclairage. La détermination de la garde et des droits d’ accès d’ un enfant est alors devenue basée sur son meilleur intérêt. Étant perméable à la fois aux connaissances scientifiques et aux transformations sociales liées à la famille, ce concept ne cesse d’évoluer depuis son apparition. Ce constat rappelle ainsi la pertinence de la preuve expert pour les tribunaux qui doivent trancher des situations familiales de plus en plus complexes (Goubau & Chabot, 2018). Ainsi, la nécessité d’évaluer les capacités de chaque parent à assumer ses soins et à favoriser son développement dans des contextes sociaux multiples a donc amené les tribunaux à solliciter l’aide d’experts afin de trancher lors de tels litiges (Krauss & Sales, 2000). Devant la lourdeur de ces décisions et de leurs retombées, les psychologues et travailleurs sociaux se sont avérés de plus en plus interpellés afm d’apprécier les capacités d’un parent, d’offrir leur opinion à cet égard, de se prononcer sur les impacts de certaines conduites parentales et de partager leurs réflexions quant aux modalités de garde les plus adaptées à l’enfant et à sa famille (Luftman et al., 2005; Sabourin et al., 2014). Désormais, l’expertise psychosociale en matière de garde et de droits d’accès est perçue comme une nécessité par les juristes puisqu’elle fournit un éclairage aux questionnements souvent sans réponse pour les tribunaux (Benoît & Pigeon, 1995; Emery et al., 2005; Goubau, 2009). D’ailleurs, cette pratique est balisée, l’évaluation du litige en matière de garde étant un acte professionnel réservé aux psychologues et aux travailleurs sociaux puisqu’ils sont les seuls à détenir les connaissances et compétences préalables à ce type d’évaluation (Office des professions du Québec, 2012). Néanmoins, plusieurs rôles sont adoptés par les psychologues et travailleurs sociaux dans le système de justice québécois. Il importe donc de s’y attarder afin de ne pas les confondre avec celui d’expert en matière de garde et de droits d’accès.
Introduction |