Instabilité chronique de cheville
Biomécanique de la cheville
L’arrière-pied et la cheville constituent donc un ensemble complexe associant à la fois mobilité, stabilité et transmission des contraintes. Ce complexe se comportera alors comme une grande articulation sphéroïde permettant des mobilités dans les trois plans de l’espace. De ce fait, ils seront décrits des mouvements de type flexion plantaire et flexion dorsale dans un plan proche du plan sagittal, de type abduction/adduction dans un plan transversal et enfin de type pronation/supination dans le plan frontal. [1,4] Il sera alors décrit des mouvements globaux que seront l’inversion et l’éversion. L’inversion consiste en une flexion plantaire accompagnée d’une adduction et d’une supination de la cheville et du pied. L’éversion est l’inverse de l’inversion, il s’agit d’une flexion dorsale associée à une abduction et une pronation de la cheville et du pied. Image 1 : Mouvements combinés de la cheville [5] MALAQUIN Pierre DEMK 2020 7 La talo-crurale permet uniquement des mouvements de flexion dorsale et plantaire. Ils résultent du glissement du pilon tibial sur le dôme talaire. La flexion dorsale consiste en un rapprochement de la face dorsale du pied avec la face antérieure de la jambe. C’est l’inverse pour la flexion plantaire où un éloignement du pied est observé. Globalement, les amplitudes permises par ce mouvement seront de 20° en flexion dorsale et de 40° en flexion plantaire. Cependant, fonctionnellement, seulement 10° de flexion dorsale et 15° de flexion plantaire sont nécessaires [1]. Ces mouvements peuvent être limités par les structures ligamentaires, articulaires ou musculaires proches selon la position de la cheville ainsi que par une butée osseuse du talus lorsque celui-ci est mal positionné dans la pince tibio-fibulaire notamment en flexion dorsale. Enfin, dans la talo-crurale, des micros-glissements antéropostérieurs peuvent être décrits en fonction de l’obliquité de la jambe ou des éléments musculaires entourant cette articulation [1,3]. La tibio-fibulaire inférieure présente donc, comme évoqué précédemment, une mobilité en écartement-rapprochement dépendante de la mobilité décrite pour la talo-crurale. En effet, ces mouvements dépendront de la position de la cheville (neutre, en flexion dorsale ou en flexion plantaire) et seront directement dus à la mobilité de la malléole latérale [1,5]. En effet, lors de la flexion dorsale de la cheville, le bord antérieur, large, du talus se retrouve dans la pince tibio-fibulaire provoquant un écartement de celle-ci associé à une légère élévation et postériorisation de la malléole externe [1]. Lors de la flexion plantaire, l’inverse sera décrit et la pince aura tendance à se rapprocher. L’ensemble des mouvements de la tibiofibulaire inférieure est limité par l’action des muscles rétro-malléolaires coaptateurs en particulier le Tibial Postérieur et Long Fléchisseur de l’Hallux qui abaissent le talus et serrent la pince tibio-fibulaire [1]. Le rapprochement est donc actif alors que l’écartement est passif par contact des structures osseuses. [1] Les articulations sub-talaire et transverse médiale du tarse décrivent des mouvements tridimensionnels qui sont grossièrement décrit comme ceux d’un bateau : [1] • Il « Tangue » : image le mouvement de flexion/extension • Il « Vire » : image le mouvement d’abduction/adduction du pied. Il correspond à une déviation angulaire du pied respectivement vers l’intérieur ou l’extérieur. • Il « Roule » : image le mouvement de pronation/supination du pied. Ce mouvement est limité en charge mais permet d’assurer un équilibre correct et la bonne stabilité de la cheville et du pied. Image 2 : Modélisation des mouvements de l’articulation sub-talaire (a : Tangue, b : Roule et c : Vire) [1] Concernant l’articulation sub-talaire, ces mouvements sont grandement dus au pivot central que forme le sinus du tarse [1]. MALAQUIN Pierre DEMK 2020 8 En termes d’amplitudes, la mobilité de l’ensemble cheville/arrière-pied augmente avec la demande active liée aux activités réalisées [1,5]. En effet, elle sera plus faible lors de la marche que lors de séquences de courses, de sauts, ou durant la position accroupie. De même, ces amplitudes sont liées aux propriétés intrinsèques à chacun notamment en souplesse ou laxité articulaire. Les limitations qui pourraient interférer dans la mobilité du complexe sont ligamentaires, musculaires ou osseuses et seraient préjudiciables davantage en stabilité qu’en amplitude pure [1]. La stabilité de la cheville et de l’arrière-pied réside en une association des structures passives et actives nécessaires à la bonne fonctionnalité de cette région notamment sur des surfaces variées. Elle est alors de deux types : passive et active [1]. La stabilité passive dépend de trois facteurs que sont la conformation articulaire, le placement articulaire de la talo-crurale ainsi que la tension propre aux éléments de la tibio-fibulaire inférieure [1]. En effet, une conformation articulaire anormale aurait tendance à permettre des mouvements anormaux, par exemple pour la talo crurale, des valgus/varus du talus dans le plan frontal habituellement non décrits [1,5]. De même, la position anatomique de la talo-crurale assure une stabilité passive de la cheville appropriée puisqu’elle intervient au niveau articulaire et au niveau ligamentaire. Il est décrit une meilleure stabilité lors de la flexion dorsale de cheville due à une surface de contact plus importante entre les éléments osseux en présence [1,5]. Cette notion de stabilité est également applicable lors de la position de référence (neutre) lorsque le pied est orthogonal par rapport à la jambe [1]. À l’inverse lors de la flexion plantaire, la stabilité est moindre par rapport à la flexion dorsale car le bord étroit du talus n’est pas positionné complètement dans la pince bi-malléolaire. Par exemple, chez une femme marchant avec des talons, la composante de stabilité diminue offrant un plus grand risque de traumatismes, surtout en varus [1]. Les ligaments collatéraux de la cheville, en collaboration avec les ligaments de la sub-talaire préservent cette stabilité en variant leur tension en fonction de la position articulaire et plus précisément de la position des centres instantanés de rotation (CIR) [1]. Ces derniers sont plus postérieurs en flexion plantaire et plus antérieurs en flexion dorsale ce qui permet aux ligaments latéraux d’adapter la tension sur leurs différents faisceaux [1]. Image 3 : Position des CIR de la cheville en fonction de la position articulaire [1] Notons également que les ligaments propres à l’articulation tibio-fibulaire inférieure permettent aussi d’assurer la stabilité de ce complexe. En effet, les ligaments tibio-fibulaires inférieures (antérieur et postérieur) accompagnés de la membrane interosseuse sont mis en tension lors de l’élévation et l’écartement de la fibula en flexion dorsale permettant une stabilisation de l’articulation [1,5]. MALAQUIN Pierre DEMK 2020 9 L’absence de tension à ce niveau, suite à un traumatisme par exemple pourra conduire à un phénomène pathologique de diastasis (écartement) de la pince tibio-fibulaire responsable d’un ballotement du talus dans cette dernière [1,3,5]. Une morphologie osseuse correcte offrira une congruence des structures normales, ceci démontrant une stabilité passive physiologique [1,5]. Ceci prend son sens au niveau du sinus du tarse notamment, compris entre les deux articulations de la sub-talaire, puisque celui-ci constitue le pivot central du pied car tous les axes mécaniques de ce dernier passent par ce sinus [1]. Un désordre de ces axes pourrait alors être responsable d’une moins bonne stabilité globale. Nous verrons plus tard que certaines hypothèses existent concernant une prédisposition aux traumatismes et à l’instabilité en présence de certaines conformations osseuses (cf chapitre Instabilité chronique de cheville). La stabilité active de la cheville complète la stabilité passive et est assurée par l’intervention des muscles proches : les muscles péri-articulaires et les muscles rétro-malléolaires [1]. Les muscles péri-articulaires concernent tous les muscles entourant la cheville. Les muscles rétro-malléolaires en font parties mais ils présentent une action sustentatrice des malléoles importante pour la notion de stabilité (surtout du côté latéral par l’action des fibulaires) [1,3]. Ceux-ci permettent également un contrôle anti-rotatoire asymétrique en charge afin de pallier les changements de terrains ou instabilités de la cheville [1]. Un des muscles présente une fonction essentielle dans cette stabilité articulaire : le Long Fléchisseur de l’Hallux. En effet, de par son trajet (il est le plus externe à la jambe et le plus interne au pied) et ses actions de serrage de la pince bi-malléolaire, de verrouillage du talus en arrière et de soutien la portion médiale de l’arrière-pied, il permet une meilleure stabilité du complexe [1]. La notion de proprioception musculaire entre en jeu dans la stabilité active de la cheville car une mauvaise réponse de ces muscles suite à une force trop rapide ou intense pourrait aboutir à un traumatisme par lésion ligamentaire ou osseuse dans le sens correspondant. Cette réponse est due à un ensemble de récepteurs que nous évoquerons plus tard (cf chapitre contrôle postural) [1,5]. Dans son rôle de transmission des forces entre la jambe verticale et le pied horizontal, la zone étroite de la cheville est soumise à de nombreuses contraintes. Une formule décrit que la résultante R des forces exercées au niveau de l’interligne talo-crurale serait égale à R = 2P où P représente le Poids (force gravitaire) [1]. Les zones principales de contraintes au niveau de la cheville se trouvent : [1] • Sur le dôme talaire : maximum de contraintes qui se répartissent grâce aux travées osseuses. • Sur les surfaces malléolaires : supérieures sur le tibia par rapport à la fibula lors de l’appui unipodal. Il semblerait que la configuration de l’articulation tibio-fibulaire supérieure ait une influence dans l’importance des contraintes exercées sur le talus par les malléoles. • Sur les tendons : Les contraintes sont différentes en fonction des muscles et apparaissent plus élevées au niveau des tendons rétro-malléolaires afin d’assurer le plaquage de ceux-ci sur l’os. MALAQUIN Pierre DEMK 2020 10 Ces contraintes varient en fonction de la tâche statique ou dynamique réalisée (contraintes supérieures à 12 fois le poids du corps pendant une activité sportive [5]). En statique, elles sont dues à l’appui, traduit par une pression sur le dôme talaire, et aux contractions musculaires permettant la coaptation des surfaces articulaires. À ceci est ajoutée la sustentation réalisée par les muscles rétro-malléolaires. En dynamique, les contraintes se trouvent sur les tâches de réception, de propulsion et de répétition. Elles dépendent également des capacités d’amortissement des articulations sus- et sous-jacentes (le genou par exemple) [1]. Les contraintes, mêmes les plus infimes, sont répétées des milliers de fois chaque jour sur la cheville ce qui accentue le moindre des défauts, peu importe sa nature ostéo-articulaire, musculaire, fonctionnelle et rend essentiel l’économie face à ces contraintes.
Le contrôle postural
La posture, érigée chez l’Homme, constitue une composante complexe entre différentes structures anatomiques et voies nerveuses permettant le maintien de la station debout et la réalisation de tâches dynamiques. Le contrôle de cette posture est alors essentiel et associe deux objectifs principaux que sont l’orientation ou maintien ainsi que l’équilibre postural [8,9]. La notion de maintien et d’orientation permet une réponse adaptée aux forces gravitaires qui s’appliquent sur chaque sujet dans le but de maintenir la position ou de réaliser un mouvement [9]. La seconde notion concerne la sauvegarde de la projection au sol du centre de masse ou du centre de gravité dans les limites de stabilité (propres à chacun) [9]. Remarque : Le centre de gravité (CdG) représente le point où la résultante des forces gravitaires s’exerce sur le corps. Le centre de masse (CdM), quant à lui, indique le point où la répartition des masses est homogène dans le corps. Sur le principe que les forces gravitaires sont homogènes sur le corps humain, ces deux points peuvent être grossièrement assimilés. La projection de ceux-ci sur le sol dans la base de support (ou polygone de sustentation) sera représentée par le centre de pression (CdP) [10]. Ce dernier correspond alors au centre de répartition des forces ou contraintes dans le polygone de sustentation. [11] Ce contrôle postural implique de nombreux phénomènes travaillant en relai ou en association en fonction de la contrainte et de la tâche statique ou dynamique à accomplir. Il faut noter dans un premier temps l’intervention du tonus musculaire postural de base luttant contre les forces gravitaires [9,12]. Les muscles antigravitaires conservent alors une contraction de faible intensité peu coûteuse en énergie afin de lutter contre la gravité [12]. Ce tonus peut être modifié en fonction des perturbations exercées sur le corps [9]. Concernant le contrôle de l’équilibre, il s’agira principalement de maintenir le centre de pression dans les limites de stabilité du polygone de sustentation. Ces limites sont définies grâce au modèle du corps humain en pendule inversé [5,12]. D’ailleurs, certains auteurs décrivent qu’une position supérieure du centre de masse ou de centre de gravité serait favorable à un déplacement du centre de pression plus important, vecteur d’instabilité, de même qu’une réduction de la base de support [9,10,12]. Image 4 : Modèle en pendule inversé [5] MALAQUIN Pierre DEMK 2020 11 Le maintien de la posture et de l’équilibre, statique et dynamique, passe également par l’intermédiaire des systèmes visuel, vestibulaire, proprioceptif et cutané qui envoient des informations aux centre corticaux supérieurs permettant une réponse adaptée de ceux-ci aux contraintes déséquilibrantes intrinsèques ou extrinsèques aux sujets [9,12–14]. Les informations vestibulaires correspondent aux mouvements des cristaux dans l’oreille interne qui ont un rôle important dans l’équilibre [5,13]. La proprioception semble essentielle à décrire. Elle représente un élément majeur du contrôle postural, aussi bien statique que dynamique. Elle se définit comme la capacité à connaître la position de son corps dans l’espace ou de chacun de ses membres les uns par rapport aux autres. Elle est à la fois consciente (kinesthésie et statésthésie) et inconsciente (permettant le maintien de la station debout et les ajustements posturaux). Elle allie à la fois des récepteurs présents sur les différentes structures anatomiques et les voies nerveuses remontant aux centres corticaux [15,16]. Différents récepteurs permettent la remontée de l’information proprioceptive au SNC : [16] • Les fuseaux neuromusculaires (FNM) : présents au niveau du muscle, parallèlement aux fibres musculaires, ils sont sensibles à l’étirement musculaire. • Les Organes Tendineux de Golgi (OTG) : présents au niveau de la jonction myotendineuse, ils informent sur la tension exercée au niveau du muscle. Ils régulent alors cette tension afin de protéger le muscle d’un allongement trop important. • Les Corpuscules de Ruffini : au niveau articulaire, ils interviennent dans les amplitudes extrêmes lorsque l’articulation est immobile. En mouvement, ils permettent de donner une information sur la vitesse et la direction du mouvement. • Les Corpuscules de Pacini : au niveau articulaire également, ils donnent une information sur l’accélération angulaire d’une articulation lorsque la vitesse du mouvement est suffisamment élevée. • Les Mécanorécepteurs cutanés plantaires : au niveau de la peau, ils sont sensibles aux déformations de celle-ci ainsi qu’à l’étirement, aux oscillations.
1 Introduction |