INTÉGRATION ET AFFILIATION EN GRANDE BRETAGNE
Les implications sociologiques
Pour approcher et connaître les minorités en Grande Bretagne comme partout ailleurs, la sociologie et/ou l‘anthropologie semble être le moyen le plus indiqué, comme l‘ont démontré plusieurs écrits. Il s‘agit, pour le cas précis des minorités britanniques, d‘une sociologie entièrement reconstituée du fait de l‘abondance du contenu et d‘une sémantique assez dispersée. C‘est la sociologie élargie dirion-nous, qui se démarque de la sociologie de base par la souplesse de ses articulations. Ce que nous appelons sociologie de base a cependant le mérite de porter à elle seule, tout le poids des normes sociales tandis que celle dite élargie se laisse revisitée sur la base d‘une évolution plus ou moins lente mais certaine. Les communautés doivent survivre là où la sociologie de base leur accorde peu de chance de vivre avec sérénité et en toute confiance. La qualité des rapports interculturels dépend donc de ce que nous appelons production sociale et représentation culturelle. Au-delà des formes d‘organisation propres à chaque société, c‘est le lieu où le racisme, les questions de genre, la standardisation ou encore les différences se déploient sur le vaste et complexe terrain de la diversité culturelle. Ceci nous entraîne à envisager une lecture comparée des diverses caractéristiques de nos minorités sur la base des rapports entre elles et au regard de la majorité. Nous partirons d‘abord d‘une nouvelle localisation communautaire, dans le premier chapitre, avant de convoquer ensuite, les divergences ethniques des temps modernes, dans le deuxième chapitre. La nécessité de regarder vers ou d‘exploiter de nouveaux horizons et de nouvelles pistes nous est imposée par l‘environnement et l‘activité changeants des minorités britanniques. Les minorités installées en Grande Bretagne par concours d‘événements heureux ou malheureux, ont créé, de manière volontaire ou involontaire, un nouveau cadre relativement propice à la formation de nouvelles communautés entièrement recomposées. Elles forment désormais ce que nous pourrions appeler les communautés du destin, car elles sont d‘abord le fruit du hasard avant de se transformer en des groupes un peu plus structurés. Le temps des communautés détermine ainsi la force des cultures puisque, plus les communautés se forment à une fréquence plus ou moins lente, plus les cultures se diverrsifient et concentrent la plupart des actions à mener et par la communauté autochtone et par celles qui prennent leur marque. Ces changements se présentent généralement sous forme de conflit qui naît des cendres d‘une ancienne vie en communautée emportée par les vagues violentes de l‘immigration. C‘est pourquoi, nous étudierons d‘abord le conflit de cultures et de communautés comme premier sous-chapitre. Ensuite, viendra le temps de nous pencher sur la production sociale et la représentation culturelle qui nous conduirons au bout du compte, vers les options relationnelles. 133 1. Conflit de cultures et de communautés Nous avons parlé de conflit dans la première partie en traitant de la notion d‘intérêt mais cette fois-ci, nous spécifions et l‘abordons de manière plus directe et concise. Et mettre la culture et la communauté dans un contexte de conflit ne signifie pas nécessairement créer un conflit entre elles. Dans le cas contraire, nous serions obligés de reformuler notre sous-titre. En revanche, nous tentons de déceler ce qui, dans le rapport entre culture et communauté, pourrait être source de conflit.
La sociologie, la psychologie et la linguistique
Partout où il y a conflit, une résolution de celui-ci est forcément envisagée soit dans le court terme soit dans le long terme. Dans le cadre de notre étude, cette résolution emprunte des dispositifs à la fois culturels et communautaires pour donner sens à une certaine coopération et aux intérêts des personnes et populations dont nous parlent Anthony de Reuk et Julie Knight dans leur volume intitulé Conflict in Society (1966). Dans la logique de ces auteurs donc, Co-operation within the group must certainly have been extremely important and any co-operation means that the conflict within the group have been resolved150 . La coopération exclut en effet le conflit ou bien le rend presque inexistant. Mais si la conséquence directe de la coopération est la résolution du conflit, la satisfaction ne peut être que communautaire car une coopération suppose au moins la présence de deux parties qui ont en principe, quelques points de convergence. Notons cependant un détail non moins important. De Reuk et Knight parlent de ‗co-operation within a group‘ et non de ‗group co-operation‘. La seconde option traduirait davantage notre orientation d‘analyse. Tentons, par conséquent, de situer dans un contexte délétère d‘immigration et d‘affiliation, ces concepts conçus expressis verbis pour la circoncontance et qui sont pleins de sens. Notre centre d‘intérêt, rapelons-le, c‘est les minorités britanniques, c‘est-àdire, les Africains, les Indo-pakistanais et les Afro-caribéens en particulier. La coopération au sein de ce groupe de minorités est primordiale dans la mesure où elle permet à d‘autres formes de coopération comme celle entre deux groupes, de prendre forme. Ainsi, la résolution du conflit de cultures et de communautés ne serait plus qu‘une simple formalité, donc simplifiée. Partant de ce constat, la question de savoir si ―the resolution of social differences within a group would be then an essential prerequisite for satisfactory hunting behaviour‖ 151 n‘aurait plus sa raison d‘être ou du moins serait entièrement résolue. La forme sociale du conflit dirige la réflexion de De Renk et de Knight. Nous conviendrons avec eux que c‘est par soucis de proximité et de résultat difficilement contestables. Aussi complexe que le conflit social puisse paraître, un contact direct avec les protagonistes permet toujours d‘élucider les tenants et les aboutissants du conflit et d‘en enrayer l‘ampleur. Par exemple, quand les indo-pakistanais étalent leurs ressentiments pour des questions de dignité et d‘honneur liées à des histoires de vengeance, de caste, etc, une simple médiation organisée autour de personnes bien avisées règle l‘affaire de manière diplomatique. Les Afro-caribéens seraient eux impliqués, si par imprudence et par excès, ils se prenaient dans des règlements de compte entre gangs, s‘il s‘agissait de dealers ou entre communautés religieuses, si les questions de légitimité et de leadership s‘invitaient dans le paysage socioculturel. Ceci est valable pour la minorité d‘origine africaine toute préoocupée qu‘elle est, par sa misère économique qu‘elle croit être la seule à affronter. D‘ailleurs, dans ces conditions, le conflit change de dénomination ; il est désormais moral et relativement difficile à résoudre. C‘est en tout cas ce genre de conflit moral qui est l‘ennemi numéro un de la coopération entre minorités dans un pays donné où elles doivent vraisemblablement se mettre ensemble pour espérer relever le défi de l‘intégration. Un moyen idéal pour traiter de conflit de cultures et de communautés, c‘est de nous laisser entrainer encore une fois, par la sagesse d‘Emile Durkheim. 151 Ibidem, p. 37. 135 Foncièrement tourné vers l‘étude des comportements humains et leur impact sur la société, il convoque le rôle du sacré dans la vie sociale de l‘homme. La rencontre entre le sacré et le social obéit à un souci de souplesse et de flexibilité, et peut-être même de plénitude et de perfection que le sacré apporterait au social car ―man‘s complex systems of social dominance remain uncertain and continally open to conflict‖ 152 . C‘est pour remédier à cette incertitude que nos deux auteurs ont fait appel à la sagesse sociale de Durkheim. En vue de mieux comprendre l‘emprise du sacré sur le social et d‘envisager un élargissement du champ d‘action, Emile Durkheim procède à une transposition, pour ainsi dire. En fait, il met en corrélation le sacré et les traditions culturelles afin de mieux cerner la progression de l‘individu. Selon lui, ces mêmes traditions, assez développées qu‘elles sont, aident à diriger le comportement humain et à annihiler toute potentialité de conflit intra-groupe153. Il résulte de ce constat que la synchronisation ou la convergence des traditions est une force certaine en faveur de la culture de rejet du conflit ; qu‘il soit social ou moral. D‘une part donc, la solution au conflit n‘est pas extérieure au conflit lui-même dans la mesure où l‘on est constamment bousculé de tout bord, avant d‘arriver à recouvrir un peu de tranquilité. Il est clair que To understand the sources of conflicts within a society, one must examine both psychologically and sociologically how human beings continue to cope with the potential instabilities of social stratification, either by internal psychological resolutions related to group identity or by social movements resolving overt conflict situations between groups154 . Encore une fois, la complexité des rapports humains est mise en exergue. En tout état de cause, deux cas de figure se présentent dans cette observation de De Reuk et de Knight. Le conflit étant la plupart du temps social, et qu‘une stratification est essentiellement et fondamentalement sociale, il est impossible de contourner la sociologie et la psychologie car toutes deux sont les clés du succès d‘une étude sociale qui se veut globale et fiable du reste. Ainsi, pour que les spécialistes des minorités britanniques soumises à notre lecture scientifique aient pu apprécier leurs cibles, ils ont dû faire appel, avant tout, à la sociologie de celles-ci, associée à leur psychologie. Le problème de la stratification sociale est des moins canalisables étant donné qu‘il a ses racines dans les débuts ou fondations d‘une société; il est le fait de même de société. C‘est pourquoi, l‘aborder de l‘intérieur comme de l‘extérieur revient soit à l‘affaiblir soit à la renforcer. La psychologie et la sociologie des minorités en question ne sont pas difficiles d‘accès parce qu‘elles cachent difficilement les maux qui affectent ces mêmes minorités. Le simple fait de croiser quotidiennement une personne au coin d‘une rue et d‘échanger quelques mots de salutation avec elle en quelques secondes, renseignerait sur sa culture, sa communauté, sa personne, son mental, et sa psychologie. C‘est dire que la psychologie peut, dans certains cas, être flagrante car le for intérieur ne supportant plus les assauts de l‘extérieur et vice versa. Une telle situation se produit pour laisser libre cours au choc de la formation de la personnalité ou de la personne, pour ainsi dire. La distance qui existait entre les deux ne tient plus qu‘à une tentative de repositionnement qui s‘avère désormais difficile. Le conflit de cultures et de communautés s‘affiche dans la sphère linguistique et est un excellent outil pour montrer le malaise qui peut y avoir. De ce fait, Attia Hosain, écrivain et féministe indienne, est véritablement angoissée par l‘idéal d‘éducation qu‘elle a reçu dès son jeune âge. Pour elle, ―in the struggle for freedom, English was both a weapon as well as the key to what I might call the ideological arsenal‖155 . Son malaise à elle, est assez compréhensible vu l‘environnement dans lequel elle a grandi. Elle qui est issue du ‗middle-class‘ indien, a « bénéficié » de presque tous les avantages qu‘offrait l‘administration indienne qui a, à son tour, héritée de celle britannique. Elle ne fait pas le procès à son pays mais ne lui jette pas non plus des fleurs. Le désordre dans lequel elle se trouve est à l‘image du désordre qui habite plusieurs autres indiens. L‘Anglais comme un ‗ideological arsenal‘ pourrait être pris pour éloge à une langue étrangère, qui a fini de conquérir le cœur des fils et filles de ceux qui, jadis, se sont farouchement opposé à son enseignement. Dans ce cas précis, apprendre l‘Anglais lui permet de se mesurer à une autre culture, de confronter ses idées à d‘autres idées qui ne sont pas toujours les bienvenues dans sa propre communauté. C‘est un arsenal qui lui permettrait donc de riposter énergiquement lorsque, par le concours de circonstances, on tenterait de remettre sa culture en question. Heureusement pour elle, elle n‘est pas entièrement ou plutôt pas du tout engloutie par cette autre culture. A ce titre, elle s‘enorgueillit en ces termes: ―I grew up with the english language but not with the culture behind it. I was always outside that and deeply rooted in my own‖156 . Si la langue n‘est pas un aspect de la culture, elle est, en revanche, une des éléments à sa formation. Une langue ne peut, en principe, pas phagocyter une culture ni constituer un frein à la formation celle-ci. Nous introduisons ici, la sociolinguistique. Un autre caribéen, d‘origine jamaïcaine, Ferdinand Dennis est tout aussi préoccupé et désorienté que notre amie Hosain du point de vue éducation. Mais son problème à lui est plus culturel que communautaire. Il pose l‘équation du Rastafarisme, cette énigmatique « religion », propre aux Afro-caribéens, qui nie toute conformité avec le ‗Church of England‘ donc, qui est contre ce qu‘on appelle ‗the Establishment‘. Pour ces Afro-caribéens devenus britanniques, il n‘est pas question de se faire marcher sur les pieds dans un pays où les inégalités sont frappantes et plus encore, criardes. Le conflit de cultures et de communautés est tel que While the majority culture retreated into whiteness and heritage and imaginary national homogeneity, a culture of anti-racism thrived, positing an equally imaginary racial homogeneity157 . Deux cultures, deux forces qui tirent chacune de son côté, rendant ainsi l‘homogénéité presque impossible. L‘homogénéité suppose en effet, qu‘il y ait écoute, entente et conciliation. D‘une part, la majorité blanche de souche est souvent à l‘origine des entraves qui freinent l‘intégration de ces adeptes du Rastafarisme. L‘obstination à vouloir s‘accrocher à un héritage plusieurs fois millénaire, n‘est pas vraiment 156 Ibidem, p. 21. 157 Ibidem, p. 46. 138 progressiste et entretien ce que Pierre Bourdieu appelle la politique de la précarisation ; et ceci, à tous égards. Par conséquent, une homogénéité au sein d‘une seule et unique race, culture ou communauté est carrément exclusive ou tout simplement irréelle. D‘autre part, la minorité Afro-caribéenne haranguée ou boostée par les convictions religieuses vouées à Jah, (c‘est ainsi qu‘ils appellent Dieu), ne voit pas une autre alternative que la réponse du berger à la bergère ; la réponse d‘une culture ou d‘une communauté dite homogène à une autre qui défend les mêmes principes ou qui réclame les mêmes avantages, et qui se dit ou se veut elle aussi, homogène. En fin de compte, des deux côtés, tout est imaginaire car la réalité ou l‘idéal d‘une quelconque homogénéité n‘est pas du rejet de l‘autre ni de l‘indifférence à l‘autre. Les Afro-caribéens ont compris, en tout cas pour la plupart, que l‘heure n‘est plus au laisser-aller et à l‘asservissement du début. Ils ont créé et mûri en eux une autre personne, une autre personnalité qui a pris conscience que Being Black meant being radical, dreadlocked, anti-establishment, belonging to the ‗other‘ Britain united by a common experience of racism. These seemed to a denial of the incredible diversity of the peoples defined as Black158 . Cette étape nouvelle, nous pouvons l‘appeler le réveil de la conscience noire en Grande Bretagne qui n‘a rien à voir avec celui qui s‘est produit aux Etats-Unis après l‘abolition de l‘esclavage dénommé Harlem Renaissance, ni en France avec l‘avènement de la Négritude, même si l‘objet et l‘objectif sont presque les mêmes. Une lecture de cette affirmation aux tentacules révolutionnaires nous renseigne sur une « vertu » du racisme aussi incroyable et aussi paradoxal soit-il.
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