INSTITUTIONS ET PERFORMANCES MACROECONOMIQUES

INSTITUTIONS ET PERFORMANCES MACROECONOMIQUES

Décentralisation financière comme indicateur de la qualité institutionnelle

Nous voudrions tout d’abord présenter quelques généralités sur le concept «décentralisation financière». Nous allons ensuite envisager le mode de financement des entités locales. Enfin, nous analyserons les indicateurs de décentralisation et la pratique de celle-ci dans certains pays en développement.

Généralités sur la décentralisation financière

La décentralisation se mesure par le degré de liberté dont disposent les collectivités locales au sein d’un Etat unitaire. Elle suppose non seulement le transfert de pouvoir de décision et de contrôle, mais également la reconnaissance d’une certaine indépendance des entités décentralisées vis-à-vis du gouvernement central. C’est le cas des villes et communes de la plupart des PVD, qui sont reconnues par la loi comme étant des entités décentralisées. La finalité de la décentralisation financière est l’amélioration durable des conditions de vie des populations à travers des investissements appropriés pouvant stimuler la croissance économique et tenant compte des besoins réels des populations. Son objectif est d’accroître les capacités de programmation et de gestion des entités décentralisées dans le cadre de la bonne gouvernance pour une meilleure performance économique. Sa mise en œuvre comporte des enjeux sur un triple plan politique, économique et socia!7. Nous allons nous intéresser essentiellement à l’aspect financier du processus de la décentralisation. 7 Sur le plan politique, la décentralisation permet aux populations de bénéficier d’une représentation plus démocratique, plus équitable et plus équilibrée dans les institutions politiques nationales et provinciales. Au niveau economique, l’octroi aux provinces et aux Entités Territoriales Décentralisées (E1’D) des con1pétences et des ressources propres entraîne la création de plusieurs centres de décision, d’impulsion et de gestion de la vie économique. Pour Bird et Vaillancourt (1999), un programme de décentralisation vise à déléguer les sources de revenus et les fonctions des dépenses aux institutions provinciales et locales ; l’idée est que cela contribuera à l’efficacité accrue du secteur public, à la mobilisation accrue des impôts locaux, et à l’amélioration de responsabilisation et de transparence dans la prestation des services mais aussi dans l’élaboration des politiques. Sur le plan social, la décentralisation entraîne une profonde mutation socio-culturelle en permettant le rapprochement entre l’administration et les citoyens, et en favorisant l’adaptation des décisions aux réalités culturelles de chaque entité. 19 Chapitre 1 : Econon1ie institutionnelle et décentralisation financière dans les pays en développen1ent 

Décentralisation, centralisation et fédéralisme

Décentraliser c’est opérer un mouvement contraire à la centralisation. Il s’agit d’une démarche secondaire qui suppose une centralisation préalable à laquelle on souhaite mettre fin. La décentralisation confère, aux entités infranationales qui bénéficient de ce processus, la reconnaissance de la personnalité juridique, de l’autonomie organique, de l’autonomie financière et de l’autonomie de gestion selon une loi organique. L’octroi d’une personnalité juridique distincte de celle de l’Etat permet à l’entité autonome d’ester en justice car elle est devenue un sujet ayant des droits et des obligations distincts de ceux de l’Etat. Il en est de même du service décentralisé8 . La personnalité juridique est la condition capitale sans laquelle il n’y a pas de décentralisation. L’autonomie financière voudrait que la collectivité locale dispose de ses propres finances pour lui permettre de s’équiper, d’avoir des fournitures et des infrastructures appropriées. L’autonomie de gestion ou administrative voudrait que l’entité locale possède son patrimoine (bâtiments, véhicules, … ) qu’elle doit gérer librement, et son personnel qui lui permet de servir les affaires locales. Quant à l’autonomie organique, elle signifie que l’entité décentralisée : dispose des pouvoirs propres qu’elle doit exercer avec indépendance conformément à la légalité. C’est ce qu’on appelle communément les affaires ou compétences locales; dispose de son propre personnel qui ne peut pas être remplacé par d’autres autorités choisies par le pouvoir central. Les responsables de l’entité ou du service autonome sont normalement élus. Ainsi, l’élection des organes locaux est une garantie de l’autonomie organique ; est gérée par les autorités locales qui ne peuvent recevolf des ordres de l’autorité supérieure dans les matières sur lesquelles porte l’autonomie, ce qui n’exclut pas pour l’autorité centrale l’exercice d’un pouvoir de tutelle. 8 Il existe deux types classiques de décentralisation (territoriale et technique). D’une part, la décentralisation territonale (ou géographique) est celle qui aboutit à la création des collectivités locales (province, région, ville, conunune . … ). Pour le cas des PVD, qui nous intéressent dans ces recherches, il est fréquent de modifier le découpage territorial pour des raisons politiques parfois non avouées. D’autre part, la décentralisation technique (fonctionnelle ou par service) est le fait par lequel l’Etat détache un service déterminé de la nlasse de ses services en le constituant en un service autonome. Elle porte sur les institutions spécialisées dotées de la personnalité morale conune les établissements publics, tels que les universités, banques centrales, . . (Toengaho, 2009). Certains auteurs conune Tanzi (2000) soulignent que, pour s’engager dans le processus de décentralisation technique souvent on oublie que de nombreuses activités de l’Etat peuvent être transférées soit aux collectivités territoriales (par le biais de la décentralisation budgétaire), soit au secteur privé (à travers la privatisation). 20 Chapitre 1 : Economie institutionnelle et décentralisation financière dans les pays en développement En revanche, la centralisation est un mode d’organisation des services publics qui consiste à confier leur gestion au pouvoir central de 1 ‘Etat. Ainsi, tous les pouvoirs de décision et de contrôle sont réunis entre les mains du pouvoir central. La centralisation peut s’appliquer avec la concentration du pouvoir ou à travers la déconcentration. Cette dernière consiste en l’attribution de certaines responsabilités du gouvernement central à des entités déconcentrées ou bureaux régionaux de ce gouvernement plutôt qu’au bureau central usuellement situé dans la capitale. Elle reflète un simple aménagement de la concentration du pouvoir. Dans le même sens, la délégation consiste à faire du personnel des entités locales des agents du gouvernement central qui exercent certaines fonctions pour l’Etat. Selon Toengaho (2009), la décentralisation n’est à confondre ni au fédéralisme ni au régionalisme politique. D’abord le fédéralisme est un modèle de forme de l’Etat, tandis que la décentralisation est un simple procédé ou mode de gestion administrative qu’on peut appliquer aussi bien dans un Etat unitaire qu’à l’intérieur des Etats fédérés. La différence entre les deux modes de gestion réside également dans le degré d’autonomie. L’autonomie est administrative et accordée aux entités décentralisées par une loi organique. Elle est par contre politique et consacrée par la Constitution lorsqu’il s’agit des composantes d’un Etat fédéral. Quant au régionalisme politique, il est un procédé d’aménagement du pouvoir d’Etat qui consiste à décentraliser politiquement et constitutionnellement les provinces qui, dans un Etat unitaire, deviennent des composantes politiques et administratives dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie institutionnelle et financière. Par rapport à la décentralisation, l’originalité du régionalisme politique réside dans le fait que la répartition des compétences entre le pouvoir central et les provinces ainsi que l’ordre institutionnel de celles-ci sont définis par la Constitution et non par une loi organique. Cependant, à la différence des Etats fédérés, les provinces ne jouissent pas de la liberté de se doter chacune de sa propre Constitution et de son organisation interne dans un régionalisme politique. Et à la différence d’un Etat unitaire décentralisé, le pouvoir central n’exerce pas la tutelle administrative sur les provinces dans le cadre du régionalisme politique. Seul le contrôle juridictionnel est admis (Toengaho, 2009).La notion de décentralisation reste cependant très difficile à définir car elle renvoie à des arrangements institutionnels d’une grande variété. Décentralisation et fédéralisme financier se confondent le plus souvent. A cet égard, l’ouvrage de Bird et Ebel (2007), par exemple, utilise l’expression « decentralized countries » dans le titre mais se réfère dans les chapitres aux « federal industrial countries » et aux « new federal countries ». En général, le fédéralisme fiscal s’applique dans un Etat fédéral alors que la décentralisation financière s’applique aussi bien dans un Etat unitaire que dans un Etat fédéral (au sein des états fédérés). Les deux termes traitent les relations financières entre le pouvoir central et les gouvernements infranationaux dans le sens de transfert des dépenses et des recettes. Par ailleurs, en pratique, le terme décentralisation est souvent utilisé pour signifier dévolution. La dévolution est la forn1e la plus poussée de la décentralisation dans le sens où elle opère un transfert de compétences et de responsabilités à des personnes morales de droit public élues par des administrés. Des responsabilités et des ressources sont transférées aux pouvoirs locaux qui jouissent d’une autonomie considérable de décision sur la manière d’utiliser ces ressources dans leur domaine de compétence et dans une juridiction administrative légalement reconnue. Dans le sens des «finances publiques décentralisées», toutes les compétences et ressources appartiennent à priori au gouvernement central. Il faut donc que le texte constitutionnel dévolue explicitement certaines responsabilités ou recettes aux gouvernements locaux pour que ces derniers aient le droit d’agir dans les limites fixées (Dafflon et Madies, 2008, p.16). li convient de noter qu’une décentralisation financière parfaite n’est pas sans danger car les entités décentralisées dotées de la personnalité juridique propre, de l’autonomie organique, financière et de gestion, risqueraient de confondre leurs intérêts avec l’intérêt national et ignorer les lois de la République. Pour éviter toute confusion de ce genre et sauvegarder l’intérêt général et la légalité au sein des ETD, le gouvernement central prend toujours soin de conserver un droit de contrôle ou de surveillance portant le nom de « lute lie administrative ». C’est ainsi que dans un Etat unitaire, la décentralisation ne va pas sans tutelle, de même il n’y a pas de tutelle sans texte, ni de tutelle au-delà des textes (Mahon, cité par Toengaho, 2009). En pratique, l’autonomie des entités décentralisées est souvent mise en doute surtout dans les PVD, parce que les autorités centrales s’arrangent pour maintenir les autorités locales sous leur dépendance à travers, par exemple, des transferts et des investissements publics. 22 Chapitre 1 : Economie institutionnelle et décentralisation financière dans les pays en développement Parler de la décentralisation financière, c’est aussi reconnaître ses piliers et composantes. Les arguments appuyant la décentralisation mettent l’accent sur le processus participatif: la population locale participe à la décision, à la gestion, à la programmation et à la réalisation des investissements. On relève trois piliers fondamentaux de la méthode participative qui sont directement liés au processus de décentralisation : appropriation, insertion et responsabilité démocratique. 9 Plusieurs motivations sont à l’origine du processus de décentralisation, et celle-ci peut s’effectuer au niveau politique, administratif et financier. La décentralisation politique donne au citoyen local et à ses représentants plus de pouvoir dans la prise de décisions. Elle accroît la représentativité des populations, ce qui peut entraîner la réduction de conflits ethniques. Elle permet le partage du pouvoir entre les tendances tribales et les groupes ethniques locaux, en établissant un consensus politique et une certaine stabilité (Manor, 1999). Ainsi, un système politique stable favorise un bon déroulement d’activités économiques, facilite le recouvrement des recettes fiscales et participe à la croissance. Les élections locales permettent aux populations de s’identifier dans les actions menées par leurs représentants. Elles permettent aussi de mettre fin à l’apparition des dirigeants par simple choix de l’autorité centrale. La dynamique de la décentralisation repose sur la conviction selon laquelle il est difficile de réaliser le développement sans l’adhésion et la participation des populations. La décentralisation administrative redistribue l’autorité de gestion à des échelons administratifs différents. Pour qu’elle donne des bons résultats, il faut des institutions bien structurées et solides. Pourtant, les institutions de la plupart de PVD ne sont pas encore très bien structurées, surtout au niveau local. La capacité des entités décentralisées à élaborer et à gérer les programmes de développement devrait être améliorée. Le problème de capacité et d’institutions locales se pose encore plus pour les nouvelles entités lorsqu’intervient un nouveau découpage administratif. Le découpage territorial apparait comme un mécanisme de 9 La population doit s’approprier le processus de décentralisation; celui-ci ne se résume pas à une simple déclaration de la réforme, moins encore à l’adoption des textes sans que ces derniers soient appliqués. Il est avant tout un état d’esprit, une volonté d’aller plus en avant dans le développement et la démocratie. Ainsi, toute la société civile devrait être associée ou intéressée par ce processus. La participation renforce le degré d’engagement des gouvernants à s’impliquer dans les programmes prévus, et suscite l’adhésion de la population aux réformes en cours. Aussi, la décentralisation doit être insérée ou s’adapter au contexte socio-économicoculturel pour répondre aux véritables besoins du milieu. Elle offre aux pauvres l’opportunité d’influer sur les politiques qui affectent leurs conditions de vie. Enfin, sur base de la responsabilité démocratique, tous les acteurs sociaux participent au domaine réservé de l’Etat. Les gouvernants de différents niveaux doivent rendre compte de leurs actes à leurs sujets, et sont sanctionnés par ces derniers à travers les élections. Les pays en développement ont élaboré leur Document de Stratégie pour la Réduction de Pauvreté (DSRP) sur base de ces trois piliers. La décentralisation financière répartit les ressources et compétences en organisant les rapports financiers entre l’Etat et les collectivités locales (Yatta, 2000). Elle permet d’accroître les revenus et les responsabilités des ETD. S’ils ne sont pas bien définis et respectés, les rapports qui portent sur les entrées et sorties de fonds sont l’objet de discorde entre différentes entités. C’est cet aspect financier de la décentralisation qui fait de celle-ci un sujet qui touche la sensibilité des économistes depuis seulement les années 1950. 

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Facteurs explicatifs de la décentralisation financière

Trois grandes préoccupations politiques semblent être à l’origine du processus de décentralisation dans les PVD. Pour un premier groupe de pays, la décentralisation vient de la nécessité de refonder l’Etat en prise à une crise qui menace l’existence même du pays. Ainsi dans beaucoup de pays, elle est une conséquence de longues guerres civiles comme au Mozambique, en Ouganda, en RDC ou au Mali. La fin de la guerre a souvent été le fruit de larges concessions du pouvoir central notamment en matière d’administration du territoire. Dans ce contexte, la décentralisation est perçue comme un moyen de faire participer toutes les fractions, autrefois gérant des territoires plus ou moins autonomes, à la gestion publique afin de sauvegarder l’unité du pays. Dans d’autres pays, la décentralisation est née de la démocratisation et de la propagation du pluralisme politique. Alors que les pays africains ont connu depuis les indépendances des partis uniques caractérisés par des pouvoirs centralisés et forts, le début des années 90 a été marqué par l’avènement du multipartisme et le souci exprimé par les populations d’une grande participation à la gestion des affaires publiques. En raison des particularités ethniques, culturelles et locales, des pouvoirs accrus sont accordés aux collectivités décentralisées pour sauvegarder la survie même de la nation et assurer une meilleure prise en charge des réalités socio-économiques dans la gestion publique. Dans les pays de l’Amérique latine, c’est surtout la pression politique qui a conduit à des processus de décentralisation financière. Enfin, dans le troisième groupe de pays, la décentralisation a simplement eu lieu en l’absence d’une structure d’administration efficace pour fournir des services publics locaux aux populations. L’incapacité de l’Etat central à encadrer le territoire et les populations, et à fournir les services publics fondamentaux tels que la santé et l’éducation, s’est accompagnée 24 Chapitre 1 : Economie institutionnelle et décentralisation financière dans les pays en développement non seulement par la perte de confiance des populations vis-à-vis du gouvernement central, mais aussi de l’aspiration à une administration de proximité plus soucieuse de la fourniture des services locaux (Yatta, 2009). Toutes ces raisons propres au contexte national de chaque pays se traduisent par une multitude de «décentralisations» qui se déclinent en architectures institutionnelles différentes.

Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Economie institutionnelle et décentralisation financière dans les pays en développement
Chapitre 2 :Revue de la littérature sur les liens entre les institutions et les performances macroéconomiques
Chapitre 3: Effets de la décentralisation financière sur les performances
macroéconomiques : méthodologie et analyse empirique
Conclusion générale

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