Interactions entre processus microbiens, cycle des
nutriments et fonctionnement du couvert herbacé
LE PROCESSUS DE NITRIFICATION
La nitrification est classiquement définie comme le processus microbiologique par lequel l’ammonium (NH4 + ) est oxydé en nitrite (NO2 – ) puis en nitrate (NO3 – ). C’est une étape clé du cycle de l’azote dans les écosystèmes, puisqu’elle participe à la nutrition des plantes (dépendante de la forme de l’azote) et aux pertes d’azote en permettant la dénitrification et le lessivage du nitrate. D’autres voies de production du NO2 – et du NO3 – existent (« nitrification hétérotrophe » et « nitrification chimique »), mais leur réalité in situ, ainsi que leur importance quantitative dans les écosystèmes n’ont jamais pu être démontrées (Bartlett, 1981; Schmidt, 1982; Haynes, 1986). Nous nous intéresserons donc par la suite au processus de nitrification au sens strict, réalisé par une microflore bactérienne en conditions de chimiolithotrophie.
LES BACTERIES NITRIFIANTES
Taxonomie et phylogénie
Les réactions de la nitrification sont principalement réalisées par deux groupes de bactéries appartenant à la famille des Nitrobacteriaceae (Watson et al., 1989). Le premier groupe, oxydant l’ammonium en nitrite (nitritation), inclut par exemple le genre Nitrosomonas. Le second groupe, oxydant le nitrite en nitrate (nitratation), inclut par exemple le genre Nitrobacter. Il s’agit de bactéries Gram négatives, de petite taille, à mobilité variable et appartenant à la famille des Nitrobacteriaceae (Tableau II.1). Tableau II.1: La famille des Nitrobacteriaceae (d’après Watson et al., 1989; Koops et al., 1991; Bock et al., 1990; Sorokin et al., 1998). Type d’oxydation Genre Espèces NH4 + ς NO2 – Nitrosomonas Nitrosococcus Nitrospira Nitrosolobus Nitrosovibrio N. aestuarii N. communis N. cryotolerans N. europeae N. eutrophora N. halophila N. marina N. nitrosa N. oligotropha N. ureae N. mobilis N. nitrosus N. oceanus N. briensis N. multiformis N. tenuis NO2 – ς NO3 – Nitrobacter Nitrococcus Nitrospira Nitrospina N. alkalicus N. hamburgensis N. vulgaris N. winogradskyi N. mobilis N. marina N. gracilis La diversité des genres et espèces de bactéries oxydant l’ammonium est actuellement reconnue, mais celles oxydant le nitrite ont reçu moins d’attention et peu d’études par analyse de séquences génétiques existent (Degrange, 1996). D’un point de vue phylogénétique, toutes les bactéries nitrifiantes sont membres des Protéobactéries, large groupe bactérien dont l’ancêtre présumé est photosynthétique (Woese, 1994). Les bactéries nitrifiantes se répartissent dans quatre des cinq subdivisions des Protéobactéries (Figure II.1). Les bactéries oxydant l’ammonium, à l’exception de Nitrosococcus oceanus, forment un groupe compact dans la subdivision β. Celles oxydant le nitrite se répartissent dans trois subdivisions (α, γ, δ). Le processus de nitrification 14 La famille des Nitrobacteriaceae est donc une famille polyphylétique, et il reste encore des recherches à effectuer afin d’obtenir des caractéristiques phylogénétiques unifiantes (Woese, 1987). Les bactéries nitrifiantes ne seraient pas dérivées d’un phénotype ancestral nitrifiant, mais seraient apparues indépendamment à partir de différents ancêtres photosynthétiques (Teske et al., 1994). Cependant, malgré cette diversité phylétique, la majorité des nitrifiants est affiliée avec des phototrophes, suggérant un lien évolutif étroit entre la photosynthèse et l’oxydation du nitrite ou de l’ammonium.
Physiologie et métabolismes
Les bactéries nitrifiantes tirent leur énergie de l’oxydation du NH4 + ou du NO2 – et utilisent le CO2 comme source de carbone. Cette réaction s’effectue en aérobiose avec O2 comme accepteur final d’électron, et l’énergie issue des oxydations est produite sous forme d’ATP permettant la réduction du CO2 via le cycle de Calvin. La nitritation par Nitrosomonas est équilibrée comme suit: NH4 + + 3 /2 O2 ς NO2 – + 2H+ + H2O + 64 KCal Il faut noter que du N2O est produit pendant cette réaction (Yoshida & Alexander, 1970), ce qui peut mener à des pertes gazeuses d’azote pour l’écosystème (Haynes & Sherlock, 1986). La nitratation par Nitrobacter est équilibrée comme suit: NO2 – + 1 /2 O2 ς NO3 – + 2H+ + 17 KCal De nouvelles considérations sont cependant à prendre en compte en ce qui concerne l’activité métabolique des bactéries nitrifiantes: il est maintenant acquis que ces microorganismes sont capables d’utiliser dans une certaine mesure le carbone organique pour leur croissance en culture pure, en conditions de mixotrophie (carbone organique et substrat azoté) ou même d’hétérotrophie (carbone organique seul) (Bock et al., 1983). Il semble même que certaines bactéries nitratantes soient capables de survivre et de se multiplier dans les sols sans oxyder le nitrite, en utilisant le carbone organique présent (Degrange et al., 1998). La nitrification ne peut donc plus être considérée, comme on l’a longtemps pensé, comme une fonction obligatoire pour la croissance des microorganismes qui en sont responsables. Le processus de nitrification 16
Répartition et diversité naturelle des bactéries nitrifiantes
Les micro-organismes nitrifiants colonisent une grande diversité d’habitats (sols, eaux douces et marines, sédiments…) (Painter, 1986; Bock et al., 1989). Dans les sols, on rencontre les genres Nitrosomonas, Nitrosococcus, Nitrosospira, Nitrosolobus et Nitrosovibrio pour l’oxydation de l’ammonium, avec Nitrosolobus considéré comme le genre oxydant l’ammonium le plus représenté (MacDonald, 1986). Par contre, un seul genre oxydant le nitrite, Nitrobacter, a pour l’instant été rencontré dans les sols, même si la présence du genre Nitrospira est aussi fortement suspectée.
LES FACTEURS REGULANT LA NITRIFICATION
Substrats et produits
Les nitrifiants autotrophes sont dépendants du NH4 + ou du NO2 – comme source d’énergie, et donc la concentration de ces substrats dans les sols est un facteur important de régulation de la nitrification par stimulation ou par répression. Des études ont montré par exemple que l’apport de NH4 + (McLaren, 1971) ou de NO2 – (Ardakani et al., 1973; Degrange et al., 1997) au sol pouvait fortement stimuler une croissance des Nitrosomonas ou des Nitrobacter. Concernant la répression, il existe dans les sols un seuil de tolérance aux concentrations en ammonium. Cet effet répressif de l’ammonium a été attribué aux effets toxiques du NH3 à fort pH (Stojanovic & Alexander, 1958), ou à une baisse de ce pH quand l’apport se fait sous forme (NH4)2SO4 (Malhi & McGill, 1982). Ces mécanismes pourraient Le processus de nitrification 17 cependant varier suivant les conditions physico-chimiques du sol. On a aussi observé un effet répressif du nitrate sur les Nitrosomonas, comme sur les Nitrobacter (Haynes, 1986). 2.2 pH du sol Le pH du sol est un facteur connu de régulation de la nitrification, en jouant sur les influences potentielles de l’ammonium, du nitrite et du nitrate. En culture, le pH optimal se situe entre 7,5 et 8,5 (Bock et al., 1989). Cependant, dans les sols à pH supérieur à 7,5, on peut trouver un effet toxique de l’ammonium. Dans les sols à pH acide, on observe une limitation pour les nitrifiants autotrophes vers 4,5 (Sahrawat, 1982), et la toxicité de l’aluminium à ces pH est alors supposée jouer un rôle de premier ordre dans la limitation de l’activité nitrifiante (Brar & Giddens, 1968). Cependant, il faut moduler cette influence du pH: des bactéries du genre Nitrobacter ont été observées tolérant des pH acides et étant actives en tant que cellules libres (Hankison & Schmidt, 1988). L’explication de cette tolérance est encore en discussion.
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