Innovations logistiques
Enjeux des organisations logistiques collaboratives
Le secteur logistique doit s’adapter à des marchés turbulents, changeant rapidement et de manière imprévisible. Comme le constate [Christopher, 1999] ou [Simonot, 2012], les prestataires doivent répondre à de nouvelles demandes telles que les marchés de niche, l’innovation croissante dans les produits et les processus, les cycles de vie de produit plus courts, des prestations sur-mesure et des solutions complètes et complexes, associant produits et services. En conséquence, on constate une pression sur les marges, l’intensification des attentes des clients, une accélération et une fragmentation croissante des unités expédiées, de la taille des lots, une diminution des stocks. Selon [Gaubert, 2013], le poids médian des envois a ainsi été divisé par 5 de 1988 à 2014 : 150kg en 1988 à 30kg en 2014. Les prestataires logistiques sont ainsi conduits à conjuguer un taux de service croissant à une réduction des coûts, pour une prestation de plus en plus capillaire, rapide et flexible. Pour satisfaire ces enjeux, les sociétés de services logistiques doivent opérer de nouveaux modèles d’organisation : ces nouvelles exigences nécessitent des modèles logistiques collaboratifs [Simonot, 2012] (figure 1) et des solutions informatiques plus agiles [Christopher, 1999], capables de répondre à la double injonction de la fragmentation des envois et de la saturation des capacités de transport et d’entreposage. Cependant les prestations et installations logistiques actuelles restent le plus souvent dédiées à un client unique et régies par des contrats pluri-annuels. Ces modalités contractuelles sont difficilement compatibles avec une exigence de réactivité vis-à-vis du client, de reconfiguration agile du schéma logistique nécessitant une re-localisation des entrepôts fréquente, un ajustement de capacité et une modification du portefeuille de services. L’optimisation des opérations logistiques s’effectue à l’échelle de chaque prestataire, voire de chaque dossier-client. Ainsi, dans le cadre d’une prestation de transport de bout-enbout, le prestataire n’a pas systématiquement l’opportunité d’optimiser ses trajets de retour par un chargement complémentaire au profit d’un autre chargeur. En conséquence, de nombreuses ressources, sous-utilisées, restent vacantes : espace de stockage et moyens de transport. Ces capacités sont en effet sous-utilisés puisque dimensionnées pour absorber les pics d’activités d’un client unique, sans saturation possible de cette capacité par d’autres dossiers-clients. De plus, les objectifs de gestion intégrée des chaines logistiques butent cette même optimisation locale, faute d’une visibilité et d’une coordination d’ensemble. Par conséquent, les flux de marchandises, de supports logistiques et de données doivent parcourir ces différentes organisations et autant d’interfaces entre elles, qu’elles soient physiques ou numériques, ce qui qui induit autant de sur-coûts, de ralentissements, de ruptures, de complexité. Le manque de communication lié à l’insuffisance des informations fournies ou à l’utilisation d’un langage non standardisé sont autant d’éléments qui génèrent des dysfonctionnements et limitent la réactivité de la chaîne logistique face aux aléas de la demande [Fulconis et al., 2011]. En effet, la gestion de l’information actuellement à l’oeuvre en logistique [Rousseau et al., 2012] freine l’établissement d’une communication fluide au sein des organisations logistiques étendues. Il y a donc des gains à espérer de l’effacement de certaines de ces “frictions” [Verdier and Colin, 2015] inter-organisationnelles [Knoors, 2015] [Paganelli, 2009]. Pour ce faire, la logistique innove dans trois domaines : celui des pratiques logistiques, des technologies support et des Business Models
De nouvelles pratiques
Pour répondre à ces enjeux, de nouvelles formes de services logistiques et de nouvelles formes d’organisations sont expérimentées et déployées [Hauge et al., 2014]. Pour lever les verrous que nous venons de décrire, ces nouveaux modèles promeuvent les principes collaboratifs suivants : — Combiner les processus avec ceux des clients, coordonner les opérations au-delà des limites de l’entreprise, prester de bout-en-bout. — Grouper la demande de transport et d’entreposage, — Mettre en commun le savoir faire pour étendre l’offre de services, enrichir son offre de services vers plus de valeur ajoutée
Partager les ressources pour améliorer leur taux d’utilisation (réduction des retours à vide) et bénéficier d’économies d’échelle (réduction des coûts d’exploitation), — Re-configurer les chaînes logistiques, router dynamiquement les marchandises conteneurisées, — Opérer avec des entreprises spécialisées sur des aspects complémentaires du transport (traçabilité, sûreté, gestion des informations) pour offrir des services nouveaux. Comme l’illustre le tableau 2, les nouvelles pratiques y contribuant se subdivisent en quatre types [Hauge et al., 2014]; premièrement la co-modalité, par l’utilisation de différents modes et combinaisons de modes, en visant une utilisation optimale et durable des ressources ; deuxièmement celui de l’intra-logistique qui touche l’organisation, la réalisation et l’optimisation du flux physique interne et des technologies logistiques, au moyen de composants technologiques, de systèmes et services; troisièmement, la logistique urbaine qui se traduit par une multitude de livraisons à l’extrémité aval de la chaîne de distribution et quatrièmement, le e-Freight ou flux électronique d’information, associant le flux physique de marchandises à une traçabilité “sans papiers” véhiculée par des technologies d’information et de communication permettant la numérisation et la dématérialisation de ces documents, c’est à dire leur encodage sous la forme d’un flux de bits. Cela inclus la capacité à localiser et retracer le fret au cours de son transit par différents modes – ou traçabilité – et d’automatiser l’échange d’informations sur la marchandise, à des fins commerciales, opérationnelles ou réglementaires.
Limites des systèmes d’information
Un système d’information est un ensemble organisé de ressources : matériel, logiciel, personnel, données, procédures permettant d’acquérir, traiter, stocker, communiquer des informations (sous forme de données, textes, images, sons, etc.) dans des organisations ». [Kalika et al., 2011] En cela, le système d’information (SI) se distingue des technologies de l’information (IT), qui en sont le support matériel, et de l’informatique. Les principaux systèmes d’information aujourd’hui utilisés par les logisticiens – prestataires ou en logistique interne – sont massifs, dédiés, spécialisés, centralisés, au service d’un organisation focale, en un mot : industriels [PIPAME, 2009b]. [Fulconis et al., 2011] souligne le cloisonnement institutionnalisé qui empêche (. . . ) l’ensemble de la chaîne logistique d’être innervé par un flux d’informations remontant sans entrave de l’aval vers l’amont. Au sein de ces systèmes, les transferts d’informations s’opèrent en effet de proche-enproche, entre partenaires logistiques directs, de point à point. Ceci, d’un bout à l’autre de la chaîne, entrainant des pertes d’informations en ligne, au fil des re-codifications locales, peu étendues, des re-saisies d’informations, des délais de transmission, des pertes en ligne, de leur retranscription d’un format, et d’un support 1 à l’autre, et de la succession de standards d’un bout à l’autre de la chaîne logistique. De ce fait, les ruptures dans cette chaîne d’information sont inévitables, privant certains maillons de la bonne information, essentielle à la bonne exécution de leurs opérations : chaque acteur optimise son système d’information selon ses propres besoins, dans son propre langage, ou, dans le meilleur des cas, parvient à s’inter-connecter à ceux de son donneur d’ordres direct (voir la figure 3). “L’entreprise étendue” rassemble finalement une collection de systèmes d’informations peu connectés, dont l’hétérogénéité est proportionnelle au nombre d’acteurs et à la variété des fonctionnalités couvertes par des applications spécialisées et autonomes.Les systèmes d’information en place sont ainsi devenus un frein à la pleine expression du potentiel de nouveaux modèles logistiques, et de son besoin de gérer le flux physique de façon dynamique et économe, en conformité avec les nouveaux enjeux que nous venons d’exposer. Il en va ainsi des petits prestataires 2 , aux systèmes d’informations insuffisamment outillés, faute de pouvoir acquérir les logiciels spécifiques, compte tenu du coût d’acquisition d’une licence logicielle ou de location de capacités de traitement informatique de plus en plus importantes. Dans ces entreprises, Internet est d’un usage marginal ou superficiel, au regard du potentiel de communication qu’offre ce réseau, à moindre coût. L’usage des systèmes papier, fax, courriers, ou la simple communication orale demeure la norme. Le système documentaire de ces chaînes logistiques reste donc dépendant du support physique de l’information 3 , et suit des principes de codification et de transmissions locaux, et spécifiques à un contrat. Or ces flux d’informations sont reconnus comme un élément essentiel de la performance logistique [Fulconis et al., 2011]. Le déploiement de nouvelles pratiques logistiques requiert donc un système d’informations à la mesure des nouveaux enjeux (voir tableau 4). Les systèmes d’information logistiques actuels, n’apportent pas encore de soutien adéquat à l’impératif inter-organisationnel de la collaboration logistique. Il en constitue pourtant l’un des facteurs clefs, selon [Simonot, 2012]