Inscription du récit dans le milieu en résolution de
problèmes de mathématiques
Caractériser la mise en récit des problèmes scolaires
Dans ce chapitre, nous proposons de nous intéresser à nouveau aux problèmes proposés par les manuels scolaires (Cf. Chapitre 2) mais cette fois ci en nous concentrant sur leurs aspects textuels. Comme nous pouvons le voir dans les extraits de manuels ci-après (Figure 3.1, p. 59), les énoncés de problèmes scolaires intègrent en effet des caractéristiques généralement associées au récit : (a) Extrait Maths + CE1, p. 28 (b) Figure 3.1 – Exemples d’énoncés de problèmes avec une dimension narrative 59 – des personnages : Malik (a), Samuel (b). – des évènements : Malik a effectué des tours de piste (a), Samuel a gravi un tour (b). – un lieu : le stade d’athlétisme (a), l’Italie et la tour de Pise (b). – etc. Cette spécificité, non nécessaire, a amené plusieurs chercheurs à questionner cette forme narrative. Nous avons retenu deux types d’approches. Celle de Neyret (1991) et Peroz (2000) étudie plus particulièrement la manière dont les différents thèmes s’enchainent dans un texte et l’influence de cet enchaînement dans la compréhension et la résolution du problème. Celle de Camenisch et Petit (2006) qui se concentre sur l’analyse des faits de langue tels que les marqueurs temporels ou la pronominalisation. Nous les présentons dans la section 3.1. Ces deux approches, commes toutes celles qui s’intéressent à la forme narrative des énoncés de problèmes, se concentrent sur des aspects relatifs à la compréhension de l’énoncé. Dans notre travail, nous souhaitons aller plus loin en nous intéressant à la résolution effective du problème. En effet, comme nous le verrons dans la première partie de notre thèse (Chapitre 7) différentes recherches ont mis en évidence les apports du récit dans les apprentissages. Nous avions donc imaginé que cette mise en forme narrative peut jouer un rôle dans la résolution du problème. Cependant, si dans les lignes ci-dessus nous avons employé le terme dimension narrative la où nous aurions pu utiliser le terme récit c’est bien pour mettre en évidence, dès à présent, que malgré les apparences ces énoncés, proposés par les manuels scolaires, ne sont pas de véritables récits. Nous le mettons en évidence dans la section 3.2 grâce à un outil d’analyse du récit, le schéma quinaire (Larivaille, 1974). Nous concluons ce chapitre par un travail théorique nous permettant de définir ce que pourrait effectivement être un problème présenté sous forme d’un véritable récit qui jouerait alors un véritable rôle dans la résolution du problème.
Travaux existants
Analyse par progression thématique
Selon Neyret (1991) et Peroz (2000), le choix de présenter les problèmes en utilisant une forme narrative n’est pas neutre : « Mais le « scénario » dans le temps même où il facilite l’accès au problème est aussi une source de malentendus absente des données initiales » (Peroz, 2000, p. 55). La succession des informations joue forcément un rôle dans la manière dont l’élève perçoit le problème. L’analyse par progression thématique, utilisée par les deux auteurs, permet de mettre en évidence la « manière dont divers groupes syntaxiques d’une phrase vont véhiculer deux types d’information, celles qui à une certaine étape du texte sont données et/ou acquises et celles qui sont nouvelles » (Neyret, 1991, p. 90). Avant de présenter ces différentes progressions, nous précisions 60 quelques éléments de vocabulaire : – Le thème est l’élément d’un énoncé qui est réputé connu par les participants à la communication. – Le rhème est un élément nouveau introduit dans l’énoncé, généralement par un déterminant indéfini ; par opposition à un thème qui est un élément connu de l’énoncé, généralement introduit par un déterminant défini. Par exemple dans une conversation entre A et B. A s’adresse à B en disant « C va se marier ». « C » est l’élément de départ connu par A et B, c’est donc le thème de la phrase. « Va se marier » est un élément nouveau pour B, il est introduit par A, c’est le rhème de la phrase. Un thème est un groupe d’élément qui reprend des informations connues ou présentées précédemment alors que le rhème introduit des éléments nouveaux à propos de ce thème. Thème et rhème peuvent s’enchaîner selon plusieurs types de progressions. Progression linéaire : Dans un texte à progression linéaire, le rhème devient le thème de la partie du texte qui suit. Les phrases suivantes suivent une progression linéaire : « La fleuriste revient des halles où elle a acheté 6 bottes de 25 roses chacune. Elle revend les roses à la pièce, 15F l’une. (Combien a-t-elle de roses à vendre ? Quelle somme encaisse-t-elle si elle les vend toutes ?) ». Le thème initial (th1) est « la fleuriste revient des halles », le rhème (rh1) est « où elle a acheté 6 bottes ». Ce rhème devient un nouveau thème (th2), le rhème (rh2) étant « de 25 roses chacune ». Ce rhème « les roses » devient un nouveau thème (th3) « elle revend les roses à la pièce », le rhème (rh3) étant « 15F l’une ». La structure d’une progression linéraire est donc : th1 lié à rh1 ; rh1 devient th2 lié à rh2 ; rh2 devient th3 lié à rh3, etc. La progression à thème constant : Dans un texte à progression constante, il n’y a qu’un seul thème et des rhèmes liés à ce thème. C’est à dire que les nouveaux rhèmes qui apparaissent dans le cours du texte, se rapportent tous au même thème, en général annoncé au cours de la première phrase. Pour exemple, prenons le texte suivant : « Damien passe dans les classes pour relever le nombre d’élève restant à la cantine aujourd’hui. Voici ce qu’il a noté sur sa feuille : CP : 4 élèves ; CE1 : 12 élèves ; CE2 : 9 élèves ; CM1 : 10 élèves ; CM2 : 11 élèves. (Quel nombre total d’inscrit va-t-il donner à la dame de la cantine ?) » Dans ce texte, le thème th1 de la première phrase « Damien passe dans les classes pour relever le nombre d’élèves restant à la cantine aujourd’hui » est repris 5 fois par la suite dont quatre fois sous forme condensée : rh1 : Voici ce qu’il a noté sur sa feuille : CP : 4 élèves ; rh2 : CE1 : 12 élèves ; rh3 : CE2 : 9 élèves ; rh4 : CM1 : 10 élèves ; rh5 : CM2 : 11 élèves. La structure de cette progression est donc th1 lié à rh1, rh2, etc. La progression à thème éclaté : Les différents thèmes qui apparaissent dans un texte à progression éclatée font référence à un hyperthème qui est annoncé initialement ou qui se dégage au cours de la lecture du texte. Par exemple : 61 « Une bonne affaire : Paul et son papa se rendent chez le garagiste pour faire changer les 4 pneus de sa voiture. Chaque pneu coute 285F. Paul fait rapidement le calcul pour trouver le mottant de la dépense. Le papa n’est pas content. Il trouve la somme trop élevée. C‘est alors que le garagiste en souriant, lui propose l’affaire suivante : « D’accord je vous fait cadeau des pneus, mais . . . sur chaque roue, il y a 4 boulons. Quand je remplacerai le premier boulon, vous me donnerez 1F, au deuxième boulon, vous me donnerez 2F, au 3ème 4F et ainsi de suite en doublant le prix de chaque boulon revissé ». Paul et son père réfléchissent, se concertent . . . et refusent la proposition en riant. Si toi aussi tu fais les calculs tu comprendra pourquoi ils ont refusé. » L’hyperthème de ce texte est indiqué par le titre « une bonne affaire » et par la phrase « Paul fait rapidement le calcul pour trouver le montant de la dépense « . On peut dégager 4 thèmes qui vont se succéder au cours du récit. Th1 : Paul et son papa se rendent chez le garagiste ; th2 le papa de Paul n’est pas content ; th3 : le garagiste propose une affaire ; th4 : Paul et son père réfléchissent . . . et refusent. Neyret met en lien la complexité de ces différentes progressions avec la difficulté de la prise d’information nécessaire à la résolution d’un problème. Il les classe selon leur difficulté. Le plus facile étant a priori la progression à thème constant. Le référent restant unique, la prise d’informations est facilité. A l’inverse, la progression linéaire nécessite une décentration à chaque changement de phrase a cause du changement de thème. La prise d’information est donc plus difficile. Enfin la progression à thème éclaté est la plus compliquée. Il faut garder en tête l’hyperthème qui « s’éclate en différents thèmes » [p. 93](Neyret, 1991) qui peuvent chacun avoir une progression interne différente. Cette difficulté de prise d’information ne révèle pas pour autant la difficulté mathématique du problème. Il est tout à fait envisageable d’avoir un problème difficile sur le plan mathématique présenté sous forme d’un texte à thème constant (a priori facile à comprendre sur le plan linguistique). L’auteur propose donc de mettre en lien la complexité de ces différentes progressions avec les questions posées à l’élève dans l’énoncé du problème. Dans une progression à thème constant, le sujet est clairement identifié et les questions s’y rapportent par conséquent de manière directe. Chaque rhème apportant une information permettant de répondre à la question. Dans l’exemple de la cantine, chacun des rhèmes fournit une donnée numérique entrant dans l’opération finale. Neyret insiste sur l’importance d’une cohérence forte entre thème et raisonnement. Dans le cas de la progression linéaire il préconise d’avoir, dès le début de l’énoncé une phrase annonçant le thème de la première question. Pour l’exemple de la fleuriste il propose de débuter l’énoncé de la manière suivante : « La fleuriste a acheté pour les revendre, 6 bottes de 25 roses chacune » 1 . L’annonce du thème de la question (la vente de fleurs) permettrait aux élèves une meilleure anticipation des informations de l’énoncé et de leur utilisation. La progression à thème éclaté nécessite également une attention particulière au niveau de l’organisation. En effet, ce type de progression permet un schéma de questions élaboré avec une question princi1. En remplacement de « La fleuriste revient des halles où elle a acheté 6 bottes de 25 roses chacune ». 62 pale et des questions secondaires. Pour des raisons semblables à celles annoncées pour les énoncés à progression linéaire, il est important que le thème de la question principale soit annoncé dès le début de l’énoncé afin que les élèves lisent l’énoncé en faisant attention aux informations permettant de répondre à cette question. Le travail proposé par Peroz (2000) reprend le travail de Neyret et en nuance les conclusions. Selon Peroz, la difficulté liée à la prise d’information n’est pas liée de manière aussi directe à la complexité de la progression thématique. Influent également des facteurs liés au vocabulaire, à la présence d’un narrateur explicite, à la reprise des informations sémantiques (Peroz, 2000, p. 58). Il insiste en conclusion sur le fait que si la progression thématique permet a priori de repérer des lieux de confusion potentiel dans un énoncé, elle ne permet pas pour autant de classer les problèmes selon leur degré de difficulté. 3.1.2 Analyse de faits de langue Dans Lire et écrire des énoncés de problèmes additif : le travail sur la langue, Annie Camenisch et Alain Petit proposent des activités permettant de mettre en évidence des faits de langue relatifs à la spécificité des énoncés de problèmes en tant que textes. Ils s’intéressent donc à certains faits de langue, c’est à dire aux transformations nécessaires (ou considérées comme nécessaires) à la transformation d’une histoire en un énoncé de problème. Pour cela, ils ont proposé à un groupe de participants au trente-et-unième colloque de la copirelem une histoire à transformer en différents énoncés de problèmes. Ils ont ensuite analysé les productions des participants. Ils retiennent : – L’ajout ou l’accentuation des marqueurs temporels (conjonctions de coordination, concordance des temps) : Dès qu’une étape de l’histoire, un évènement, n’est pas présenté chronologiquement, les marqueurs temporels qui le concernent sont accentués ou ajoutés par rapport au texte initial. – Transformation de phrases déclaratives en phrases interrogatives : Tout comme les auteurs des deux études présentés dans le point précédent, la conclusion apportée par les auteurs se concentre sur la compréhension de l’énoncé. Ils se demandent « en quoi la prise de consciences de normes particulières du type d’écrit « énoncé de problème » permet-elle effectivement de mieux en maîtriser la lecture et la compréhension afin d’entrer dans un domaine exclusivement mathématique ? ». Ce n’est pas cette question que nous posons dans la suite. Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction de ce chapitre, nous souhaitons déterminer les caractéristiques linguistiques de l’énoncé qui pourraient être utilisées dans une résolution de problèmes.
Analyse structurelle des énoncés scolaires
Dans cette section, nous reprenons en quelque sorte l’idée de base développée par Camenish et Petit : construire des énoncés de problèmes à partir d’une histoire. Nous cherchons à déterminer ce qu’il reste structurelement de l’histoire initiale une fois la transformation en énoncé effectuée. Est-ce qu’un énoncé de problème ainsi produit est effectivement un récit ou un simple texte avec une dimension narrative ? Nous utilisons pour cela, un outil d’analyse structurel du récit : le schéma quinaire (Larivaille, 1974). Cet outil nous permet de décrire la structure des énoncés produits relativement à la structure canonique d’un récit. 3.2.1 Présentation du schéma quinaire Larivaille (1974) décrit le récit comme la transformation d’un état (l’état intial) en un autre état (l’état final). Cette transformation est constituée : – d’un élément (complication) qui permet d’enclencher l’histoire et de sortir de l’état initial (qui pourrait durer éternellement sans la complication) ; – de l’enchainement des actions (la dynamique) ; – d’un autre élément (résolution) qui conclut le processus des actions en instaurant un nouvel état qui perdurera jusqu’à l’intervention d’une nouvelle complication. Une histoire se présente donc, selon la modélisation de Larivaille, comme la succession de cinq étapes (Schéma quinaire) qui peuvent être répétées au sein de l’histoire et donner ainsi lieu à différents assemblages : État initial, Complication, Dynamique, Résolution et Etat final. Pour être qualifié de récit, un texte doit donc posséder, au moins une fois, chacune de ces étapes.
Méthodologie
Nous produisons ce travail d’analyse structurelle sur une catégorie de problèmes particulière : les problèmes additifs tels qu’ils sont définis par Vergnaud (1986). La typologie proposé par Vergnaud caractérise les problèmes additifs via la mise en évidence de structures élémentaires. De fait il est possible pour nous de croiser les structures définies par Vergnaud et celles que nous déterminons grâce au schéma quinaire dans les problèmes que nous avons construits. Nous pouvons ainsi éterminer la place laissée à l’histoire dans des problèmes qui nous le verrons sont similaires à des problèmes scolaires. Nous avons donc commencé par construire une histoire unique à partir duquel il est possible de récréer tous les types de problèmes additifs proposés par Vergnaud : Pierre par à l’école avec 5 billes bleues et vertes. Il a 3 billes vertes et 2 billes bleues. Il gagne 6 billes dans la journée, 2 billes le matin et 4 billes l’après midi. À la fin de la journée, Pierre a 11 billes. Marc a lui 15 billes. Il en a donc 4 de plus que Pierre. Dans le tableau ci-après, nous présentons cette histoire découpée selon les étapes du schéma quinaire.
Introduction |