Ingénierie de la mission les dispositifs gestionnaires et juridiques pour l’entreprise à mission
attribuées à l’entreprise, qu’elles soient orientées vers le profit ou vers les intérêts d’une variété de parties prenantes, y sont remplacées par une mission potentiellement expansive pour le collectif, désignant des potentiels encore à concevoir, voire des acteurs indéterminés. Dans une telle situation, les règles classiques de partage de la valeur, ou d’équilibre des intérêts, se compliquent singulièrement : les potentiels expansifs créés par l’action collective ne sont pas toujours commensurables, les risques d’impacts négatifs peuvent mettre à mal l’engagement des parties, et le contrôle de la performance dépend de critères sans cesse renouvelés. Pour répondre à ces difficultés, l’entreprise à mission doit concevoir des dispositifs permettant de gérer simultanément les deux dimensions de la mission : direction d’expansion et solidarité, afin de protéger l’engagement des parties qui composent le collectif sans remettre en cause la variété des stratégies expansives explorées. Nous explorons dans ce chapitre les dispositifs de gouvernance d’un ensemble de cas contrastés d’entreprises à mission qui répondent à ces enjeux. Le modèle développé en partie II propose un certain nombre de propriétés distinctives des « entreprises à mission », en particulier la formalisation de finalités sous forme d’engagements qui impactent directement la gouvernance de l’entreprise – par opposition à des instruments de communication. Cette modélisation permet d’identifier, au-delà des cas empiriques et des formes juridiques californiennes étudiées, une classe d’organisations qui présentent ces propriétés et font face à des enjeux de gouvernance similaires. Nous présentons d’abord les six cas d’entreprises à mission que nous avons isolé pour notre étude (1.1.).
VARIETE ET ORIGINALITE DES DISPOSITIFS DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES A MISSION
La modélisation de la mission réalisée dans la partie II avait pour premier objectif de formaliser une hypothèse interprétative de l’anomalie constituée par la Flexible Purpose Corporation par rapport aux cadres théoriques disponibles. D’un point de vue méthodologique, une telle formalisation, basée sur un nombre d’observations limitées, n’est qu’une première étape de la recherche (étape « abductive »). L’intérêt de l’hypothèse retenue se mesure ensuite à sa puissance d’interprétation de nombreuses autres observations empiriques, qui peuvent à leur tour enrichir la compréhension du phénomène modélisé. Dans ce chapitre, nous exhibons une variété de cas empiriques d’entreprises à mission qui correspondent à notre modèle. Sans prétendre constituer un échantillon représentatif de la population des entreprises à mission, ces cas démontrent que notre modélisation, grâce à la formalisation des propriétés distinctives de ces structures, permet de révéler une véritable classe d’organisations faisant face à des enjeux de gouvernance similaires. L’étude de ces cas nous permettra d’enrichir notre modélisation des formes de gouvernance adaptées à cette classe d’organisations, au-delà des contingences dont nous ferons état. Dans la première partie de ce chapitre, nous présentons les six cas contrastés d’entreprises à mission que nous avons retenu pour cette analyse.
Nous complétons ensuite les cas historiques avec des cas plus récents d’entreprises ayant choisi les formes juridiques introduites en Californie : l’une sous forme de FPC que nous avons déjà présentée au chapitre 3, Keplers’ 2020, et l’autre sous forme de Benefit Corporation, Give Something Back. Ces deux cas nous permettront d’étudier des formes plus récentes de gouvernance et d’engagement envers une mission, et en particulier celles que permettent ces nouveaux statuts juridiques. Outre ces deux cas, nous avons également mené une étude statistique sur l’ensemble des FPC incorporées de puis 2012, afin de mesurer la variété des missions poursuivies par ces formes sur les deux dimensions du modèle. déjà été amplement analysés sous des angles complémentaires, en particulier pour faire sens de leur gouvernance originale, mais jamais en relation avec leur mission particulière. La fondation Carl Zeiss d’une part, créée en 1896 et seul actionnaire des ateliers d’optique Zeiss – aujourd’hui leader mondiaux en optoélectronique, est régie par une constitution et une mission de développement scientifique depuis sa création. John Lewis Partnership d’autre part, la société mère fondée en 1929 d’une chaîne de « grands magasins » cinquantenaire en Angleterre, poursuit la mission de promouvoir le « bonheur de ses salariés ». Ces deux cas illustrent un fonctionnement performant et résilient d’entreprise à mission, puisqu’ils affichent un succès social et économique après plus de 110 et 80 exercices respectivement passés à respecter des missions engageantes. Le premier cas historique que nous avons étudié est le cas de l’entreprise Carl Zeiss, qui offre une triple singularité le rendant particulièrement pertinent pour notre étude. Premièrement, il s’agit d’une entreprise ayant une longue histoire très documentée et globalement couronnée d’un succès social et économique indéniable. Deuxièmement, celle-ci s’est définie une mission explicite et partagée très tôt dans son histoire. Enfin, cette mission est de plus fortement orientée vers des objectifs expansifs.