Les 20 dernières années de recherche, grâce à l’imagerie cérébrale, ont apporté une grande quantité de données sur la façon dont les compétences issues d’objets culturels (par exemple, la lecture ou le calcul) sont représentées dans le cerveau de l’ enfant et de l’adulte (Oehaene & Cohen, 2007). Selon Oehaene et Cohen (2007), ces recherches permettent de voir les relations entre les représentations culturelles et corticales. Ces relations viennent établir un lien entre le développement du cerveau et l’apprentissage. Grâce à sa plasticité cérébrale, le cerveau humain, plus que celui de toute autre espèce animale, serait capable d’absorber des informations issues de la culture (Dehaene & Cohen, 2007). Ce phénomène se nomme la neuroplasticité et se définit comme la capacité du cerveau à modifier sa structure (ses connexions neuronales plus précisément) grâce à l’ apprentissage (Masson & Brault Foisy, 2014). La neuroplasticité est la condition sine qua non pour lier l’éducation et le cerveau (Brault Foisy, Myre-Bisaillon, Riopel, & Masson, 2015). Non seulement celle-ci est une condition nécessaire pour lier l’éducation et le cerveau, mais d’après Geake et Cooper (2003), elle apporte également des implications intéressantes pour l’ éducation. Il est essentiel de préciser que ces conclusions prennent racine en grande partie dans le travail de Hebb (1949), qui fut l’ un des premiers chercheurs à proposer que les modifications sous-jacentes des connexions neuronales du cerveau soient la cause des changements de comportement. Les recherches de Hebb et Geake et Cooper (2003), entre autres, mettent en perspective certains principes scolaires qui seront développés dans une section ultérieure. En plus des constats issus de ces recherches, comme le précisent Masson et Brault Foisy (2014), l’ apprentissage scolaire est influencé par la structure initiale du cerveau des élèves. Non seulement la structure initiale du cerveau influence l’apprentissage scolaire, mais deux mécanismes d’ apprentissage influencent l’apprentissage: le recyclage neuronal et l’ inhibition.
Le recyclage neuronal
Les progrès récents en neurosciences fournissent des preuves de plus en plus claires que le cerveau n’est pas complètement plastique (Houdé, 2014) et que certaines zones cérébrales semblent davantage prédisposées que d’autres à l’acquisition de nouvelles capacités (Dehaene, 2005; Dehaene & Cohen, 2007; Masson & Brault Foisy, 2014). Selon la théorie du recyclage neuronal formulée par Dehaene (2005), l’organisation préalable du cerveau aurait un impact sur la façon dont l’ apprentissage se réalise sur le plan cérébral. En fait, le recyclage neuronal est une reconversion des circuits neuronaux qui étaient autrefois associés à une fonction nécessaire dans le passé, à une nouvelle fonction qui présente une plus grande utilité dans le contexte culturel présent (Dehaene & Cohen, 2007). L’ influence de l’architecture cérébrale, en particulier la structure et l’ organisation initiales du cerveau, avant l’ apprentissage d’ un nouvel objet culturel, auraient donc un impact sur la façon dont certains apprentissages pourraient se réaliser au plan cérébral (Brault Foisy et al., 2015; Dehaene & Cohen, 2007; Houdé, 2014). Soulignons que selon Goswami (2008), en raison de leur localisation dans le cerveau, de leurs connexions déjà établies avec d’ autres régions cérébrales ou encore parce qu’ elles accomplissent déjà une fonction similaire, des régions précises du cerveau seraient possiblement mieux disposées que d’autres à accomplir certaines fonctions cognitives, c’ est-à-dire à accueillir certains apprentissages comme ceux liés à la lecture et au calcul par exemple. En somme, la connaissance du mécanisme de recyclage neuronal pourrait permettre une meilleure application des connaissances en mathématiques dans un contexte scolaire.
L’inhibition
Comme vu précédemment, la structure initiale du cerveau aide à l’apprentissage. Par contre, à certains moments, elle s’avère être un obstacle à celui-ci, car elle conduit à des réponses incorrectes qui peuvent être difficiles à modifier (Masson & Brault Foisy, 2014). Dans un tel cas, l’ apprentissage exige l’ inhibition de l’ activation spontanée de certains réseaux non appropriés pour la tâche. Par exemple, la recherche de Houdé et al. (20 Il), sur la tâche de conservation du nombre de Piaget, a démontré que les jeunes enfants (5 à 6 ans) ont du mal à comprendre que les deux lignes qui contiennent le même nombre de jetons, mais qui ont des longueurs différentes en raison de l’espacement différent entre les deux (par exemple, 000000 et 0 0 0 0 00), contiennent en effet le même nombre d’objets. À l’âge de 9 à 10 ans, cette mauvaise réponse spontanée est généralement surmontée: les enfants répondent que les deux lignes contiennent le même nombre d’objets. Parmi les zones du cerveau qui sont activées chez les élèves qui ont réussi la tâche (9 à 10 ans) par rapport à ceux qui ne l’ont pas réussi (5 à 6 ans), il y a activation des zones cérébrales liées à la perception des nombres (par exemple, sillon intrapariétal), mais aussi à l’inhibition, probablement parce que le cerveau doit inhiber la tendance à considérer que plus la longueur de la ligne de jetons est longue, plus il y a de jetons. Ainsi, comme mentionné précédemment, il s’ avère parfois essentiel d’ inhiber des stratégies inappropriées pour réussir de nouveaux apprentissages.
En résumé, une meilleure connaissance de l’architecture cérébrale des élèves et de l’ impact de différents types d’enseignement sur le cerveau peuvent nous apporter des indices pour mieux enseigner et favoriser une réelle construction des savoirs. Le fait de comprendre le mécanisme de recyclage neuronal peut aider les enseignants à bien planifier l’enseignement de certaines notions, pour s’assurer que celles-ci prennent appui sur de bonnes connaissances antérieures. Puis, comprendre le rôle de l’inhibition dans certains apprentissages peut aider les enseignants à identifier les différents pièges dans lesquels les élèves tombent la plupart du temps et les aider, par un enseignement explicite, a non seulement les identifier, mais à les contrer. En ce sens, l’apport des recherches en neurosciences pourrait venir bonifier l’enseignement actuel. Bien que les mécanismes cérébraux ont été identifiés, existe t-il des prérequis essentiels pour l’enseignement des mathématiques au préscolaire en se basant sur les recherches en neurosciences et en didactique des mathématiques?
Les mathématiques et les neurosciences
Les recherches récentes en neurosciences suggèrent l’existence de processus numériques fondamentaux sur lesquels s’appuient les compétences numériques de l’arithmétique; par exemple, il a été suggéré que la capacité de traiter et de comparer des grandeurs numériques (non symboliques et symboliques) est un précurseur clé du développement mathématique (De Smedt, Verschaffel, & Ghesquiere, 2009; Nieder & Dehaene, 2009). De même, il s’avère y avoir des similitudes dans la façon précoce d’effectuer les associations entre les grandeurs des nombres sous leur forme non symbolique et symbolique (nombre arabe) (Diester, Nieder, & Dehaene, 2007). Les conclusions de ces recherches démontrent la pertinence de développer plus d’interventions spécialisées pour les élèves d’ âge préscolaire; autant pour ceux du régulier que pour ceux ayant des difficultés d’apprentissage, afin de soutenir leurs apprentissages mathématiques. En ce sens, afin de rendre ces interventions les plus efficaces possible, elles doivent cibler les prérequis essentiels liés à l’ apprentissage des mathématiques au préscolaire.
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