Vague de désinstitutionalisation et son influence
Le trop-plein de patients en institutions (MSSS, 1997), le cri du coeur de Pagé et l’évolution de la psychiatrie ont été à l’ origine de la Commission d’enquête sur les hôpitaux psychiatriques qui, dans le cadre de ses recommandations, a ouvert la porte à un vent de changement (Duprey, 2007; MSSS, 1997). En effet, en 1961 , la mise sur pied d’une Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques au Québec est annoncée. Combinant des visites au sein des institutions à un examen rigoureux d’études de l’époque (Wallot, 1988), les commissaires ont pris conscience de la situation. Le Rapport de la Commission, communément appelé le Rapport 8édard, déposé en mars 1962, a eu un impact majeur dans l’évolution de la perception de la DI au Québec, notamment par la distinction entre la maladie mentale et la DI (MSSS, 1997; Inoescu, 1990). Le Rapport 8édard a également mis en lumière les lacunes institutionnelles, notamment en ce qui a trait aux punitions physiques et aux structures administratives du système institutionnel (Boudreau, 1984). Des recommandations ont également été émises visant particulièrement à multiplier les ressources communautaires et ainsi favoriser l’intégration des personnes présentant une DT dans la collectivité (Fleury et Grenier 2004; Lecomte, 1997). Le Rapport 8édard a ainsi ouvert la voie au mouvement de désinstitutionnalisation au Québec dans l’esprit de redonner aux personnes leur dignité, leurs droits et leur liberté.
Ce sont dès lors les familles, sur une base volontaire, qui ont pris une grande part de responsabilité et sont devenues ainsi une des principales sources de soutien des personnes présentant une DI (Dorvil et Carpentier, 1996 cités dans MSSS, 1997; Maheu, Guberman et Dorvil, 1989). Toutefois, plusieurs personnes désinstitutionnalisées se sont retrouvées, faute de ressources, sans famille pour les accueillir. Afin de remédier à ce manque, diverses ressources d’hébergement favorisant l’ intégration sociale ont été créées par le gouvernement (Losson et Parratte, 1988, cités dans MSSS, 1997; Wallot, 1988). On y retrouvait principalement des familles substituts, appelées alors foyers nOUrriCiers (Fédération des familles d’accueil et ressources intermédiaires du Québec [FFARIQ], 2018; MSSS, 1997), des foyers collectifs, des foyers de groupe de réadaptation et des centres d’entraînement à la vie (Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissant du développement de la Mauricie et du Centre-du-Québec – Institut universitaire [CRDITED MCQ], 2015; Ferretti, 20 Il; Inoescu, 1990). Subséquemment, un mouvement d’intégration sociale pour les personnes présentant une DI a émergé.
Ce mouvement a été principalement inspiré de: (1) la Déclaration des droits du déficient mental de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de 1971, (2) de la Charte des droits et libertés qui a inclus les personnes handicapées en 1975 et (3) de la Loi assurant l ‘exercice des droits des personnes handicapées (RLRQ, c. E- 20.1) (ci-après « LEDPH ») de 1978 (CRDITED MCQ, 2015; Ferretti, 2011). À la suite de l’adoption de la LEDPH, l’ Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) a été créé par le gouvernement. Au cours des années suivantes, l’OPHQ, de concert avec différentes associations de parents de personnes présentant une DI , créées au fil des ans, ont travaillé activement pour la reconnaissance des droits des personnes présentant une Dl (Juhel, 1997; Tremblay, 2002).
Ressources d’hébergement
Les ressources non institutionnelles fournissaient aux personnes qui ne pouvaient vivre dans leur milieu dit naturel, un milieu de vie substitut. C’est en 1971 que la Loi sur les services de santé et les services sociaux (RLRQ, c. S-4.2) (ci-après « LSSSS ») a créé le terme « famille d’accueil » pour les ressources d’hébergement, qui, à ce moment, regroupaient autant les enfants, les adultes que les personnes âgées. Ce terme soulignait l’ importance du caractère familial des ressources d’ hébergement. En 1991 , la LSSSS a introduit l’appellation « ressource de type familial» (RTF) qui est encore utilisée aujourd’hui. Ce terme inclut deux entités distinctes, soit les « familles d’accueil » pour les enfants et les « résidences d’accueil » pour les adultes et les personnes âgées. L’année suivante, en 1992, la LSSSS a reconnu un deuxième type de ressource, toujours d’actualité, soit les « ressources intermédiaires » (RI), qui hébergent, quant à elles, des personnes ayant davantage besoin de soutien et d’encadrement. La Figure 1 illustre les différentes ressources résidentielles actuelles, non institutionnelles, offrant des services de santé et de services sociaux de qualité aux personnes présentant une DI (MSSS, 2016). En 2015, au Québec seulement, plus de Il 000 personnes présentant une DI bénéficiaient d’un hébergement dans une de ces ressources. Ces ressources d’ hébergement offrent des conditions de vie similaires à celles d’un milieu naturel en accueillant à leur domicile jusqu’à neuf personnes présentant une Dl (LSSSS, art. 302 et 312). De 1993 à 2015, les Régies régionales de la santé et des services sociaux détenaient la responsabilité administrative et professionnelle des ressources d’hébergement. Ces établissements assumaient les responsabilités de recrutement, d’évaluation, de suivi et de formation des ressources. Or, avec l’entrée en vigueur de la Loi modifiant l ‘organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l ‘abolition des agences régionales (RLRQ, c. 0-7 .2) (ci-après « L-l 0 ») le 1 er avril 2015, l’ensemble de ces responsabilités a été transféré aux centres intégrés universitaires de santé et de Il services sociaux (CIUSSS) et aux centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) (MSSS, 2016).
Synthèse conceptuelle
Les choses ont changé depuis l’époque où les personnes présentant une DI étaient hébergées en institution. En effet, depuis le mouvement de désinstitutionnalisation, ces dernières font maintenant partie intégrante de la société québécoise puisqu’e lles sont désormais reconnues comme des personnes à part entière. D’a illeurs, cette transformation majeure a mis l’accent sur les droits et libertés des individus (Paré, Parent, Pilon et Côté, 1994) et dès lors, les capacités des personnes présentant une Dl ont été de plus en plus reconnues (Ferretti, 20 Il). Par ailleurs, au tournant de ce changement, l’ autodétermination, qui sera présentée en détail dans le cadre conceptuel, a soulevé un intérêt grandissant dans le secteur de la DI. Selon la théorie fonctionnelle, ce concept réfère à la capacité d’être le maître d’oeuvre de sa vie sans influence excessive (Walker et al., 2011). Suite à la vague de désinstitutionnalisation, la majorité des personnes présentant une DI est retournée dans leur famille respective. Néanmoins, plusieurs se sont tournées vers d’autres ressources d’ hébergement puisqu’il leurs était impossible de retourner dans leur milieu naturel. De ce fait, aujourd’hui, plusieurs milliers de personnes présentant une DI bénéficient d’un hébergement substitut (MSSS, 1997), soit dans une RTF ou dans une RI. Les responsables de ces ressources hébergent à leur domicile temporairement, par intermittence ou en permanence, jusqu’à neuf personnes présentant une DI (MSSS, 2016).
Selon la LSSSS, ces responsables veillent notamment à « offrir des conditions de vie se rapprochant le plus possible de celles d’un milieu naturel » (art. 312). Au cours des dernières années, le statut des ressources a considérablement évolué au Québec, et ce, principalement en raison de l’adoption de la LRR en juin 2009. Il n’en demeure pas moins que les responsables des ressources sont des intervenants de premier plan puisqu’ils sont présents quotidiennement auprès des personnes qu’ elles hébergent. À ce jour, peu d’ études ont été réalisées dans le domaine de l’autodétermination et des ressources d’ hébergement. Les études réalisées mettent néanmoins en lumière les bénéfices de soutenir l’autodétermination des personnes présentant une Dl. Toutefois, aucune étude ne s’est intéressée précisément aux pratiques des ressources d’ hébergement en soutien à l’ autodétermination dans un contexte québécois. Il s’agit d’ ailleurs de la problématique de cette recherche.
Normalisation et valorisation des rôles sociaux. Émergeant dans les pays scandinaves par Bank-Mikkelsen en 1969 et N irje en 1972 comme une nouvelle idéologie, la normalisation souligne l’importance d’ offrir aux personnes présentant une DI les mêmes conditions de vie qu ‘au reste de la population, c’ est-à-dire notamment d’ offrir les mêmes milieux de vie, de favoriser les exceptions dans le quotidien et proposer des opportunités qui correspondent à l’âge de la personne. Ce concept influence d’ ailleurs l’ élaboration de politiques sociales dans les pays scandinaves (Wolfensberger, 1972). Une définition nord-américaine de la normalisation, s’ inspirant à la fois de BankMikkelsen et Nirje, est proposée par Wolfensberger (1972). Cette définition évolue au cours des années et c’ est en collaboration avec Tullman en 1982 qu’une définition plus complexe voit le jour, s’ articulant ainsi: « la normalisation implique, autant que possible, l’ utilisation de moyens culturellement valorisés afin de permettre, établir ou maintenir les rôles socialement valorisés pour les personnes » [traduction libre] (Wolfensberger et Tullman, 1982). C’est d’ ailleurs grâce à cette définition qu ‘émerge le concept de la valorisation des rôles sociaux. Wolfensberger (2000) prétend que la perception de la société envers une personne influence l’ interaction qu’ elle a avec celle-ci. Ainsi, si une personne est perçue négativement par la société, elle sera traitée selon cette perception et inversement. C’est pourquoi le principe de valorisation des rôles sociaux souligne l’ importance du développement des capacités et des habiletés des personnes potentiellement dévalorisées par la société (Thomas et Wolfensberger, 1999), ainsi que l’amélioration de leur image sociale (Paré et al. , 1994). En appliquant ces principes, les personnes à risque de dévalorisation sociale, par exemple les personnes présentant une DI, seront plus susceptibles d’être intégrées et valorisées socialement.
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