Interactions homme-homme pour l’élaboration du référentiel commun dans les environnements virtuels collaboratifs

La réalité virtuelle

Plusieurs raisons rendent difficile la définition de la RV : Premièrement , étant une notion récente, sa définition évolue assez rapidement. Deuxièmement, la RV est à l’intersection de deux grands domaines : les sciences et techniques et les sciences humaines. Plusieurs disciplines de ces grands domaines ont participé à son développement : robotique, infographie, informatique et Interactions Homme-Machine, informatique temps réel, ergonomie physique et physiologique, et plus récemment psychologie et ergonomie cognitive (Burkhardt, Bardy, & Lourdeaux, 2003). Bien que la RV soit le plus souvent liée au domaine de l’informatique, l’apport des autres disciplines depuis quelques années ne peut plus être négligé. Ainsi, la RV profite de cette pluridisciplinarité pour se construire comme un domaine de recherche à part entière. Mais cette diversité des acteurs et des domaines qui participent à son évolution a fait émerger des visions différentes. Enfin, l’impact de la réalité virtuelle sur le grand public à travers le mass-média a conduit à de nombreuses interprétations, parfois inconsistantes, du terme en question.
Il est donc question ici d’étudier quelques définitions pour essayer de trouver un consensus qui permet d’avoir une vision claire de ce que représente la RV dans le cadre de notre travail d’étude des environnements virtuels collaboratifs.
D’un point de vue fonctionnel, la RV peut être définie comme étant un environnement tridimensionnel, simulant par ordinateur, un espace donné et permettant à l’utilisateur d’interagir avec cet espace. Cet environnement peut être :
Une simulation d’une situation réelle du monde de l’utilisateur, lui permettant d’avoir des expériences nouvelles (un simulateur de vol permettant à des novices d’apprendre à piloter des avions ou à tester un nouvel appareil),
Une amplification d’un phénomène réel pour que l’utilisateur en ait une meilleure représentation mentale (par exemple, un phénomène scientifique non observable directement, ou une dimension sensorielle extrapolée pour mieux l’appréhender),
Un monde artificiel imaginé par des artistes ou par des auteurs de sciences fictions permettant d’avoir de nouvelles expériences différentes de celles du monde réel.
D’un point de vue technique, une application de RV offre à l’utilisateur la sensation d’être dans un monde virtuel et d’y agir. La définition de la RV tourne alors atour de trois notions : l’immersion, la présence et l’interaction.

Les Environnements virtuels

Le terme Environnement Virtuel (EV) a été utilisé comme synonyme de la RV au début des années 90 par les chercheurs du Massachusetts Institute of Technologie (MIT). Ellis (1991) préfère quant à lui, utiliser le terme EV plutôt que RV qui est pour lui critiquable et critiqué. En effet, pour lui, le terme EV est plus proche sémantiquement de ce que la technologie actuelle peut offrir (les dispositifs totalement immersifs restent trop onéreux pour être utilisés fréquemment). Il définie alors les EV comme étant (traduction personnelle) : «la visualisation interactive d’images virtuelles, enrichie par des transformations spécifiques et des modalités non visuelles (telles qu’auditives ou haptique,…etc.), pour convaincre les utilisateurs qu’ils sont immergés dans un espace synthétique» (Ellis, 1991). Cependant, le terme EV semble réducteur ; il ne reflète pas exactement les notions les plus importantes de la RV : l’immersion, la présence et l’interaction.
Au-delà de la terminologie, on peut dire que la RV introduit de nouvelles formes d’interactions qui permettent aux utilisateurs d’avoir de nouvelles expériences dans les EV 3D. Ainsi, la redéfinition de la RV proposée par Latta et Oberg (1994) semble mieux adaptée pour qualifier les systèmes qui existent actuellement : (traduction personnelle) « toute interface homme-machine avancée qui simule un environnement réaliste et qui permet aux participants d’interagir avec lui ». C’est cette définition qui a été adoptée pour la suite (bien que le terme « réaliste » puisse encore être discuté car les environnements virtuels ne sont pas toujours conçus pour être une copie exacte de la réalité.
Cette idée sera développée par la suite dans ce chapitre). Cette définition présente l’avantage d’inclure aussi bien les systèmes basés sur les ordinateurs personnels que ceux basés sur des dispositifs plus spécifiques (casque de données, CAVE, combinaison de données,…etc.). Le terme RV sera désormais utilisé pour désigner la technologie et le terme EV pour désigner l’environnement créé pour expérimenter cette technologie.
Un EV représente une description dynamique des objets faisant partie d’une simulation. Concevoir un EV nécessite alors de définir un ensemble de données modélisant : la scène virtuelle, le comportement des objets, un modèle comportemental pour définir les relations entre les objets (hiérarchie, groupes, interactions possibles,…etc.), un modèle physique pour contrôler les lois d’interaction (collisions, attractions, gravité, frottements,…etc.), la représentation des utilisateurs dans la scène virtuelle, etc.

Les Technologies de la Réalité Virtuelle

Les développements des technologies autour de la RV tournent autour de trois axes : la communication, l’interaction homme-machine et la synthèse d’images 3D.
Les technologies de la communication et des réseaux : Les technologies de la communication sont basées essentiellement sur les réseaux informatiques et le développement des architectures logicielles des systèmes répartis. La communication à travers des EV nécessite le transfert d’une grande quantité d’informations. Les réseaux de communications doivent alors garantir la transparence vis-à-vis des utilisateurs. Les développements des réseaux informatiques visent essentiellement à définir de nouveaux standards de communication pour supporter les EV distribués et les communications hypermédias.
Les technologies de la synthèse d’image 3D : La représentation d’un EV est en premier lieu visuelle. Les avancées technologiques dans le domaine de l’infographie et de la synthèse d’image permettent alors d’améliorer la qualité visuelle des EV. La synthèse d’image consiste en deux phases essentielles : une phase de modélisation permettant de reconstruire l’environnement qu’on veut afficher et la phase de rendu qui a pour but de visualiser l’environnement modélisé. Chacune de ces étapes fait appel à des techniques différentes. Les progrès dans le domaine de l’infographie pour la RV se font autour de ces techniques mais aussi autour du matériel informatique qui permet d’optimiser chacune des deux phases (mémoires physiques, CPU, GPU,…etc.). La finalité étant d’améliorer la qualité des images affichées en temps réel et permettre l’immersion de l’utilisateur dans l’EV.
Les technologies de l’interaction homme-machine : La RV permet à l’utilisateur d’interagir au sein de l’EV dans lequel il est immergé. L’utilisateur vit cette expérience dans l’EV à travers des interfaces qui lui procurent des sensations proches de celles qu’il a dans le monde réel. Ceci passe par les activités sensori-motrices qu’il peut avoir dans cet EV.
Fuchs et al. (2006) parlent alors d’Interfaces Comportementales qu’ils définissent comme étant «un dispositif qui exploite la perception et la motricité à la base du comportement humain». L’objectif étant de permettre à l’humain d’avoir un comportement le plus naturel possible. Les technologies d’interaction interviennent à travers deux types d’interfaces : les interfaces sensorielles qui transmettent des informations sensorielles de l’ordinateur vers l’utilisateur et des interfaces motrices qui transmettent vers l’ordinateur la réponse de l’utilisateur aux informations qu’il a reçu. Les développements se font autour des différents dispositifs d’interaction dans l’EV mais aussi autour des techniques d’interaction permettant d’étudier la manière dont ces dispositifs seront utilisés dans l’EV.

Travail collaboratif assisté par ordinateur : TCAO

Les EVC permettent à plusieurs utilisateurs de réaliser une activité ensemble. Comme d’autres applications multi-utilisateurs de la RV, ils font appel à des résultats du champ du TCAO.
Les nouvelles technologies de communication se sont installées depuis quelques années dans nos sociétés. L’ampleur du développement des téléphones mobiles ou encore d’Internet fait apparaître de nombreux enjeux sociaux et économiques. C’est dans ce cadre que se sont développés différents outils de TCAO (les collecticiels). Ces systèmes traduisent le changement de l’utilisation des ordinateurs : d’un outil de résolution de problèmes à un outil de communication et d’interaction. En effet, les activités humaines sont rarement individuelles, elles impliquent souvent des interactions au sein d’un groupe de personnes. D’où le besoin de nouvelles technologies qui supportent le travail de groupe. En 1984, Paul Cashman et Irene Grief (cités par Grudin, 1994) étaient les premiers à avoir utilisé le terme «Computer-Supported Cooperative Work » (CSCW, l’équivalent anglais du terme TCAO) lors d’un workshop sur les effets de la technologie sur le travail en groupe. L’intérêt pour le domaine de la TCAO nait alors de la volonté des concepteurs de mieux comprendre les activités de groupe à travers le point de vue des économistes, sociologues ou encore des anthropologues. Ceci dans la perspective de concevoir des systèmes mieux adaptés aux interactions homme-homme. Les collecticiels (Groupware, en anglais) sont définis par Ellis et al. (1991), comme étant (traduction personnelle) : « des systèmes informatiques qui soutiennent les groupes de personnes engagées dans une tâche commune (ou objectif commun) et qui fournissent une interface à un environnement partagé ». Cette définition exclut alors les systèmes qui ne sont pas informatisés, ou encore les systèmes multi-utilisateurs qui ne partagent pas une tâche commune. Le travail collaboratif peut se concrétiser par le partage d’informations, ou bien la création et l’échange de données informatisées liées à l’organisation, la synchronisation et la gestion des activités. Les interfaces de ces systèmes ont pour objectif de supporter ce travail collaboratif. La TCAO est le domaine pluridisciplinaire qui permet l’étude de la conception, la construction et l’utilisation de ces systèmes collaboratifs et les impacts psychologiques et sociologiques qu’ils peuvent avoir sur les utilisateurs. La discipline intéresse particulièrement les personnes impliquées dans la conception de logiciels d’une part et dans l’étude des comportements sociaux et organisationnels d’autre part. Ceci inclut alors aussi bien le monde des affaires, que les informaticiens, les psychologues, les chercheurs en communication et les anthropologues (entre autres). Les collecticiels font l’objet de recherches depuis une vingtaine d’années. Cependant, leur utilisation ne s’est généralisée que pour un certain type d’applications (courrier électronique, forums de discussions, réseaux sociaux,…etc.). Ceci laisse penser que beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine, pour satisfaire les exigences des utilisateurs en termes d’interactions sociales.

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Environnements virtuels collaboratifs : EVC

Les environnements virtuels collaboratifs (EVC) font appel aux technologies de la RV pour supporter les activités collaboratives et coopératives homme-homme. Les recherches sur les EV et le Travail Collaboratif Assisté par Ordinateur ont donc un apport considérable dans le développement de ces systèmes.
Un EVC est une application distribuée utilisant un EV qui supporte des communications homme-homme et/ou homme-machine. Ainsi à travers cet environnement partagé, plusieurs utilisateurs peuvent communiquer, interagir (entre eux ou avec les autres composants de l’EV), se toucher, travailler ensemble même s’ils sont éloignés géographiquement. Les EVC se trouvent à l’intersection de plusieurs disciplines qui participent à leur développement, entre autres la RV, la psychologie cognitive, les IHM, l’ergonomie, la sociologie, le design, l’intelligence artificielle, la robotique,…etc. Contrairement à la définition de Churchill, Snowdon et Munro (2001), qui inclut les environnements basés sur le texte ou sur des graphiques 2D, l’étude est limitée ici aux EVC basés sur des représentations 3D. Un EVC permet à deux ou plusieurs utilisateurs de partager un EV. Ainsi, en plus des interactions homme-machine que peut offrir un EV classique (la navigation, la sélection, la manipulation et le contrôle d’application), un EVC permet aux utilisateurs de communiquer et d’avoir des interactions synchrones et collaboratives, locales ou distribuées, souvent pour des tâches non réalisables individuellement (des tâches de comanipulation, de coplanification,…etc.). Ainsi, toutes les actions d’un utilisateur sur l’EV sont propagées vers les autres utilisateurs qui les perçoivent d’une manière quasi instantanée (modulo les délais de transfert des informations dans le cas de transmission réseau). Ces utilisateurs deviennent eux-mêmes des «parties» avec leur propre point de vue sur cet EV et éventuellement leur représentation graphique qu’on appelle avatar. Ceci permet à chaque utilisateur de voir ses partenaires et de suivre leurs actions dans l’EV. L’objectif sous-jacent à la conception des EVC est l’amélioration des interactions collaboratives à travers les outils informatiques. De part les nouvelles possibilités d’interaction que ces systèmes peuvent offrir, les recherches dans cette thématique se sont multipliées aussi bien dans les établissements académiques que dans le monde de l’industrie.

Table des matières

Introduction 
Chapitre 1 : Les Environnements Virtuels Collaboratifs
1 La réalité virtuelle
1.1 Bref Historique
1.2 Définition
1.3 Les Environnements virtuels
1.4 Les Technologies de la Réalité Virtuelle
1.5 Les acteurs de la Réalité Virtuelle
1.6 Synthèse
2 Travail collaboratif assisté par ordinateur : TCAO 
2.1 Définition
2.2 Typologies des Collecticiels
2.3 Exemples d’applications des collecticiels synchrones
2.4 Synthèse
3 Environnements virtuels collaboratifs : EVC
3.1 Définition
3.2 Classification des EVC
3.3 Les choix pour la conception des EVC à distance
3.4 Exemples
3.5 Problèmes liés aux EVC
3.6 Synthèse
4 Conclusion
Chapitre 2 : Collaboration et référentiel commun
1 La collaboration
1.1 Collaboration ou coopération ?
1.2 Caractéristiques du travail collaboratif dans les EVC : les modes de collaboration
1.3 Synthèse
1.4 Définition proposée
2 Le référentiel commun 
2.1 Représentations mentales
2.2 Définition du référentiel commun
2.3 Autres définitions
2.4 Synthèse
2.5 Processus d’élaboration du référentiel commun
2.6 Synthèse
3 Communication dans les EVC
3.1 Définition de la communication
3.2 Combinaison de la communication verbale et non-verbale
3.3 Les communications médiatisées
3.4 Communication médiatisée par ordinateur
3.5 Influence du médium sur la collaboration
3.6 Les problèmes de communication dans les EVC
3.7 Synthèse
4 La coprésence dans les environnements virtuels collaboratifs
4.1 La présence
4.2 Synthèse
4.3 Définition de la notion de présence sociale
4.4 La conscience mutuelle de la situation et la présence sociale
4.5 Synthèse
4.6 Le rôle de la présence sociale dans l’élaboration du RC
5 Notre démarche 
6 Conclusion
Chapitre 3 : Communication spatiale dans un environnement virtuel collaboratif
1 Les systèmes de référence et les représentations spatiales
1.1 Définitions
1.2 Choix du système de référence à utiliser
1.3 Utilisation des Systèmes de Référence dans les Environnements Virtuels : Points de vue,
navigation et manipulation
2 Systèmes de référence et Référentiel Commun : définition de la notion de référentiel spatial commun
2.1 Communication spatiale et systèmes de références
2.2 Indices complémentaires pour la communication spatiale
2.3 Synthèse
3 Les systèmes de référence dans les EVC : Localisation des objets dans l’espace
3.1 Problèmes
3.2 Quelles sont les possibilités (littérature et solution proposée)
3.3 Alternative proposée : paradigme de la référence spatiale fixe
4 Etude expérimentale
4.1 Analyse d’une tâche simple : Résolution d’un problème spatial d’assemblage de polyminos
4.2 Objectifs et Hypothèses
4.3 Architecture logicielle
4.4 Méthode
4.5 Résultats
4.6 Discussion
4.7 Bilan
5 Conclusion
Chapitre 4 : Communication haptique dans un environnement virtuel collaboratif
1 Les gestes techniques 
1.1 Définition
1.2 Classification des gestes techniques
1.3 Les Gestes techniques fins
2 Le sens haptique 
2.1 Définition
2.2 Les interfaces haptiques
2.3 Classification des interfaces haptiques
2.4 Caractéristiques des interfaces haptiques
2.5 Quelques exemples d’applications
2.6 Utilité des informations haptiques dans les EV
2.7 Le sens haptique et les gestes techniques fins
2.8 Synthèse
3 Communication autour des gestes techniques
3.1 La communication verbale
3.2 La communication visuelle
3.3 Communication haptique
3.4 Bilan
3.5 Solution proposée
4 Etude expérimentale 
4.1 Analyse d’une tâche complexe : un geste d’insertion d’aiguille dans le corps
4.2 Objectifs et hypothèse
4.3 Architecture logicielle
4.4 Méthode
4.5 Résultats
4.6 Discussions
5 Conclusion
Conclusion générale
Bilan
Contributions
Recommandations
Limites
Perspectives de recherche
Références bibliographiques 
Annexes

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