Injection et détection de charges dans des nanostructures semiconductrices par Microscopie à Force Atomique

Asservissement de la sonde AFM sur une surface

Forces mises en jeu : Le Microscope à Force Atomique (« Atomic Force Microscope » en anglais, AFM) explore les forces de surface à l’échelle nanométrique grâce aux faibles dimensions de sa sonde de mesure. L’instrument est aussi bien capable de cartographier la surface que de caractériser les propriétés des matériaux qui la constituent : propriétés viscoélastiques, ferroélectriques, électrostatiques, magnétiques et chimiques, ouvrant ainsi un large champ à la caractérisation locale des surfaces.
Le principe de la mesure topographique à sonde locale repose sur l’asservissement de la sonde AFM dans le champ de force présent au voisinage de la surface. Selon le mode de mesure considéré, la boucle de rétrocontrôle agît de telle manière que la sonde AFM reste à force ou à gradient de force constant. Ces forces ont différentes portées et intensités, elles se classent en deux catégories : les forces attractives et les forces répulsives. Parmi les forces attractives, on dénombre la force de Van der Waals et de Casimir dûes à l’interaction de dipôles instantanés, la force de capillarité dûe au ménisque d’eau qui recouvre usuellement les surfaces à l’air (celles de l’échantillon et de la pointe), les forces électrostatiques dûes à la différence de travail de sortie dans le cas d’une sonde et d’une surface métalliques, ou encore à la présence d’électrons en excès. Les forces répulsives sont dûes à l’interpénétration des nuages électroniques et renvoient aux théories du contact élastique entre corps solides telles que celles de Hertz et de Derjaguin-Muller-Toporov .

Injection de charges par la sonde AFM

Pour toute la suite, la sonde AFM est asservie en mode dynamique oscillant. L’injection se produit grâce à la mise au contact de la pointe polarisée avec la surface, mais à aucun moment l’asservissement en amplitude n’est coupé. Le contrôle des étapes est rendu aisé grâce à un ensemble de sous-programmes du mode lithographie (ou « macros ») implementé par le constructeur de l’instrument et ressemblant fortement au langage C. La tension est appliquée à la pointe métallisée et la face arrière de l’échantillon est mise à la masse. Quelque soit la progression de la pointe dans l’enregistrement de l’image, le balayage (X, Y ) est arrêté lorsque l’utilisateur lance le programme d’injection et la pointe vient se placer au centre de l’aire de balayage. La commande suivante ordonne de réduire l’amplitude pratiquement à zéro (une amplitude nulle étant non définie, on la réduit à quelques pourcents de sa valeur de consigne). La boucle de rétrocontrôle étant toujours active, elle interprète l’ordre en rapprochant la pointe de la surface jusqu’à amortir l’oscillation à l’amplitude demandée. On considère alors que la pointe est en contact permanent avec la surface, un oscilloscope permet de s’assurer que l’amplitude mesurée à la photodiode est correctement amortie. L’excitation mécanique par le bimorphe n’est jamais arrêtée, par conséquent le cantilever dissipe toute son énergie en frappant la surface. Cette étape peut être très endommageante pour la pointe, d’où l’intérêt d’avoir un revêtement très dûr quel que le W2C. Une fois la nouvelle consigne d’amplitude atteinte, la pointe est polarisée entre – et +12 Volts pour un temps allant de 1 ms à plusieurs dizaines de secondes. Pour une tension négative appliquée entre la pointe et la surface, ce sont des électrons qui seront injectés, tandis que ce seront des trous dans le cas d’une tension positive. L’étape d’injection de charges terminée, l’amplitude est remise à sa valeur de consigne initiale et le balayage reprend là où il avait été interrompu.

Modélisation de l’interaction électrostatique

Nombreux sont les groupes de recherche qui se sont penchés sur l’évaluation quantitative des forces d’interaction électrostatiques entre une sonde AFM et une surface .Ainsi qu’il l’a déjà été évoqué, la détermination quantitative de charges impose une modélisation de l’interaction sonde-surface. Au vu des géométries de la sonde et de la surface, cette modélisation peut être laborieuse, nous allons donc tenter de faire des approximations et de les justifier. En premier lieu et afin d’avoir une symétrie de révolution, l’angle que fait le grand axe du cantilever avec le plan horizontal de la surface (soit une dizaine de degrés) est négligé. Ensuite, la surface est considérée dans un premier temps comme assez peu rugueuse, telle qu’elle puisse être approximée par un plan infini. De plus, la face arrière de l’échantillon est considérée comme métallique.
L’interaction sonde-surface, aux altitudes usuelles où est enregistrée la phase, ne peut se réduire à l’apex de la pointe seule. Il faut prendre en compte toute la pointe et modéliser sa forme pour établir une expression de la capacitance pointe-surface. Les géométries de la pointe testées vont de la plus simple à la plus fidèle de celle de la forme réelle : le plan, la sphère, le cône et le cône tronqué par une sphère. Il s’agit de déterminer la capacité de chacune de ces géométries, ou plus exactement de la dérivée seconde de la capacité car c’est elle qui est proportionnelle au gradient de force électrostatique qui est réellement mesuré.

Les courbes d’approche-retrait

Principe de la mesure : L’idée d’une courbe d’approche-retrait est d’observer le comportement de la sonde AFM sous l’influence croissante puis décroissante des (gradients de) forces de surface d’un échantillon, pour ensuite discerner les contributions des différentes forces en présence, selon leur dépendance avec la distance. M. Guggisberg et al. ont montré que les courbes d’approche-retrait pouvaient discerner entre forces électrostatiques, forces de van der Waals et interactions chimiques. La force électrostatique isolée, on peut alors remonter aux charges en excès qui la créent. Cela implique à nouveau une modélisation de l’interaction pointe-surface, mais comporte l’avantage que si la distance pointe-surface mesurée n’est dans un premier temps que relative, il est possible par la suite de déterminer la distance absolue.
Les courbes d’approche-retrait peuvent s’effectuer aussi bien en mode statique où la déflection est proportionnelle aux forces de surface, qu’en mode dynamique où l’amplitude d’oscillation est proportionnelle aux gradients de force. Ainsi que nous l’avons évoqué, la sensibilité est grandement accrue en mode dynamique oscillant, ce sont donc les courbes d’approche-retrait pour lesquelles le cantilever est excité mécaniquement proche de sa résonance que nous considérons par la suite. L’amplitude d’oscillation est un premier indicateur du comportement de l’oscillateur, elle indique où est la surface (amplitude nulle) et sert ensuite à étalonner la valeur de l’amplitude libre d’oscillation. Pour ce faire, on considère que la variation d’amplitude est égale à la variation de distance, du moins dans le cadre d’un contact infiniment dur pour lequel la surface ne se déforme pas. Connaissant origine et pente, la valeur de l’amplitude est connue en tous points de la courbe d’approche-retrait. Le deuxième indicateur est comme pour le signal EFM la phase d’oscillation, car c’est toujours la grandeur la plus sensible aux forces électrostatiques. Nous verrons aussi que c’est la grandeur cruciale pour distinguer l’interaction à dominante attractive de l’interaction à dominante répulsive.

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Couplages non-linéaires avec les harmoniques supérieures

Le traitement analytique qui est appliqué par la suite fait une hypothèse très forte sur le comportement de la sonde AFM dans le potentiel non-linéaire auquel elle est soumise : malgré la forte non-linéarité, l’oscillateur conserve pratiquement toute son énergie dans son mode oscillant fondamental. Il s’agit ici de justifier cette affirmation par les observations faites dans la littérature scientifique et confirmées par nos propres mesures. Il s’agit du spectre du levier excité par bruit thermique uniquement, il est obtenu en enregistrant pendant quelques secondes les oscillations du cantilever à l’aide de la ligne d’acquisition rapide à une cadence de 5 MHz, puis en effectuant une transformée de Fourier de ce signal. Le bruit thermique est considéré comme un bruit blanc, c’est-à-dire fournissant la même énergie à toutes les fréquences. L’oscillateur que constitue le cantilever amplifie alors quelques fréquences bien déterminées : c’est sa fonction de transfert. En effet, le cantilever n’amplifie pas seulement son mode fondamental, la mécanique de la poutre simplement encastrée montre qu’il existe plusieurs modes correspondant à des géométries de flexion comportant de plus en plus de nœuds et de ventres.

Table des matières

Introduction 
Chapitre 1 La Microscopie à Force Electrostatique 
1.1 Principe de fonctionnement 
1.1.1 Asservissement de la sonde AFM sur une surface
Forces mises en jeu
Sonde AFM et détection
1.1.2 Pointes, raideurs et résolutions
1.1.3 Modes de mesure
Mode contact
Mode dynamique
1.1.4 Sensibilité en mode dynamique
Point de fonctionnement
Gradient de force détectable et mouvement brownien
1.2 Le mode EFM
1.2.1 Historique
1.2.2 Injection de charges par la sonde AFM
1.2.3 Détection des charges injectées par un micro-oscillateur excité
Excitation mécanique
Excitation électrostatique
1.2.4 Modélisation de l’interaction électrostatique
Evidence numérique d’une interaction répulsive
1.2.5 Résolution et charge minimale détectable
1.2.6 Distance constante ou altitude constante ?
Chapitre 2 Couplage électrostatique de l’AFM en mode dynamique 
2.1 Mesure quantitative de la charge 
2.1.1 Historique et état de l’art
2.1.2 Mesure par imagerie : estimation de la charge surfacique
Estimation sans polarisation de la pointe
Estimation avec variation de la polarisation de la pointe
2.1.3 Limitations du mode EFM
2.2 Les courbes d’approche-retrait 
2.2.1 Principe de la mesure
2.3 Couplages non-linéaires avec les harmoniques supérieures 
2.4 Traitement analytique 
2.4.1 Approche semi-linéaire
Traitement perturbatif
Traitement non perturbatif
2.4.2 Rajout du terme électrostatique
Effet sur la branche Non-Contact
Effet sur la branche de Contact Intermittent
2.4.3 Application aux nanotubes de carbone
Chapitre 3 Nanostructures semiconductrices 
3.1 Du semiconducteur massif à la boîte quantique
3.1.1 Types de semiconducteurs
Dégénérescence d’un semiconducteur
Longueurs caractéristiques
3.1.2 Confinement dans les semiconducteurs
Effet tunnel
Jonctions tunnel
Blocage de Coulomb dans les nanostructures 0-dimensionnelles
3.2 Interêt : application à la microélectronique 
3.2.1 Les mémoires non-volatiles
3.2.2 Les mémoires non-volatiles à nanocristaux
3.2.3 L’interêt de l’AFM
3.3 Plots de silicium fabriqués par lithographie par faisceau d’électrons 
3.3.1 Elaboration
3.3.2 Caractérisation par AFM
3.4 Plots de germanium fabriqués dans un bâti d’épitaxie
3.4.1 Notions d’épitaxie par jets moléculaires
3.4.2 Elaboration des échantillons
3.4.3 Caractérisation par AFM
3.5 Nanocristaux de Si enfouis dans du SiO2 
3.5.1 Elaboration
3.5.2 Caractérisation par AFM
3.5.3 Caractérisations par techniques optiques et par imagerie TEM
3.5.4 Caractérisation électrique dans une grille flottante
Chapitre 4 Expériences de dépôt de charges par la pointe 
4.1 L’échantillon de référence : le dioxyde de silicium 
4.1.1 Bref historique du chargement des diélectriques
4.1.2 Types de dioxydes de silicium
4.1.3 Calcul du courant d’injection par émission de champ
4.1.4 Dépendance temporelle et spatiale de la rétention des charges
4.2 Nanostructures de silicium lithographiées 
4.2.1 Influence de l’épaisseur d’oxyde
4.2.2 Propagation iso-potentielle de la charge
4.3 Plots de germanium déposés sur oxyde de silicium
4.3.1 Chargement de plots isolés
4.3.2 Chargement d’une ligne de plots
4.4 Nanocristaux de silicium enfouis dans du SiO2 
4.4.1 Comportements au chargement
Echantillon E1 : comportement métallique
Echantillon E2 : comportement partiellement confinant
Echantillon E3 : comportement fortement confinant
4.4.2 Nombre de charges par nanocristal
4.4.3 Régime de confinement fort : étude de la saturation
Reproductibilité de l’injection de charges
Injection sur temps croissant
Mécanismes de saturation du nuage de charges
Evaluation du champ électrique radial en bord de nuage
4.4.4 Régime intermédiaire : étude de l’étalement de la charge
Evidence expérimentale de l’étalement des charges
Rugosification cinétique
Mécanismes d’étalement des charges
Conclusion 
Annexe A Caractéristiques des cantilevers utilisés 
A.1 Série NSC36
A.2 Série CSC37
Annexe B Programme d’injection des charges 
Annexe C Force répulsive entre la sonde AFM et une charge ponctuelle 
Annexe D Caractéristiques des échantillons de nanocristaux de silicium du LETI

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