L’évolution, qu’est-ce que c’est ?
L’idée d’une transformation des êtres vivants au cours du temps a été exprimée à diverses occasions depuis près de 2500 ans, mais ce n’est qu’au 19e siècle que le concept de descendance avec transformation – l’évolution telle qu’on la conçoit aujourd’hui – a été formalisé et doté d’un mécanisme cohérent par Darwin, apportant une vision nouvelle de la vie et de son histoire. La pensée évolutionniste imprègne désormais tous les domaines de la biologie et, par la dimension historique du processus de l’évolution, elle touche également les sciences de la Terre et de l’univers. Comprendre le monde au travers de l’évolution conduit à voir et penser autrement… et c’est sans doute pourquoi cela ne plaît pas toujours !
Les gène homéotiques
Pour illustrer ce fait, prenons l’un des plus beaux exemples de la biologie moderne, celui des gènes homéotiques. Ces gènes particuliers de développement ont tout d’abord été mis en évidence, puis longuement étudiés, chez la drosophile.
Qui s’y intéressait jusqu’au milieu des années 80 ?
Principalement les généticiens et, surtout, les spécialistes de drosophiles. Puis on a découvert que les mêmes gènes (ou plus exactement des gènes homologues) structuraient également le développement antéro-postérieur des vertébrés. L’explication ? Elle est a priori simple : ces gènes ont été hérités d’un ancêtre commun.
Que disent alors les paléontologues ? Que cet ancêtre commun date au bas mot de 540 millions d’années. Subitement, cette dimension temporelle relativise complètement le premier résultat. Ce qui pouvait paraître à certains comme une caractéristique de la drosophile, voire des insectes, acquiert une grande généralité en devenant l’apanage d’une grande partie des animaux (en fait, seulement les bilatériens). La découverte des gènes homéotiques a alors été vulgarisée ; en 1995, Ed Lewis a reçu le Prix Nobel, avec Christiane Nüsslein-Volhard et Eric Wieschaus, un siècle et un an après la définition du concept d’homéose par William Bateson (1861 – 1926). C’est la théorie de l’évolution qui a permis d’appréhender l’importance considérable des gènes homéotiques, et c’est à ce moment qu’on les a popularisés. Pour généraliser cet exemple, toute démarche comparative en biologie ne brille de ses feux qu’à l’intérieur d’un schéma évolutif. En retour, de telles généralisations deviennent les principales preuves de la théorie de l’évolution qui reste le seul cadre conceptuel donnant son unité à l’ensemble de la biologie (paléontologie comprise), quelle que soit la sous-discipline ou le niveau d’organisation.
Reconnaître l’évolution conduit à constater l’existence d’une histoire, sur la Terre, de l’ensemble des organismes vivants. Comprendre l’évolution consiste à déceler les mécanismes qui ont présidé à la structuration actuelle de la biodiversité, en permettant les multiples adaptations des animaux, des végétaux, des organismes unicellulaires, adaptations qui sont parfois d’une telle précision qu’elles semblent défier l’imagination. Il s’agit donc tout à la fois de décrypter la manière dont les organismes se sont modelés dans leurs formes et leurs fonctions, et de rechercher l’origine des nouveautés et des potentialités évolutives. Ainsi les recherches sous-tendues par le concept d’évolution se séparent clairement en deux volets ; les unes visent la reconstruction de l’histoire de la vie, les autres tendent à comprendre les modalités et les processus de l’évolution.
Beaucoup de temps a été nécessaire pour qu’une telle ligne directrice puisse émerger. En effet, au cours de longs tâtonnements, il a fallu de la réflexion, et il a fallu des faits. Petit à petit, les éléments essentiels sont apparus pour donner un cadre conceptuel qui a acquis sa cohérence au milieu du XXème siècle, pour s’enrichir par les résultats les plus récents de la systématique et de la biologie moléculaire.
Classer les organismes
Il est indispensable de retracer les grandes lignes de l’histoire de cette théorie, afin de comprendre l’émergence difficile de ce cadre conceptuel a priori simple, mais d’une grande complexité dans le détail. Tout a commencé par la volonté de classer les organismes. Les premières classifications du monde vivant ont été de type utilitaire, étant donné que c’était d’un catalogue raisonné dont on avait besoin. Ainsi, en botanique, dès Théophraste (vers 372 – 287 av. J.–C.), on distinguait les arbres, les arbustes, les plantes médicinales, les plantes vénéneuses… De telles classifications, réalisées par les Grecs puis les Romains, perdurèrent jusqu’à la Renaissance, jusqu’à ce que l’on reconnaisse qu’elles n’étaient pas satisfaisantes.
Mais comment faire autrement ? Ce fut tout d’abord un constat d’échec – qui amena certains auteurs à donner une classification par ordre alphabétique -, puis de multiples tentatives (les systèmes et les méthodes), les unes basées sur la morphologie des feuilles ou des racines, d’autres sur la structure des fleurs, d’autres encore sur la nature des graines ou des fruits… Les résultats, bien que sensiblement différents suivant les approches, permettaient dans bon nombre de ces tentatives de retrouver les grandes familles de la botanique. Certains naturalistes, comme le Suédois Carl von Linné (1707-1778), affirmèrent que ce ne pouvait être une simple coïncidence ; il devait exister une classification unique, dite Classification Naturelle, peut-être inaccessible dans sa totalité, mais que l’on retrouvait localement de temps à autre. Il y avait donc bel et bien un « Ordre de la Nature » qui, dans la culture judéo-chrétienne de l’époque, correspondait bien sûr à celui de la création divine. C’est de cette époque que date la hiérarchie des taxons, à savoir pour le monde animal : Règne / Embranchement / Classe / Ordre / Famille / Genre / Espèce.
Une échelle des êtres
Parallèlement, une longue tradition remontant à l’Antiquité défendait l’existence d’une » Échelle des Êtres « , c’est-à-dire l’établissement d’une hiérarchie de l’ensemble des éléments figurés d’origine naturelle, dont les organismes vivants, suivant une complexité croissante. On trouvait en bas de l’échelle les quatre éléments, puis les minéraux, suivis des végétaux ; les animaux étaient rangés selon leur plus ou moins grande ressemblance avec l’Homme : vers, poissons, amphibiens et reptiles, oiseaux et mammifères. L’Homme était bien évidemment au plus haut de l’échelle des êtres matériels,… mais, à une certaine époque, plus bas que les anges et archanges. Au XVIIIème siècle, Gottfried Leibniz (1646 – 1718) popularise cette échelle des êtres, qui va être reprise par Charles Bonnet (1720 – 1793) en biologie. Dès lors, deux conceptions vont interférer, celle de l’Échelle des Êtres et celle de la Classification Naturelle.
La subordination des caractères
Les progrès vont être très importants quand, avant la Révolution, Bernard de Jussieu (1799-1876) et son neveu Antoine-Laurent (1748-1836) vont définir la notion-clé de subordination des caractères. Ils se rendent compte que, pour déterminer un taxon donné, une classe par exemple, l’idéal est d’avoir un (ou plusieurs) caractère(s) constant(s) à l’intérieur de cette classe et variable(s) dans toutes les autres. Un type de caractère est donc utile à un niveau précis de la classification, certains au niveau de l’ordre, d’autres au niveau du genre… Les caractères sont donc « subordonnés ». On peut alors faire un tri parmi les caractères issus de descriptions détaillées, et faire surgir ceux qui sont pertinents d’un point de vue taxinomique, en les hiérarchisant. On pensait avoir trouvé la « Méthode Naturelle » menant à la Classification Naturelle. Si les Jussieu l’appliquent en otanique, dès la fin du XVIIIème siècle, Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et Georges Cuvier (1769-1832) l’appliquent au monde animal, le premier essentiellement chez les mollusques et les animaux vermiformes, le second chez les vertébrés et pour l’ensemble des animaux.
Introduction en zoologie (292 KO) (Cours DOC)