Intégration des facteurs prédictifs de l’effet d’un
traitement dans la conception et l’analyse des essais cliniques de petite taille
La maladie de Huntington
La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative génétique rare orpheline et se traduit cliniquement par des troubles moteurs (mouvements anormaux involontaires, trouble de l’équilibre,…), cognitifs (perte de mémoire, désorientation dans l’espace,…), et/ou psychiatriques (dépression, irritabilité,…). La maladie se déclare en moyenne autour 1 Introduction de 30-50 ans et les troubles s’accumulent progressivement entraînant une perte d’autonomie et conduisant au décès du patient en 15 à 20 ans. On définit cinq stades de la maladie [1] : • Stade 1 : vie familiale et professionnelle normale, parfois des problèmes comportementaux • Stade 2 : possible vie professionnelle avec facultés réduites, accomplissement des tâches de la vie quotidienne avec quelques difficultés, apparition des premiers symptômes graves • Stade 3 : impossibilité de travailler, de faire des tâches ménagères et de gérer des affaires financières courantes, altération des fonctions vitales • Stade 4 : impossibilité d’accomplir seul les activités de la vie quotidienne, aide professionnelle minimale, communication verbale impossible • Stade 5 : besoin d’une aide permanente pour toutes les activités de la vie quotidienne, nécessité de séjour dans un centre de soins prolongés, communication pratiquement nulle La maladie de Huntington est une maladie génétique autosomique dominante due à la mutation du gène IT15 sur le bras court du chromosome 4 (4p16.3), codant la Huntingtine (Htt). Ce gène contient de 6 à 35 répétitions du trinucléotide Cytosine-Adénine-Guanine (CAG) et le nombre de répétitions est augmenté dans le cas de la maladie de Huntington [2]. La pénétrance de la maladie varie en fonction du nombre de répétitions de CAG [3]. La pénétrance est incomplète de 36 à 40 répétitions et complète à partir de 40 répétitions, c’est-à-dire que tous les individus exprimeront le phénotype de la maladie au cours de leur vie [4]. De 27 à 35 répétitions, on parle de cas intermédiaires, car les sujets, bien qu’ils ne manifestent pas les signes de la maladie, pourraient transmettre la mutation à leurs enfants [5]. Plus le nombre de répétitions est important, plus la maladie apparaîtra précocement et plus sa progression sera rapide [6, 7]. Lorsque la maladie se développe avant 20 ans (souvent associée à plus de 60 répétitions), on parle de forme juvénile [8, 9]. Il est possible de réaliser un test génétique afin de savoir si l’on est porteur de la maladie. Cette demande est encadrée par une équipe pluridisciplinaire (généticien, psychiatre, neurologue) et se déroule sur plusieurs mois du fait de l’impact du résultat sur le sujet à risque et sa famille [10]. La physiopathologie de la maladie reste inconnue à ce jour, mais les recherches ont montré un rôle protecteur de la protéine Htt et un rôle délétère de la protéine huntingtine mutée (Httm) dans le cerveau. La Htt interviendrait dans le transport de vésicules contenant un facteur neurotrophique essentiel à la survie des neurones [11]. Dans le cas de la maladie de Huntington, la Htt formerait des agrégats entravant les fonctions normales de la protéine et induisant la mort neuronale. Les régions les plus atteintes sont les ganglions de la base (notamment le striatum, voir Figure 1), puis le cortex (couches périphériques 2 Introduction du cerveau) au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. A terme, on observe une atrophie dans toutes les structures du cerveau. Figure 1 – Le striatum Le striatum, au centre du cerveau, est composé du noyau caudé et du putamen.
Un suivi longitudinal de la maladie grâce au centre de référence et aux centres de compétences pour les maladies rares
La prévalence de la maladie de Huntington est de 2,71 malades pour 100 000 au sein de la population mondiale, mais varie géographiquement, de 0,25 [0,14 – 0,42] pour la Chine à 12,08 [9,08 – 15,76] pour l’Australie [12]. En France, on estime le nombre de personnes atteintes de la maladie de Huntington à environ 6000 (soit 9 personnes pour 100 000) tandis que 12 000 personnes pourraient être porteuses du gène muté. La rareté et la complexité de la maladie sont des freins pour la recherche de nouveaux traitements mais aussi pour la prise en charge des patients. Cette maladie nécessite un suivi par des experts. En France, la mise en place des centres de référence et de compétence pour les maladies rares a permis de simplifier et d’intensifier les recherches sur ces maladies. Le centre national de référence pour la maladie de Huntington est situé sur quatre hôpitaux : l’hôpital Henri Mondor de Créteil pour le suivi des patients et la coordination, l’hôpital Albert Chenevier de Créteil pour les formes avancées, l’hôpital Armand Trousseau de Paris pour les enfants et l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière de Paris pour la génétique. Ces centres développent chacun des compétences spécifiques dans la maladie de Huntington et exercent une attraction interrégionale, nationale ou internationale, permettant le suivi d’une grande cohorte de patients. Dans cette maladie, le suivi longitudinal des patients est extrêmement important pour mieux appréhender leur déclin tout au long du processus de la maladie. En France, la première cohorte de patients a débuté en 2002 avec le Réseau Huntington de Langue Française (RHLF), coordonné à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, et comportant aujourd’hui plus d’un millier de patients. Cette cohorte a été intégrée à REGISTRY, la cohorte de l’European Huntington’s Disease Network en 2005 qui elle3 Introduction même sera une composante de ENROLL, une cohorte mondiale, dès 2015. Au centre de référence Henri Mondor, nous avons accès aux données des patients francophones. Ces données regroupent les caractéristiques socio-démographiques et génétiques des patients ainsi que leurs antécédents personnels et familiaux. Les patients ont une visite annuelle où sont évaluées leurs capacités motrices, fonctionnelles et cognitives ainsi que leur état psychiatrique grâce à des échelles d’évaluation standardisées tel que l’UHDRS (Unified Huntington’s Disease Rating Scale) [13]. Les échelles d’évaluation utilisées dans la maladie de Huntington sont détaillées en Annexe A.1. Ces échelles constituent des marqueurs de l’évolution de la maladie.
Les biothérapies
Actuellement, des traitements symptomatiques peuvent améliorer l’état des patients. Par exemple les neuroleptiques permettent de limiter les mouvements anormaux et les troubles psychiatriques tandis que les antidépresseurs peuvent prémunir les patients contre la dépression ou l’anxiété, d’autant que le risque de suicide est accentué par la maladie [14]. Cependant aucun traitement curatif n’existe. Les recherches de ces dernières années se tournent, entre autres, vers la neuroprotection et les biothérapies. Les biothérapies sont une nouvelle classe de thérapeutiques regroupant à la fois les thérapies géniques (transfert de gènes, intervention sur les gènes) [15], les thérapies cellulaires ou tissulaires substitutives (manipulation de cellules souches ou différenciées) [16, 17, 18], et de manière générale tous les traitements modifiant les paramètres biologiques du patient. Cette classe thérapeutique bouleverse le paysage des essais cliniques. Trois aspects compliquent l’évaluation de l’efficacité du traitement. Premièrement, la complexité et les coûts engendrés par ces traitements impliquent de réaliser des essais cliniques sur de petits effectifs de patients. Deuxièmement, la multitude des étapes nécessaires à la mise en place du traitement, très dépendantes du patient, ajoute de la variabilité. Enfin, ces thérapies nécessitent des actes de chirurgie, rendant l’essai difficilement réalisable en aveugle. Bien que ce type d’essai en double aveugle ait déjà été utilisé [19], cela pose des problèmes d’éthique. En effet, un des critères du traitement de référence ou du placebo est qu’il ne doit pas nuire aux patients, les actes d’anesthésie et de chirurgie comprenant tous les deux des risques [20]. De plus, l’effet de ces traitements peut être lié aux caractéristiques individuelles du patient, qu’elles soient cliniques, génétiques, biologiques ou immunitaires, incitant à développer différentes stratégies thérapeutiques en parallèle et à définir pour chaque patient, celle qui lui sera favorable. Cela passe par une modification des plans expérimentaux utilisés dans les essais cliniques. On ne valide plus seulement le traitement mais aussi des marqueurs d’efficacité du traitement et l’utilité de recourir à une médecine stratifiée.
Les greffes de neurones pour la maladie de Huntington
L’une des biothérapies proposées dans plusieurs essais cliniques de phase I ou II sur la maladie de Huntington est la transplantation de cellule fœtales. L’allogreffe consiste à implanter dans le striatum atrophié des patients, des neurones homologues issus de l’éminence ganglionnaire, zone de formation du striatum, provenant de fœtus humain après interruption volontaire de grossesse. L’idée sous-jacente est que les neurones fœtaux se différencient en neurones striataux et établissent des connexions neuronales fonctionnelles. Les études sur les animaux ont montré un bénéfice de cette technique chez des macaques pour lesquels une lésion striatale a été induite [22] ainsi que chez des souris transgéniques exprimant le génotype de la maladie humaine [23]. Depuis 1998, sept études utilisant ce procédé chez les humains ont été publiées, incluant de 2 à 10 patients [24, 25, 26, 27, 28, 29, 30]. Les résultats restent variables aussi bien entre les études qu’au sein d’une même étude [18]. Les techniques utilisées diffèrent et aucune recommandation officielle n’existe. La première étude montrant un bénéfice chez des patients a été réalisée en France [25] en 2000 avec trois patients sur cinq ayant un bénéfice de la greffe à long-terme [31]. Les bonnes performances cliniques corrèlent avec le métabolisme striatal observé en fluorodesoxyglucose (FDG) par tomoscintigraphie par émission de positrons (TEP). Les résultats encourageants de l’étude pilote réalisée à l’hôpital Henri Mondor de Créteil sur cinq patients [25, 31], ont conduit à réaliser un essai clinique contrôlé et randomisé chez un plus grand nombre de patients afin de démontrer l’efficacité de l’allogreffe. L’essai clinique multicentrique de greffe intracérébrale de neurones fœtaux pour le traitement de la maladie de Huntington (Multicentric Intracerebral Grafting in Huntington’s Disease, MIG-HD) a commencé en 2001 (NCT00190450). C’est un essai ouvert en « delayed-start », comprenant trois phases pour une durée de suivi de 52 mois (Figure 2). En premier lieu, tous les patients sont suivis sans traitement pendant un an. Puis, les patients sont randomisés soit dans le groupe « greffe précoce » soit dans le groupe « greffe tardive », le groupe « greffe précoce », greffé à M13 et M14 et le groupe « greffe tardive », greffé à M33 et M34. Entre M12 et M32, le groupe « greffe tardive » constitue un groupe contrôle. Compte tenu de la durée de l’essai et du déclin pressenti des patients non traités, le comité d’éthique a jugé nécessaire que tous les patients soient greffés. Dans cet essai, le groupe contrôle n’a pas subi d’intervention placebo.
Problématiques statistiques liées à l’étude de l’efficacité des greffes Hétérogénéité de l’efficacité du traitement : identification des répondeurs
La première question à l’origine de notre travail est la définition de patients répondeurs à la greffe. En effet, l’hétérogénéité intra-étude observée dans les précédents essais [18] semble se confirmer avec l’essai MIG-HD. Nous voulons développer une méthode d’apprentissage non supervisée (clustering) permettant de définir des sous-groupes (« clusters ») de patients, cette approche étant ensuite appliquée aux données de l’essai MIG-HD. Les méthode de clustering permettent d’identifier des sous-groupes de patients sans a priori. Le clustering cherche à maximiser la cohésion interne (c’est-à-dire minimiser la variabilité au sein de chaque cluster) et l’isolation externe (c’est-à-dire maximiser la variabilité entre les clusters) tel que le représente la Figure 3 [32]. Les premiers algorithmes de clustering, développés dès les années 1960, permettent de classer les patients selon des critères fixes. Nous nous intéressons plutôt à la progression naturelle de la maladie et la modification de son évolution grâce à un traitement. Nous 6 Introduction Figure 3 – Représentation schématique de l’isolation externe et de la cohérence interne La cohérence interne mesure la ressemblance entre les individus d’un même groupe. L’isolation externe mesure la dissimilarité entre les individus de groupes différents. Un point bleu ou rouge représente un patient. voulons garder le maximum d’information possible, et donc étudier l’entièreté de l’évolution des scores obtenus par le patient sur une période donnée. Cela nécessite l’utilisation de méthodes statistiques pour l’analyse des données longitudinales, car nous utilisons plusieurs mesures à des temps différents par patient. Des méthodes de clustering pour données longitudinales, paramétriques et non paramétriques, ont été développées ces quinze dernières années. On peut notamment citer les algorithmes des K-moyennes pour les données longitudinales [33, 34] et les modèles mixtes par classes latentes [35]. Ces méthodes sont de plus en plus utilisées dans le domaine biomédical [36, 37, 38, 39, 40]. Dans le cas de l’étude du bénéfice des greffes chez les patients Huntington, et dans toutes les études où l’effet du traitement est modélisé par un changement de pente, ces méthodes ne sont pas satisfaisantes car elle ne prennent pas en compte l’information de la pente pré-traitement qui est essentielle dans le cas où les patients n’ont pas le même profil d’évolution avant traitement. De plus, l’hétérogénéité intra-patient et l’hétérogénéité du déclin naturel s’ajoutent à l’hétérogénéité de l’effet du traitement.Ces deux sources additionnelles d’hétérogénéité sont à l’origine des profils d’évolution observés (Figure 4).
Table des figures |