Intégration de la prévention du risque d’inondation et de l’ aménagement du territoire

Intégration de la prévention du risque d’inondation et de l’ aménagement du territoire

L’évolution avant la création de l’outil PPR, l’exemple de la Loire moyenne

Les Plans de Prévention des Risques sont nés des intentions de l’État d’imposer la prise en compte des risques dans les documents d’urbanisme pour éviter une aggravation de la vulnérabilité des territoires par augmentation des enjeux bâtis. Cette instauration en Loire moyenne s’est bien passée sur les territoires que nous avons plus particulièrement étudiés (cf. les études de cas du val de Blois et de St Pierre des Corps, partie III). En fait la Loire moyenne, dans le contexte d’élaboration du Plan Loire I a servi à la fois d’inspiration et de support d’expérimentation d’une nouvelle politique publique étatique de prévention du risque d’inondation. Ainsi, les conflits entre collectivités locales et services de l’État se sont produits dès la mise en œuvre de cette politique mais avant l’instauration de l’outil PPR. 

L’inefficacité des Plans de Surfaces Submersibles

Avant les années 1980, l’État possède des outils devant théoriquement lui permettre de contrôler l’urbanisation en zone inondable : les Plans de Surfaces Submersibles (PSS). Les PSS sont les plans de surfaces submersibles, issus des articles 48 à 54 du Code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, du décret-loi du 30 octobre 1935 et de son application par le décret du 20 octobre 1937 (voir annexes). Les PSS ont pour vocation d’une part à assurer le libre écoulement des eaux et d’autre part à préserver les champs d’inondation. En tant que servitudes publiques, les PSS doivent être affichés dans les Plans d’Occupation des Sols159. Les PSS permettent ainsi à l’État de porter à connaissance les Plus Hautes Eaux Connues. Les PSS distinguent au sein des communes deux types de zones : – les zones A, zones de grand débit, qui correspondent au lit endigué et dans lesquelles toute nouvelle construction est quasi-impossible afin de permettre l’écoulement frontal des eaux ; – et les zones B, zones de débit complémentaires, entre les digues et les plus hautes eaux connues où les contraintes sont plus souples. Si les PSS ont pour vocation première à assurer la circulation des eaux notamment dans une optique de navigation (ce qui n’est plus le cas sur la Loire), ils ont aussi clairement l’objectif de prévenir le risque d’inondation, comme le stipulent les décrets d’application. À l’origine les zones B ne peuvent accueillir que des installations légères afin de permettre les écoulements latéraux. L’ensemble du val de Loire est couvert par des PSS ainsi que ces principaux affluents. La présence de PSS oblige donc la soumission des projets de construction en zone inondable aux services de l’État. Mais en val de Loire, les services de l’État ne s’opposent pas aux nouvelles constructions en zone B dès lors qu’elles sont dans le sens des écoulements. Les constructions réalisées après le remblaiement systématique des rives du Cher en sont un parfait exemple160 . 159Article R126-1 du code de l’urbanisme, partie réglementaire 160Le remblaiement de certaines parties du lit endigué du Cher a eu pour effet de déclasser ces espaces de zone A en zone B. Les premiers remblaiements débutent en 1961. 

Les problèmes rencontrés par les Plans d’Exposition aux Risques

À partir des années 1980 s’instaure une nouvelle politique de prévention des risques naturels. Les Plans d’Exposition aux Risques (PER) sont instaurés par l’article 5-1 de la loi nº 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. Pour le risque d’inondation, il existe une variante, les PER-Inondation mis en place par le décret 84-834 du 15 mars 1984. Il s’agit du premier document réglementaire qui instaure l’action sur le volet « vulnérabilité » du risque et donc institutionnalise le concept ; alors que les PSS avaient surtout vocation à limiter l’urbanisation en zone inondable À l’origine, les PER ont vocation à responsabiliser les citoyens en conditionnant le remboursement des dégâts dus aux risques naturels : il s’agit de déterminer les zones à risque dans lesquelles toute nouvelle installation ne saurait être normalement indemnisée en cas de survenue de l’aléa. Mais comme le souligne G. Hubert (Hubert, 2001), si le lien théorique existe entre le système d’indemnisation et les dispositifs de prévention des risques, les deux mécanismes ont fonctionné de façon indépendante jusqu’en 2000. Le PER est un instrument réglementaire visant l’urbanisation contemporaine et future, à effet rétroactif. Les constructions nouvelles sont interdites dans les zones d’aléas les plus importants. Le zonage des PER s’ appuie sur des études techniques approfondies visant à déterminer les différentes caractéristiques de l’aléa et de la vulnérabilité des territoires. Mais les PER vont être un échec sur le plan national : très peu de PER inondation vont finalement aboutir. Les causes principales résident dans la non-coopération des communes à leur élaboration et à la complexité de la procédure. Par exemple, en cas de contestation du projet de PER par les communes ou par le commissaire enquêteur lors de l’enquête publique, il peut être fait appel au Conseil d’État pour l’approbation par Décret. Globalement, le rapport Bourrelier (Bourrelier, 1997) souligne que l’échec des PER est imputable à la trop grande importance qu’on prit les facteurs locaux et conjoncturels « par rapport à une exploitation rationnelle des connaissances sur l’aléa ». De plus, les PER n’autorisent pas la mise en œuvre d’une « procédure d’urgence » permettant leur application partielle et anticipée. Le préfet ne dispose donc pas avant l’arrêté d’approbation du PER des « moyens de surseoir à des projets d’aménagement ou de constructions (susceptibles d’aggraver le risque ou d’en provoquer de nouveaux) ou de leur imposer des prescriptions particulières » (Hubert ; op.cit.). Ainsi, un projet de PER est prescrit pour le val de Tours en 1985 mais sa prescription est annulée.

L’échec de la prévention par limitation de l’urbanisation en val de Loire avant 1993

Donc en val de Loire, les plans de surfaces submersibles n’ont pas permis l’arrêt de l’urbanisation en zone inondable ; et très peu de PER ont été mis en place : par exemple, le PER de l’agglomération tourangelle n’a jamais été élaboré alors qu’il avait été prescrit. Plusieurs facteurs d’échecs à la politique de prévention des risques à travers les outils existants avant les années 90 sur le val de Tours peuvent être avancés. Tout d’abord, la poursuite de 161Les raisons de cet échec divergent selon les sources : selon les entretiens que nous avons menés, il incomberait au maire de Tours de l’époque, alors que selon C. Larrue (2002), c’est la mairie de Saint-Pierre-des-Corps qui se serait opposée à ce projet de PER 208 Partie II l’urbanisation s’est faite par anticipation de la mise en œuvre complète du programme d’aménagement de la Loire et de ses affluents devant permettre selon ses protagonistes de lutter contre les inondations en écrêtant les crues à l’amont de la Loire Moyenne. Parmi ses protagonistes, on compte en premier chef Jean Royer Maire de Tours et Président de l’EPALA. En outre, le service de la navigation au sein de la DDE, théoriquement en charge de valider les permis de construire au regard des PSS est souple avec les grandes communes urbaines, là où les enjeux de développement sont les plus importants mais aussi là où se concentre la vulnérabilité. Au final, il existe une convergence entre les discours des élus locaux et les autorisations des services de l’État local pour rassurer l’ensemble des acteurs quant aux possibilités de construire derrière les digues. Pour résumer, la sensibilisation des responsables locaux au risque d’inondation et de crues majeures de la Loire ne paraît pas particulièrement présente en val de Loire, comme ailleurs en France avant la parution des Atlas des zones inondables de la DIREN Centre. Mais le val de Loire va être un terrain de mise en œuvre d’une posture plus claire et plus volontariste (sûrement plus autoritaire) de l’État en matière de prévention des risques : – posture voulue par l’État au regard de l’échec des politiques publiques précédentes en matière de préservation des zones d’expansion des crues et de réglementation de l’urbanisation en zone inondable – posture subie par les collectivités locales qui la perçoivent comme une volonté étatique de recentralisation et de perte de prérogative des entités locales (Barraqué & Gressent, 2004) .

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