Interprétation des images thermiques
Afin d’interpréter ces images thermiques, nous avons développé un logiciel expérimental permettant une lecture automatisée de ces images obtenues avec la caméra FLIR ONE. Le logiciel détecte automatiquement 11 ROI pour chaque main (poignet, carpe, MCP 2-5 et IPP 2-5 et une zone saine au niveau de l’avant-bras) et relève la température moyenne des ROI (GipsVision) (Figure 1).
Pour la construction des ROI, le logiciel GipsVision délimite la main, grâce à la détection de la chaleur qu’elle émet, ce qui la différencie du plan de travail (température plus froide) (Figure 1a). La délimitation de la main permet de positionner l’extrémité des doigts, l’inflexion du poignet, l’axe de l’avant-bras et le centre du carpe. Grâce à ces marquages, les ROI des MCP et IPP sont automatiquement fixées sur l’image thermique (Figure 1b). Il n’est pas possible de repositionner les ROI manuellement.
La caméra FLIR One produit une image en couleurs dans une échelle qui va du bleu foncé (pour les températures les plus basses) au jaune clair (pour les températures les plus hautes). Ces couleurs sont arbitraires, c’est à dire qu’en fonction de la palette de couleurs utilisée, chaque couleur ne correspond pas à une température fixe. Le logiciel développé par GipsVision transcrit cette couleur en une valeur numérique sur une échelle linéaire de 0 à 256 (sur 8 bits). Le curseur de la caméra permet de relever en plusieurs endroits des températures données, et d’ainsi étalonner la correspondance entre les valeurs transcrites et les températures réelles en degrés Celsius (°C). Concernant la captation des ROI, le logiciel mesure la moyenne des valeurs à l’intérieur de chaque ROI (Figure 1b) et pour chaque zone de mesure, une valeur brute, convertible en °C (Figure 1c).
Population
Nous avons inclus 2 groupes de sujets : une population de sujets sains et une population de sujets atteints d’un rhumatisme inflammatoire chronique (RIC) se manifestant par des synovites cliniques. L’objectif était de recruter 10 patients avec un RIC et 10 sujets sains. Les critères d’inclusion étaient un âge supérieur à 18 ans et inférieur à 90 ans, l’absence de syndrome de Raynaud, de déformations sévères des mains ou de chirurgie des poignets ou des doigts dans les 3 mois précédents leur inclusion.
Le recrutement des patients a été réalisé en monocentrique, dans le CHU de Sainte Marguerite, dans le service de rhumatologie, à Marseille.
Conditions expérimentales
Nous avons évalué la reproductibilité des mesures dans le groupe sujets sains en prenant d’une part plusieurs clichés à des distances différentes sans que le sujet ne bouge les mains et d’autre part plusieurs clichés à temps et des distances différents après que le sujet ait changé de position des mains.
Pour des raisons pratiques, nous n’avons pas pu réaliser les clichés à des distances fixes. Chaque image devait visualiser l’intégralité des mains (avec doigts écartés) ainsi que 15 cm d’avant-bras par rapport aux poignets. Cette distance minimale pour répondre à ces critères était d’environ 40 centimètres. Un cliché était pris à partir de cette position de référence, puis deux autres clichés étaient réalisés à 50 et 60 cm, respectivement, à un temps T0.
De plus, trois images étaient également réalisées à un intervalle de temps différent (10 minutes soit T10) et également à des distances différentes (40, 50 et 60 cm) afin d’évaluer la reproductibilité des images après changement de position du capteur thermique et des mains.
Analyses statistiques
Pour rappel, nous avons observé dans la 1ère partie de notre étude que la caméra FLIR One modifie automatiquement sa palette de couleurs en fonction de l’environnement. De ce fait, les couleurs de l’image thermique sont une extrapolation de la température cutanée des mains, mais ne sont pas strictement corrélées à une température cutanée donnée. Il est donc difficile de comparer les couleurs d’une image thermique à une autre. A notre connaissance, l’ampleur de l’impact de ce biais sur l’évaluation des images thermiques n’est pas connue. Afin d’éviter ce potentiel écueil, nous avons établi un delta de températures entre la température de l’avant-bras (considérée comme zone de référence) et la température d’une articulation donnée («AB »)
L’intérêt de ce AB est également lié à une variabilité interindividuelle des températures cutanées. En effet, lors de nos expérimentations sur le sujet sain, nous avons observé que chaque individu n’avait pas la même température cutanée (cf. page 28 et 29).
Afin d’évaluer la distribution des températures, chaque température moyenne de ROI d’une articulation donnée a été comparée à la moyenne des ROI de cette même articulation sur l’ensemble de la population étudiée (sujets sains et patients). Cette comparaison a été faite pour l’ensemble des ROI (avant-bras, poignet, carpe, MCP 2 à 5, IPP 2 à 5). Nous avons étudié 2 façons d’exprimer les températures cutanées extraites à partir des images thermiques :
– Les températures en chiffre absolu, exprimées en degrés Celsius, mesurées au sein de chaque ROI (température moyenne de la ROI)
– Les différences entre la température d’une ROI et la température moyenne de l’avantbras. En effet, lors de nos expérimentations sur je sujet sain, nous avons observé que chaque individu n’a pas la même température cutanée (cf. page 28 et 29). Afin d’avoir une évaluation indépendante de ce facteur, nous avons aussi comparé la température moyenne de chaque articulation à la température moyenne de l’avant-bras (zone saine).
Ce delta de température pour une articulation donnée a été comparé à la moyenne des deltas de cette articulation.
Sur le plan statistique, nous avons comparé :
– La distribution de la différence entre la température moyenne d’une ROI de chaque articulation (poignets, MCP 2 à 5 et IPP 2 à 5) de chaque image thermique par rapport aux moyennes des températures de toutes les images thermiques des ROI de cette même articulation au cours de différents temps de mesure.
– La distribution de la différence entre le AB/articulations de chaque articulation (poignets, MCP 2 à 5 et IPP 2 à 5) de chaque image thermique par rapport à la moyenne des AB/articulations de toutes les images thermiques de cette même articulation au cours des différents temps de mesure.
Ces résultats seront présentés pour tous les individus, puis par groupe (sujets sains et patients).
Résultats
Nous avons inclus 11 patients avec un RIC présentant des synovites des poignets et/ou des MCP et/ou IPP, et 10 sujets sains, sur la période de mai 2017 à octobre 2017.
Les 10 sujets sains ont eu un total de 56 images thermiques :
Pour 8 sujets sains, 3 images thermiques ont été réalisées à des distances différentes, ainsi que 3 images à des temps différents.
Pour 2 sujets sains, 4 images thermiques ont été réalisées, sans changement de position des mains.
Il en ressort donc que la distance la plus appropriée est la plus rapprochée, permettant de visualiser sur le même cliché les mains, poignets et avant-bras.
Cependant, pour mémoire, plus la distance entre les mains et la caméra FLIR One est courte, plus les images visuelles et thermiques sont décalées.
Du fait du nombre hétérogène d’images interprétables par individu sain, il a été décidé de sélectionner les 4 premières images chez les 4 sujets sains présentant encore 6 images. Au final, nous avons analysé 4 images par sujet sain, soit 40 images thermiques au total.
Les 10 sujets sains avaient un âge moyen de 43,6 18,5 ans, comprenant 5 hommes et 5 femmes.
La température moyenne des avant-bras des 40 images thermiques était de 36,9 °C 0,2 et la température moyenne de tous les ROI (poignets, carpes, MCP 2 à 5 et IPP 2 à 5) des 40 images thermiques était de 36,8 °C 0,65.
Concernant le groupe patients, toutes les images lues par le logiciel GipsVision ont pu être analysées.
Au final, nous avons analysé 22 images thermiques dans le groupe patients.
Les 11 patients ont un âge moyen de 59,8 ans 16,4 avec une proportion de 8 femmes et 3 hommes. On était inclus 9 PR anti CCP +, 1 maladie de Still et 1 rhumatisme psoriasique. La durée moyenne des RIC était de 12 ans 12,7. La température moyenne de leurs avant-bras des 22 images thermiques était de 36,9 °C 0,32 et la température moyenne de tous les ROI (poignets, carpes, MCP 2 à 5 et IPP 2 à 5) des 22 images thermiques était de 37,1 °C 0,9. Concernant leur activité, 9 sur les 11 patients ont eu une échographie des mains et poignets (tableau 5). Il est mis en évidence un total de 18 articulations avec un grade doppler à 3 et 17 articulations avec un grade doppler à 2.
Discussion
Nos résultats montrent que les températures mesurées, que ce soit en températures absolues ou en AB (résultats non montrés), suivent une distribution selon la loi normale. Les écarts-types varient le moins au niveau des avant-bras, avec un écart type de 0,05 dans le groupe des patients et de 0,09 dans le groupe des sujets sains). Les écarts-types les plus larges sont observés aux articulations les plus excentrées (MCP 5, IPP 2 et 5).
Cette observation soulève plusieurs hypothèses. Tout d’abord, nous pouvons supposer qu’il existe une variation de mesure secondaire à la modification automatique de la palette de couleurs en fonction de l’environnement. De plus, ces articulations étant les plus périphériques, il se peut qu’elles soient plus sensibles aux facteurs environnements, expliquant ses écarts types plus large.
Une autre hypothèse concerne la reconnaissance des ROI par le logiciel GipsVision. En effet, il est possible que la détection des ROI des articulations les plus excentrées comprenne une part de l’articulation, mais également une part du plan de travail, expliquant la plus grande différence de température.
Nous avons évalué indirectement la reproductibilité des images thermiques en évaluant la distribution des températures des ROI par rapport à la moyenne de toutes les ROI avec leur écart type. En prenant en compte les écarts types, nous avons pu évaluer la variation de mesure entre les images thermiques.
Concernant la distribution des températures moyennes des ROI par rapport à la moyenne de toutes les ROI de toutes les articulations, dans le groupe patients, l’écart-type maximal était de 0,42 et dans le groupe sujets sains, l’écart-type maximal était de 0,21. Les écarts types variaient donc seulement de quelques dixièmes de degrés ce que ne nous semblait pas être une variation cliniquement pertinente.
Concernant la distribution du AB / articulations par rapport à la moyenne des deltas de toutes les images thermiques de cette même articulation, il était retrouvé un écart-type maximal de 0,40 dans le groupe des patients et un écart-type maximal de 0,21 dans le groupe des sujets sains.
Malgré l’impossibilité de comparer strictement les images thermiques (variabilité des couleurs en fonction de l’environnement), il est toutefois mis en évidence une distribution normale du AB par rapport à sa moyenne, avec une variation de quelques degrés.