Interdépendance entre territoire et infrastructures de transport cadrage méthodologique
Structurer les territoires par les réseaux de transport : la mise en évidence de liens étroits et indissociables
Réseaux de transport et territoire : la complexité des rapports entre deux systèmes
Puisqu’il est admis que les réseaux de transport assurent échanges et relations en tous genres entre les hommes et leur milieu de vie, réseaux de transport et territoire, par les liens étroits qu’ils entretiennent, ne peuvent être traités séparément. Ainsi présenté, le territoire peut être défini comme un système ouvert, structuré par un ensemble de réseaux et doté d’un dispositif de gestion, au sein duquel se situent les acteurs du territoire en question. Dans cette perspective, le réseau de transport devient ce sous-système et/ou système technique, cet ensemble cohérent d’infrastructures qui s’inscrit dans le système territorial pour l’organiser, et par là même le structurer, en assurant les liens nécessaires entre les différents lieux qui composent le territoire (Kansky, 1963 ; Angel et Hyman 1972 ; Offner, 1991 ; Merlin, 1991 ; Mathis, 1996, 2000 ; Bonnafous, 1974, 1980, De Noüe, et al., 1993 ; Pumain, 1982, etc.). Afin de mieux appréhender la problématique réseau/territoire, il convient de la traiter sous deux angles, en abordant tant la dimension spatiale qui rend compte de diverses logiques liées à l’espace età l’organisation d’un territoire, que la dimension temporelle qui fait appel au temps nécessaire aux acteurs pour arriver à la phase d’exploitation d’un réseau donné de transport. Souvent ce temps se compte en 10, 15, 20, voire 30 ans, dans le cadre de grands projets d’envergure (aéroport, ligne à grande vitesse, port, etc.).
La dimension spatiale des réseaux de transport
L’approche scalaire des réseaux de transport permet de déterminer l’importance de l’échelle géographique dans laquelle ces derniers s’inscrivent. On peut ainsi établir que les réseaux permettent et facilitent l’articulation entre les différentes échelles spatiales. Le besoin des sociétés humaines d’échanger et de communiquer entre elles, octroie aux réseaux de transport cette fonction de mise en relation de lieux différents et d’irrigation des territoires. Pour étayer nos propos, nous allons prendre l’exemple de la construction de l’Europe où l’on observe un processus de maillage des réseaux de transport initialement conçu au niveau des États-nations, et qui s’est progressivement étendu aux échelles spatiales transfrontalières, transnationales, favorisant ainsi la cohérence et la cohésion territoriale des territoires de l’Europe, tout en facilitant la circulation des personnes et des biens au sein de cet espace, devenu une large zone d’échange et de relations. Le cas de l’Europe en construction est intéressant à évoquer car, ici plus qu’ailleurs, se décline sans ambiguïté aucune, le rôle des réseaux de transport dans l’intégration de territoires jusque-là en marge des grands axes d’échanges. Il en ressort que la politique européenne de transport s’inscrit dans une volonté d’intégration des territoires par les réseaux de transport. En effet, pour faciliter l’intégration des différents espaces qui la composent, l’Europe s’est employée à étendre et interconnecter le réseau transeuropéen à grande vitesse en construisant des axes prioritaires. C’est le cas du tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 26 projet Lyon-Turin ou encore du TGV-Est mis en service en 2007 et qui entraîne dans son sillage, le projet TGV Est Européen appelé à relier l’ouest à l’est de l’Europe.
La dimension temporelle des réseaux de transport : la transformation de la « mesure » du temps
Autant que l’espace, un réseau de transport est appelé aussi à « maîtriser » et à « gérer » le temps de façon optimale. Cette exigence s’est accrue avec la technologie de plus en plus complexe des modes de transport. Au niveau du transport aérien (Concorde en son temps, 1980-2002 et, en 2008, l’Airbus A.380) comme au niveau de l’innovation qui s’est opérée sur du transport ferroviaire avec un bouleversement de la notion du temps participant ainsi à la modification de la dimension temporelle dans l’approche des réseaux de transport (Klein, 2001). Dans son ouvrage L’homme à toute vitesse (2000), Jean Ollivro s’emploie à démontrer comment les avancées technologiques ont participé à une modification exacerbée du comportement et de la perception des sociétés humaines à l’égard du temps. Désormais, le temps n’est plus tributaire du lieu et/ou de la distance mais du décuplement des vitesses de déplacement rendu possible par les différentes innovations techniques (Ollivro, 1999; 2000). Moins on met de temps pour parcourir une longue distance, plus le mode de transport sera jugé efficace par l’usager car objectivement ce que l’usager achète c’est du temps. Pour exemple, au-delà de 5 h de trajet de train, les usagers vont davantage privilégier l’avion plutôt que le TGV qui, dans ce contexte précis, apparaît comme moins approprié pour se déplacer. Cependant, au-delà de la performance technologique, la dimension temporelle des réseaux est aussi à rechercher au niveau de la réalisation des infrastructures de transport qui s’opère généralement sur un long terme (20 ans et plus), du fait des investissements lourds de longue durée et des coûts fixes importants mobilisés (souvent des milliards d’euros). Ces délais parfois très larges sont la résultante de nombreuses concertations entre les acteurs impliqués qui se traduisent le plus souvent en confrontations quotidiennes entre ceux qui souhaitent aménager et faire évoluer constamment le réseau de transport, et ceux qui ne veulent rien faire, soit parce qu’ils n’en voient pas la nécessité, soit dans un souci de protection de l’environnement. Toutefois, le désaccord entre acteurs à l’échelon local et régional, se résorbe souvent par l’arbitrage de pouvoirs publics de niveau supérieur, à savoir l’Etat, qui reste seul décisionnaire final. La preuve en est faite lorsqu’il y a litige sur l’adoption d’un tracé d’autoroute ou d’un tracé de ligne à grande vitesse, et où la décision finale appartient toujours à l’Etat.
Les « nœuds de réseaux » comme éléments d’articulations des échelles spatiales et temporelles
Les nœuds de réseaux à l’image des gares TGV ou des plateformes multimodales tels que les hubs (Roissy, New York, Londres, etc.), sont souvent retenus pour expliquer l’articulation entre les échelles territoriales et réticulaires. Un nœud peut être défini comme un point de jonction de différents tronçons d’un réseau (…). Il peut être une plateforme bimodale tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 27 ou plurimodale. C’est donc à la fois le lieu de connexion et l’organe qui garantissent la jonction entre différents modes de transport (Bavoux et al, 2005). Par essence donc, le nœud de réseau, assure l’interconnexion entre les différents modes de transport sur des échelles spatio-temporelles diversifiées. Le cas des hubs européens, à l’instar de Roissy Charles De Gaulle, illustre bien l’existence d’articulation entre échelles territoriales et temporelles des réseaux. En effet, dans ce lieu représentatif qu’est Roissy, sont assurées multitudes d’interconnexions à partir de divers modes de déplacement allant du réseau TGV au réseau intra-urbain (bus, taxis, etc.). Pour exemple, y sont réalisées des liaisons essentiellement aériennes ou entre avion et TGV pour des destinations de longue durée et de très longues distances (nationales et internationales), l’avion + bus/taxis pour des liaisons de courtes durées qui s’exercent au niveau intra-urbain. Indirectement, l’usager de l’avion qui atterrit à Roissy apporte des informations sur la capacité de ce nœud à gérer des interconnexions scalaires, selon le mode de transport qu’il aura choisi par la suite pour atteindre son domicile et/ou son lieu de travail. Ce même usager exige une condition non négligeable : optimiser au mieux son temps de déplacement de manière à atteindre sa destination en passant le moins de temps possible dans les transports. Or, si le nœud de transport permet de relier facilement les territoires, au niveau des échelles spatiales, en revanche, les ruptures de charge qu’il impose font ressentir le poids des contraintes temporelles en constituant un handicap à la fois pour l’usager, en termes de confort et de temps de trajet, et pour l’exploitant (en termes d’efficacité car les cadencements horaires ne peuvent pas toujours être assurés). Ainsi, les nœuds de transport et plus particulièrement les hubs, sont parmi les infrastructures de transport qui traduisent le mieux la complexité du fonctionnement des réseaux dans un espace-temps donné (Chi et Crozet, 2004 ; Bonnafous et Giret, 2002)
Réflexion sur le rôle des réseaux physiques dans la structuration des territoires
Analyse de la cohésion territoriale vue par l’Europe
La cohésion territoriale
un concept récent dans la politique régionale européenne C’est un exercice difficile que d’essayer d’analyser en l’état, le concept de cohésion territoriale en Europe, même si ce concept fait actuellement figure de « vitrine » de la politique régionale de la communauté. En effet, ce concept est relativement nouveau dans les textes européens où jusque-là, étaient présents des concepts plus maîtrisés et plus en phase avec la politique européenne, tel le concept de cohésion sociale et/ou cohésion économique. C’est seulement au cours de la décennie 1980, que viendra s’ajouter dans les textes officiels européens le terme de cohésion territoriale « (…) La cohésion territoriale apparaît de prime abord comme un OVNI politique européen, un de ces amendements « cavaliers » que l’on glisse subrepticement dans un projet de loi afin de faire passer une disposition législative aux buts inavoués » (Grasland et Hamez, 2005, p. 98).
Quelle définition pour le concept de cohésion territoriale ?
Les géographes ont apporté une définition au concept de cohésion territoriale : la cohésion territoriale est une notion à la fois multisectorielle et multiscalaire ; elle doit être comprise de façon non statique mais évolutive, et doit être intégrée aux politiques dans une « gouvernance multiniveaux » (Grasland et Hamez, 2005). Dans cette définition, se côtoient les dimensions de territoire, d’échelle et de temps. À travers celle-ci, c’est l’importance des échelles – échelle spatiale (fonction des territoires : dimensions économique, sociale et environnementale) et échelle temporelle (évolution et dynamiques territoriales) – qu’il est nécessaire de mettre en évidence dans le cadre de l’appréhension du concept de cohésion territoriale. C’est donc le territoire, dans toutes ses composantes (dimension plurisectorielle et plurifonctionnelle) et le temps dans sa durée et son écoulement (temps/termes court, long et moyen) qu’il faut prendre en compte pour comprendre ce qu’est la cohésion territoriale. Cette définition, en montrant la dimension spatiale et temporelle de la cohésion territoriale, va donc au-delà de celle de la communauté qui semble réduire la cohésion territoriale à une équation devant amoindrir les disparités économiques entre différentes régions européennes, alors qu’elle est beaucoup plus complexe. Cette complexité tient au fait que la dimension territoriale est au cœur des processus qui font la « cohésion territoriale » et qui font appel aux multiniveaux, niveau local, d’abord, et niveau régional, à l’échelle européenne. C’est cette prise en compte de l’imbrication et de l’emboîtement des différentes échelles qui est souvent malaisée, et qui pourtant, s’avère fondamentale pour appréhender ce concept et par conséquent l’intégrer de façon efficace dans les différentes politiques d’aménagement du territoire européen. Si l’appréhension du terme cohésion territoriale, est mal aisée, c’est qu’elle implique une prise en compte de la dimension spatiale et temporelle, que l’Europe n’introduit pas dans ses tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 31 directives. L’un des principaux apports des géographes au programme ESPON est d’avoir démontré l’importance de ces deux dimensions.