KANT, PENSEUR DE L’ETAT DE DROIT
Les Principes du Républicanisme
Pour saisir la substance de l’Etat Kantien, nous essayerons de comprendre son originalité à l’intersection du « hobbisme » et du « rousseauisme » : deux doctrines dont nous sentons une grande influence sur celle de Kant. Tout lecteur de Kant remarque la manière dont l’auteur s’associe dès fois au premier pour combattre le second ou bien se ranger du côté du second pour critiquer le premier. Lorsqu’il écrit à la tête de son exposé de 1793 « contre Hobbes », cela signifiait pour beaucoup être disciple de Rousseau. Et pourtant, même si nous mettons de côté les nombreuses critiques dirigées contre Rousseau, on peut se demander ; s’il y a lieu de parler d’opposition au sens strict avec Hobbes. Justement au sujet de l’état de nature, Kant est tout à fait d’accord avec Hobbes que cet état soit un état de guerre et d’injustice à l’opposé de Rousseau pour qui, l’Homme dans cet état vivait en harmonie avec la nature et avec lui-même, l’état de guerre n’étant intervenu qu’après le divorce avec la nature. Mais curieusement à la sortie de l’état de nature, Kant abandonne le point de vue hobbien et évolue avec Rousseau sur un terrain commun car, selon lui, le but de l’individu n’est pas de retrouver le bonheur dans la paix et la sécurité comme le pense Hobbes mais dans la recherche de sa liberté garantie par un système de lois, c’est-à-dire dans un Etat de droit. Cela est clair dans la précision qu’il apporte au but de l’association civile qui est le salut de l’Etat : «Le salut de l’Etat, dit il, par quoi il ne faut pas entendre le bien être de ses concitoyens et leur bonheur, car il n’est pas exclu que (comme le soutient Rousseau) ce bonheur puisse dans l’Etat de nature, ou même dans un gouvernement despotique, être plus confortable et plus agréable, mais ce qu’on désigne par un tel salut, c’est l’Etat de la plus grande concordance entre la constitution et les principes de droits, en tant que cet Etat vers lequel la raison, par un impératif catégorique, nous oblige à tendre » 49. Ce mariage entre les deux doctrines, se fera sentir jusque dans la considération du statut du contrat. Kant, en disant que le contrat originaire est simplement une idée de la raison et donc ne doit pas être considérée comme un fait, s’allie au point vue rousseauiste pour qui le contrat social est un fait hypothétique dépourvu de vérité historique. Mais sitôt ce statut élaboré, on sent la différence entre les deux doctrines dans l’énoncé du contenu du contrat qui se trouve être un point décisif parce que prenant en compte la relation entre le peuple et le souverain. Les termes du contrat rousseauiste dans leur élaboration, autorisent l’unification du peuple et du souverain. « Chacun de nous, écrit Rousseau, met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout » 50. Ici, le citoyen se considère à la fois comme membre de l’Etat et comme sujet soumis aux lois. Le peuple entier est le seul souverain et de ce fait, les citoyens n’obéissent qu’aux lois qu’ils se sont donnés. La volonté générale évoquée ici est la volonté du peuple réuni ; et tout acte de cette dernière fait état de loi, et de la sorte, nul homme dans l’Etat, fut-il le chef, ne doit être dispensé de l’obéissance de la loi. Par contre, la doctrine de Kant témoigne de la distinction entre le peuple et l’autorité souveraine. Selon lui, le souverain possède une totale indépendance dans l’opération législative et exécutive. Ainsi l’auteur confère à ce que dernier un statut particulier dans l’association : que ce soit une personne physique ou morale, il peut se substituer à bon droit à la volonté générale en érigeant des lois auxquelles le peuple est obligé de se soumettre. Dès lors, la seule mesure du souverain doit être l’éthique et non le juridique : «la notion du contrat social, écrit Philonenko, constitue pour Kant le moment proprement éthique de la constitution juridique de l’Etat. Gouverner, ne doit pas être faire usage d’un droit mais agir par devoir. Le souverain, qui, ne l’oublions pas, n’est pas soumis aux lois, mais au contraire constitue l’exception nécessaire, doit agir par pur respect pour la loi. Ainsi ce qui possède un sens éthique pour le souverain possédera une valeur juridique pour le peuple » . De toute manière, nous pouvons dire que, Rousseau, Hobbes et Kant donnent à la souveraineté dans l’Etat un pouvoir que nous pouvons qualifier d’absolu. Ce qui pose problème donc chez Kant, c’est la manière dont l’Etat fait usage de sa puissance absolue. C’est cette manière qui définit les formes de gouvernement. Toujours est –il que, le seul Etat conforme au droit demeure l’Etat républicain. Qu’entend –il par la notion de république ? Il opère déjà une rupture d’avec la conception traditionnelle qui concevait la république non pas comme une forme de gouvernement mais comme une forme d’Etat. Cette conception antique établissait une opposition entre monarchie et république ; la monarchie pensée comme convenant aux grands Etats, la république aux petits Etats. L’originalité de Kant réside, selon Tosel, dans le déplacement de cette dichotomie entre monarchie et république, petit Etat et grand Etat : « on peut avoir une monarchie, une aristocratie et une démocratie républicaine, ou plutôt une république démocratique, aristocratique, monarchique ». Hormis la séparation des trois pouvoirs qui est le signe distinctif de la république et de l’Etat de droit, l’auteur développe aussi les critères qui permettent à l’homme de s’élever à la dignité du citoyen qui sont : la liberté ,l’égalité et l’indépendance. Trois moments qui intéressent l’homme les sujets et les citoyens. Philonenko ajoute que « l’homme correspond à la condition, le sujet indique les conditionnés, le citoyen est le terme synthétique ». La philosophie politique de Kant a ainsi pour tâche de concevoir le passage de l’homme au citoyen en passant par le sujet ou tout simplement d’assurer la synthèse de la condition et du conditionné. Deux principes presque opposés : par l’homme, l’indication a un droit naturel à la liberté, par le sujet il est entièrement soumis au droit positif de l’Etat. D’où la nécessité de la synthèse de l’homme et du sujet ; de la liberté et de la soumission dans la notion de citoyenneté. Essayons de voir de plus prés ce qu’englobe ces trois notions.
La liberté
elle se manifeste sur deux registres : d’abord elle permet à l’homme de n’obéir à « aucune autre loi que celle à laquelle le citoyen a donné son assentiment » Ensuite elle demeure un pouvoir de se manifester en tant qu’être vivant, c’est à dire d’avoir droit à la possession aux affaires et au travail selon les limites définit par la loi et sans être contraint par autrui. Par la liberté, l’homme a des droits inaliénables. Ces droits qui sont hors de la sphère de l’Etat lui procurent la libre satisfaction de sa tendance au bonheur, d’adopter la religion de son choix sans en rendre compte à une juridiction quelconque. C’est ce qui fait dire à Philonenko qu’en ce principe de la liberté, « s’exprime l’exigence fondamentale du droit naturel que toute société doit respecter. Le premier moment du droit rationnel et ainsi l’homme, ou si l’on préfère l’idée du droit naturel, entendu comme l’expression des doits dont le respect et la sauvegarde conditionnent toute société »54. Elle correspond effectivement à la sphère de l’activité de l’homme qui lui permet de dépasser son état naturel pour le développement de toutes ces dispositions que l’état de la sauvagerie ne lui permet pas de réaliser. Car, écrit Philonenko, si l’état est « la négation de « l’état de nature », il demeure en même temps l’affirmation de « l’état naturel » de l’homme, si par « état naturel » on comprend l’effectivité du « droit primitif » de la raison humaine ». A ce principe de liberté, suit un second qui est celui d’égalité.
L’égalité
Le principe d’égalité juridique est la conséquence directe du contrat Kantien. Il consiste pour chacun à ne reconnaître aucune autre autorité au dessus de lui sinon celle qu’a le pouvoir juridique de l’obliger. Par l’égalité, l’individu devient passif ; il est soumis aux lois. Cette soumission de tous les membres de la communauté à l’exception du souverain a pour prix la protection et le traitement égal pour tous. Dés lors, tous les sujets sont égaux devant la loi. Dans ce sens, l’égalité signifie la dissolution de tous les privilèges dans l’état. Par le slogan « a chacun selon son mérite », Kant professe un libéralisme économique qui fait, selon Tosel, que « l’Etat de droit ne reconnaît que les individus et le pouvoir souverain ignore toute corporation intermédiaire, il faut rationnellement abolir le privilège propre à toute position sociale, de manière à ce que tous les individus à leur naissance se trouvent en position égale devant les charges publiques»56. La négation du privilège héréditaire repose sur le fait que nul homme n’est destiné par la naissance à commander et l’auteur est catégorique : « La nature n’est pas disposée de telle façon que le talent et la volonté qui rendent possibles les services consacrés à l’état, soient aussi héréditaires»57. L’auteur dénonce surtout les privilèges professionnels ou confessionnels conférés à l’individu par la naissance lui donnant illégalement des prérogatives. C’est le cas de la noblesse 54 Philonenko Op cit P. 37 55 Philonenko Op cit P. 40 56 Tosel : op.Cit P. 68 57 Kant : Doctrine du droit P. 149 26 héréditaire qui selon Kant « constitue un rang qui passe avant le mérite et qui ne laisse même à celui-ci aucun espoir qui soit fondé. C’est donc une chimère dépourvue de réalité»58. Mettant tous les sujets à la même ligne de départ, ce principe d’égalité est parfaitement compatible avec l’inégalité des richesses et les inégalités physiques. Le rôle de l’Etat est uniquement d’assurer la libre concurrence et le libre usage des dons naturels; une possibilité est offerte à tout individu de faire la preuve de ses capacités, de ses talents et de son travail. Kant : écrit : il faut que tout membre de la communauté puisse parvenir à une condition correspondant au niveau ( qui peut revenir à un sujet ) qu’il peut atteindre par son tallant, son activité et la chance ; et il ne faut pas que ses co-sujets lui barrent la route à cause d’un privilège héréditaire et le maintiennent éternellement lui et ses descendants à un rang inférieur »59. Ce principe de passivité suscite une interrogation judicieuse. En effet, comment l’individu, tout en étant libre est inconditionnellement soumis aux lois ? C’est parce qu’il n’est soumis aux lois qu’à cause du 3ème principe : le principe d’autonomie c) L’autonomie ou l’indépendance civile Ce principe élève l’individu à la dignité de citoyen et fait qu’il n’est soumis aux lois que parce qu’il en est en même temps législateur. De ce fait, le citoyen est à l’origine de l’autorité souveraine à laquelle il se soumet en tant que sujet (à rappeler seulement que l’exercice de la puissance législative n’est pas directement exercé par le peuple mais par ses députés) Telle est la synthèse de la passivité du sujet et de l’activité de l’homme d’où le concept de citoyen Philonenko écrit : « la question est manifestement synthétique puis qu’il convient d’exposer l’identité de la liberté et de la loi, la liberté étant l’origine de la loi qui la détermine. Le caractère synthétique de cette question est aussi rendu très évident par la difficulté proposée : on se demande comment une liberté peut être à l’origine d’une loi pour être inviolable et intangible »60. Toutefois, si le statut de citoyen est clairement défini dans la forme, il ne l’est pas pour autant dans le fond plus précisément dans l’aptitude à faire usage de sa « dignité citoyenne » ou la prérogative d’être législateur. Est apte à cette indépendance civile, celui qui, étant maître et non seulement partie de la société est capable d’être son propre maître c’est-à-dire qu’il ne doit son existence à personne d’autre sinon à lui-même. Ce qui fait dire à l’auteur dans Théorie et pratique, qu’ « en ce qui concerne la législation elle même tous ceux qui sont libres et égaux d’après des lois publiques déjà existantes, ne doivent pas pour autant être considérés comme égaux en ce qui concerne le droit de légiférer ». Kant dégage deux critères pour prétendre à l’indépendance civile : il faut d’abord remplir les qualités naturelles (appartenir à la sphère des adultes et être du sexe masculin « ensuite être possesseur : c’est-à-dire « que l’on possède quelque propriété » qui assure notre existence. Si quelqu’un concède à autrui l’usage de ses forces, s’il accepte volontiers de se livrer à ses services, il perd, en même temps sa dignité citoyenne. D’où la différence entre le citoyen et le protégé : « Le garçon employé par un marchand ou par un artisan, le serviteur (je ne parle pas de celui qui est au service de l’Etat) le mineur, toutes les femmes et, en général, tout individu qui n’est pas forcé d’entretenir son existence (nourriture et asile) par sa propre activité mais le doit aux dispositions d’autrui ( à l’exception de l’Etat) n’ont pas de personnalité civile ». Il est vrai que tout lecteur moderne de Kant ne peut s’empêcher de dévoiler sa surprise. En effet comment un si grand défenseur des droits de l’homme, admirateur de la révolution française peut il établir des critères aussi discriminatoires et incompréhensibles pour être digne d’être citoyen ? Outre la discrimination, le critère pour définir qui est citoyen et qui est protégé Sont si difficiles à cerner, en témoigne le « mea culpa »63 de Kant. La difficulté réside en ceci : hormis l’exclusion injuste des femmes de la personnalité civile (compréhensible d’ailleurs si on le colle aux réalités de son siècle) la définition du statut de citoyen demeure des plus ambiguë. En effet, comment peut on dissocier d’une part l’ouvrier embauché qui produit un objet moyennant salaire donc en aliénant l’usage de ses forces et d’autre part l’artisan qui produit la même œuvre et l’expose en vente ? L’auteur explique « en tant qu’il exerce un métier, ce dernier échange sa propriété avec autrui (opus) alors que le premier échange l’usage de ses forces qu’il concède à autrui ( operam). La réduction du citoyen au simple fait d’être propriétaire et l’ambiguïté qu’il implique feront dire à l’auteur lui même qu’il est quelque peu difficile, je l’avoue , de déterminer ce qui est requis pour pouvoir prétendre à l’état où l’homme est son propre maître cette objection que l’auteur se fait à lui même relève pour Tosel d’une « honnêteté intellectuelle » mais nous considérons avec Philonenko qu’il constitue un aveu de taille ; aveu d’autant plus grave qu’il sape toute la définition de la citoyenneté et toute la cohérence du droit rationnel. Surtout si nous considérons avec Rousseau que : « renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout ». L’auteur lui même ne donne pas une explication claire à cette discrimination. Alexis Philonenko tente néanmoins de la justifier en la rattachant à la fin de l’association civile qui a pour but de défendre la propriété. Il serait injuste que les non propriétaires décident du sort des propriétaires si effectivement le but de l’Etat est de protéger la propriété : « puis que la constitution civile écrit Philonenko à pour fin la protection de la propriété, il parait équitable aux yeux de Kant d’exclure du droit électoral ceux qui sont exclus de la propriété »66 Ainsi pouvons-nous objecter à Kant à la suite de Philonenko : « si en effet le principe d’égalité n’implique rien d’autre que la soumission et la passivité de tous devant l’autorité souveraine déjà instituée, comment peut-on dans la définition de la « Subisufficientia » qui conditionne l’aptitude à instituer cette autorité, exiger l’introduction des qualités qui supposent déjà l’institution de la souveraineté, par exemple la possession d’une certaine propriété ou d’un certain métier( dont Kant ne reconnaît la possibilité que dans l’Etat déjà constitué) »67. On peut supposer pourtant que ce que l’auteur redoute, c’est le « suffrage influencé », car si être mineur du sexe faible ou dépossédé, est inconciliable avec l’aptitude au vote, c’est parce que ces derniers sont susceptibles d’être influencé dans leurs suffrage ; les démunis cèdent facilement à la corruption et à l’achat de conscience. Ce qui explique pourquoi le patron n’a pas le droit de s’accaparer les droits de ses employés ; chaque propriété n’a qu’une seule voie, « c’est selon le nombre de possédants et non selon l’importance de leurs possessions qu’il faut apprécier le nombre de ceux qui sont aptes à légiférer »68. Autre objection ! Kant peut il toujours ainsi maintenir sa prétention d’exclure le bonheur du droit ? « Comment prétendre que la conservation de la propriété n’a rien à voir avec l’idée de bonheur ? Une propriété est cette autre chose, se demande Philonenko, qu’un bonheur reconnu par la loi ? Et peut on vraiment dire qu’en ceci Kant n’admet pas à son tour une certaine alliance du bonheur et du droit ? »69 De toute manière, l’Etat de droit Kantien malgré ses limites et ses imperfections marque un moment décisif de pensée politique tant par la modernité du système politique que par les caractéristiques que l’auteur donne au pouvoir souverain. Tout le débat qu’il suscite repose à la fois sur la liberté qu’il prétend donner au sujet et sur l’absoluité que garde le pouvoir souverain. Et par là, la philosophie Kantienne prend des fois des allures assez autoritaires dans la délégation du pouvoir absolu. Qu’est ce l’absoluité du souverain si non l’absolu pouvoir qui représente l’union des différentes volontés du peuple tout entier. Ce peuple une fois déposé ce pouvoir au main du chef, à t-il le droit juridique de le reprendre ? Ainsi se pose la problématique très délicate du droit de résistance des souverains.
Le système représentatif
L’Etat de droit, reposant sur le droit et étant seul à même d’assurer les droits innés de l’homme est synonyme de « République ». Si une telle synonymie est plus que légitime c’est qu’en réalité la garantie des droits humains ne requiert que l’existence d’une certaine manière de gouverner, celle qui se rapproche de l’esprit du contrat originaire. Ainsi, sommes nous au cœur des problèmes relatif à l’administration du droit, à la gestion de l’Etat. Comment l’Etat républicain fonctionne t il ? Quelles sont ses caractéristiques ? C’est à ce niveau qu’intervient l’importance des notions de représentation et de publicité. Deux concepts intrinsèquement liés à l’idée de république. Le problème du fonctionnement de l’Etat ne peut se résoudre sans une prise de considération du rôle du contrat originaire. Nous avons vu plus haut que le contrat social est une idée de la raison qui possède une réalité pratique. Norme et règle de l’administration de l’Etat, il impose tout législateur à se conformer aux principes des droits de l’homme. Ainsi, les formes de la souveraineté comme les formes de gouvernement doivent elles, pour être conforme à l’idée du droit se référer à l’idée du contrat social. Ce faisant, Kant s’inscrit dans la perspective déjà dégagée par Hobbes et Rousseau, à savoir le rejet de l’idée du contrat politique bilatéral instituant le gouvernement. A l’instar de ces deux penseurs, Kant exclut la nécessité d’un contrat conclu entre le peuple et le principe, qui les engageait mutuellement. Le contrat originaire d’association conclut idéalement entre les individus se suffit à lui-même en ce sens qu’il lie, par ces clauses, non seulement ceux-ci mais aussi le gouvernement qui n’en fait pas partie il n’y a ainsi point de contrat entre le peuple et le prince. Si Kant s’intéresse au problème des formes et manières de gouverner, c’est qu’il existe une différence entre la « République nouménale » ou « République parfaite » et la république phénoménale. Dans la république en idée il n’y a point de distinction entre la forme et la manière de gouverner, c’est le règne de la démocratie absolue. Mais dès que l’on se situe dans la république phénoménale, se pose le problème suivant : comment concilier la garantie des droits naturels avec la nécessité de la contrainte ? Comment faire régner l’ordre sans en feindre de libertés innées ? Comment concilier liberté et contrainte ? Une telle question nécessite la distinction des formes d’Etat en formes de la souveraineté et formes de gouvernement. 30 Les formes de la souveraineté diffèrent selon le nombre de personnes qui composent l’organe souverain. Si la souveraineté est entre les mains d’un seul homme, on parle d’autocratie ou pouvoir du prince ; Il y a aristocratie quand la souveraineté est détenue par un groupe de personnes. La démocratie ou pouvoir du peuple a lieu quand tous ceux qui constituent la société civile possèdent le souverain pouvoir. C’est donc un critère quantitatif qui différencie les formes de la souveraineté. Mais ces formes que peut prendre l’Etat parce qu’elle relève du phénomène, de l’empirique, ne sont que la « lettre » de la législation originaire. C’est la raison pour laquelle, les reléguant au second plan, Kant s’intéresse d’avantage de l’essence de l’Etat. Dès lors, la question de la manière de gouverner requiert toute son importance. La manière de gouverner dit le Projet de paix perpétuelle c’est « le mode fondé sur la constitution (sur l’acte de la volonté générale) qui fait d’une multitude un peuple, suivant lequel l’Etat fait usage de sa souveraine puissance, et elle est sous ce rapport ou républicaine ou despotique ». Gouverner de manière républicaine ou despotique, voilà les deux alternatives, ces deux principes politiques sont antagoniques et ne peuvent coexister dans un même Etat : l’un est l’exacte antithèse de l’autre. On parle de despotisme quand le législateur fait les lois lui-même et les exécute lui-même (et cela de manière arbitraire), substituant ainsi sa volonté particulière illégitime à la volonté générale. Ainsi y a t-il un empiètement de l’exécutif sur le législatif. Ce faisant, le pouvoir du despote est non seulement illimité (ce qui est légitime) mais aussi absolu. Le despotisme absolu, voilà ce que rejette Kant : c’est un régime qui sacrifie la liberté parce que ne tenant pas compte des lois, qui traite le peuple comme s’il était sa propriété. Despotique la démocratie l’est pourtant. Si Rousseau voit en la démocratie la seule forme légitime en ce sens qu’elle accorde au peuple à la fois la possibilité d’être source et exécuteur des lois, c’est pour cette même raison que Kant la rejette. En effet dans la démocratie il y a confusion de la part du peuple, entre pouvoir législatif et exécutif (liée au fait que le peuple est à la fois juge et partie) laquelle conduit au « despotisme des masses ». En un mot, l’oubli du droit voilà ce que Kant entend par despotisme. Considéré sous cet angle, le gouvernement paternaliste est « le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir »71 puis qu’il consiste à traiter les citoyens comme des enfants. En gérant leur vie privée, il prétend les protéger, les secourir, les rendre heureux et ce sans aucune référence aux principes du droit qui interdisent d’imposer aux hommes un critère de bonheur
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