INTERACTIONS INTESTIN-CERVEAU
Les moyens pour étudier l’axe microbiote-intestin-cerveau
Pour analyser l’axe microbiote-intestin-cerveau, les chercheurs ont créé des souris sans microbiote intestinal : « gut-free animals ». Ces animaux sont nés par césarienne pour empêcher toute contamination par le microbiote fécal, vaginal et cutané, et sont élevés dans un milieu aseptisé. Les animaux sont nourris avec des aliments et de l’eau stériles. Leurs selles sont fréquemment contrôlées pour s’assurer de l’absence de bactéries (9). Il a, par exemple, été étudié chez des souris « gut-free », les conséquences sur le cerveau d’une transplantation de microbiote de patients schizophrènes. Il a été constaté que les souris présentaient une augmentation de l’activité, une diminution de l’anxiété. De plus, au niveau de l’hippocampe, il y avait une augmentation du GABA, de la glutamine et une diminution du glutamate. Au niveau cortical, ces neurotransmetteurs étaient aussi perturbés .
Pour pouvoir étudier les relations entre le microbiote et le cerveau, il est possible d’utiliser des antibiotiques qui ne sont pas absorbés par l’organisme (ex : vancomycine, néomycine…) pour pouvoir éradiquer le microbiote et voir les conséquences qui en découlent. En effet, avec cette méthode, il a été constaté que l’administration de ces antibiotiques influençaient la sociabilité et l’anxiété (9). De plus, lesdits antibiotiques présentent l’intérêt de pouvoir être administrés de manière aiguë ou chronique à n’importe quel moment du développement des animaux et, ainsi, de pouvoir effectuer différentes études .Dans des essais précliniques, grâce à la spectroscopie par résonnance magnétique, il a pu être observé que la souche bactérienne Lactobacillus Rhamnosus JB-1 augmentait le taux de glutamate, et son précurseur la glutamine, en plus d’une augmentation du N-acétyl aspartate et du GABA (9). De plus, avec l’IRM de diffusion, les chercheurs se sont aperçus que l’alimentation influençait l’intégrité structurale de la substance blanche .
Grâce à l’IRM, il ressort de l’étude de Pinto-Sanchez et al. que chez des patients atteints du syndrome du côlon irritable, l’espèce bactérienne Bifidobacterium longum réduirait, par rapport à la prise d’un placébo, les réponses à des stimuli émotionnels négatifs dans plusieurs parties du cerveau, notamment l’amygdale et la région fronto-limbique. Le score de qualité de vie des patients serait amélioré grâce à la prise de ce probiotique (78). En utilisant la technique de l’imagerie par résonnance magnétique, une étude s’est intéressée à la relation entre le microbiote, le comportement et l’activation de certaines régions cérébrales chez des femmes en bonne santé. Les sujets ont été séparés en deux groupes en fonction de la composition majoritaire de leur microbiote : Prevotella et Bacteroïdaceae. Entre les deux groupes, l’IRM a mis en évidence des différences structurales et fonctionnelles, notamment au niveau de l’hippocampe droit du groupe Prevotella (9). Les différentes techniques d’imagerie cérébrale commencent à être utilisées pour étudier l’axe intestin-cerveau et, ainsi, pour pouvoir mieux comprendre certains troubles psychiatriques. En effet, l’objet de l’étude de He et al. était d’étudier la diversité du microbiote intestinal et la concentration de choline dans le cortex cingulaire antérieur à un stade prodromique, c’est-à- dire avant l’apparition de la schizophrénie chez des patients à très haut risque. Il en est ressorti que les patients présentaient une augmentation des ordres suivants .
Les différents moyens de communication entre le cerveau et l’intestin
Comme cela a été vu dans le chapitre 2.4, le SNA commande de manière inconsciente nos organes internes. Il est préférable maintenant de parler de communication bidirectionnelle, antagoniste ou synergique entre le SNA et le SNC. Le SNA peut, associé au SNC, induire une modification rapide du comportement de l’intestin (mobilité, perméabilité, etc.). Les synapses du SNA peuvent interagir avec les métabolites produits par le microbiote. Par exemple, plusieurs études ont mis en évidence le fait que la production de 4-éthylphényl sulfate (métabolite produite par certaines bactéries du microbiote) pouvait entraîner une anxiété chez des souris .
Comme nous l’avons vu dans la partie 2.2.1, les fibres afférentes du nerf vague parasympathique sont capables de détecter l’étirement, la tension, les hormones, les neurotransmetteurs et la présence de molécules produites par les bactéries de l’intestin. En effet, une réduction du contrôle parasympathique du transit intestinal a été corrélé avec une augmentation de la prolifération bactérienne intestinal et sa translocation (9). Lorsque la vagotomie – section du nerf vague situé dans l’abdomen – était utilisée pour le traitement de l’ulcère gastroduodénal, il a été constaté l’apparition de troubles psychiatriques chez les patients (9). Chez les rongeurs, l’ablation du nerf vague aboutit à une diminution de l’activité locomotrice et à une augmentation du taux d’adrénaline dans le plasma, avant et après un stress d’immobilisation. De plus, elle conduirait à l’activation de la microglie au niveau du gyrus denté et de l’hippocampe. L’ensemble de ces manifestations sont retrouvées également dans les maladies psychiatriques (9). L’équipe de Klarer et al. a effectué une désafférentation (absence totale ou partielle des sensations parvenant au cerveau (80) des fibres afférentes vagales au niveau de l’abdomen) chez des rats et se sont aperçus que ces derniers présentaient un comportement anxieux (via le test du labyrinthe, open-field et celui de la néophobie alimentaire) (80). Cela démontre le rôle important des voies afférentes vagales dans l’anxiété. La stimulation du nerf vague est parfois utilisée pour le traitement des dépressions réfractaires, des douleurs chroniques, de la maladie de Crohn et de certaines épilepsies (9). Chez les rongeurs, la stimulation du nerf vague aurait entraîné une augmentation de la neurogènese dans l’hippocampe, ainsi que la modulation de la libération de noradrénaline, de sérotonine, et de dopamine dans les régions du cerveau en rapport avec l’anxiété et la dépression. La stimulation du nerf vague aurait aussi entraîné l’augmentation de l’expression de BDNF au niveau de l’hippocampe, ce qui aurait amélioré les symptômes dépressifs (9). Le BDNF, ou brain-derived neurotrophic factor, est un facteur de croissance neurotrophique permettant le développement et la protection des neurones (81). Il agit sur l’hippocampe, le cortex et le prosencéphale basal. Il permettrait la mémorisation et sa consolidation sur le long terme (82). L’équipe de Han W et al. a démontré que l’activation afférente du nerf vague influençait le comportement de la souris (9). Mais le microbiote peut aussi actionner le nerf vague et entraîner des changements émotionnels et comportementaux chez l’homme (9). L’ingestion de Campylobacter jejuni aurait induit un comportement anxiogène (9). L’administration de l’espèce Lactobacillus rhamnosus augmenterait l’activation du faisceau nerveux mésentérique, qui contient les fibres afférentes du nerf vague (9). Ainsi, au fil des années, il a été démontré l’importance de la signalisation vagale bidirectionnelle entre le comportement, l’intestin et le microbiote.