Qui sont les femmes incarcérées à la prison de Lantin ? Il semble que le système pénitentiaire ne les connaisse pas toujours bien, au-delà des infractions qu’elles ont commises. En effet, seules celles qui sont admissibles à une mesure d’aménagement de leur peine telle qu’une libération conditionnelle, des congés pénitentiaires etc., sont entendues par des psychologues et des assistants sociaux afin de réaliser un rapport psychosocial, rapport d’expertise pluridisciplinaire reprenant tous les éléments importants afin de mieux comprendre l’individu et son passage à l’acte (Thiry, 2016). Les détenues qui ne satisfont pas aux conditions pour bénéficier d’une telle mesure sont donc relativement méconnues. Dans le cadre de ce travail, nous avons tâché d’améliorer quelque peu la connaissance de ces femmes. Notre objectif est de découvrir quelles sont les caractéristiques que présentent les femmes condamnées définitivement détenues à la prison de Lantin et de tenter d’en déduire des profils.
Diverses études se sont intéressées aux caractéristiques associées aux personnes détenues selon des angles différents, tantôt plutôt psycho-criminologique, tantôt plutôt psychiatrique, situationnel ou encore sociologique. Nombre de ces études s’intéressent plutôt aux hommes. En effet, il apparaît que la criminalité des femmes est moins étudiée que celle des hommes, en particulier lorsqu’il s’agit de crimes violents (Graves, 2007 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007). La criminalité féminine n’est pourtant pas un phénomène nouveau. En 1895 déjà, Lombroso s’intéressait à ce sujet dans son ouvrage « La femme criminelle et la prostituée » (Delisle, 2016).
Nous ne présenterons ici que les caractéristiques qui sont le plus souvent associées aux femmes criminelles selon différentes études réalisées dans divers pays. En premier lieu, le faible statut socioéconomique et la pauvreté de ces femmes apparaissent très souvent dans la littérature (Bloom et Covington, 1998 ; Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Oliveira, Costa, Medeiros et Cavalcanti, 2013). Peu d’entre elles occupaient un emploi légal au moment des faits (Bloom et Covington, 1998 ; Farr, 2000 ; Weizmann-Henelius, Viemerö et Eronen, 2004). Elles présentent généralement un faible niveau d’instruction et ont arrêté de fréquenter l’école jeunes (Bloom et Covington, 1998 ; Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Oliveira, Costa, Medeiros et Cavalcanti, 2013 ; Trébuchon et Léveillée, 2017). En outre, la majorité d’entre elles semblent avoir des enfants (Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Oliveira, Costa, Medeiros et Cavalcanti, 2013 ; Trébuchon et Léveillée, 2017).
Les femmes criminelles consommaient également souvent des drogues et de l’alcool avant leur incarcération, étant parfois sous leur influence au moment des faits (Bloom et Covington, 1998 ; Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Trébuchon et Léveillée, 2017 ; Weizmann-Henelius, Putkonen, Naukkarinen et Eronen, 2009). Il ressort également de nombreuses études que les femmes criminelles présentent des antécédents de trauma et de victimisation (coups et blessures, abus sexuels…) tant durant l’enfance qu’à l’âge adulte (Anumba, Dematteo et Heilbrun, 2012 ; Bloom et Covington, 1998 ; Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Trébuchon et Léveillée, 2017 ; Wolff, Shi et Siegel, 2009). Par ailleurs, nombre de femmes criminelles présentent divers types de problèmes psychopathologiques (troubles de la personnalité, impulsivité, dépression, anxiété… – Delisle, 2016 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Weizmann-Henelius, Viemerö et Eronen, 2004).
En ce qui concerne leurs historiques judiciaires, certains auteurs (américains) affirment que ces femmes présentent un grand nombre d’arrestations (Bloom et Covington, 1998 ; Escobar et Olson, 2012) tandis que, selon d’autres auteurs, il s’agit majoritairement de primo-délinquantes (Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Oliveira, Costa, Medeiros et Cavalcanti, 2013). Les femmes semblent commettre nettement moins de crimes violents que les hommes. Il apparaît en outre que, lorsqu’elles en commettent, c’est souvent contre leur partenaire (Escobar et Olson, 2012 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Wilbanks, 1983). Enfin, quand les femmes se rendent coupables d’homicides, il apparaît que la grande majorité d’entre elles connaissent leurs victimes et qu’elles font partie de leur entourage (DeLisi, 2001 ; Farr, 2000 ; Harrati, Vavassori et Villerbu, 2007 ; Oliveira, Costa, Medeiros et Cavalcanti, 2013).
Il semble en revanche que peu d’auteurs aient tenté de déterminer des profils de femmes criminelles. Lorsque c’est le cas, il s’agit plutôt de classifications à l’intérieur d’un type de faits. Toutefois, Weizmann-Henelius, Putkonen, Naukkarinen et Eronen (2009) se sont intéressés à un profil relativement large qui est celui des femmes ayant commis des infractions violentes. Ils les ont classées en deux types : celles qui étaient sous l’influence de l’alcool ou de drogues au moment des faits et celles qui ne l’étaient pas. Selon eux, les premières présentent des caractéristiques différentes des secondes, à savoir qu’il s’agit plutôt de femmes marginalisées qui souffrent de troubles de la personnalité, qui consomment et sont dépendantes de drogues et de l’alcool, qui présentent un faible niveau d’instruction, qui sont sans emploi et dont les enfants leur ont été retirés. Il semble en outre qu’elles proviennent de familles dont les parents avaient également des problèmes d’alcool. En ce qui concerne les femmes qui n’étaient pas sous influence lors des faits, il apparaît que les victimes sont plus souvent des personnes proches d’elles émotionnellement.
De manière plus spécifique, Miller (1986) s’est intéressé aux « femmes des rues », qui commettent divers types d’infractions contre les propriétés ou des infractions sans victime (usage de drogues, prostitution), et à la manière dont elles en arrivaient à commettre ces faits. Il a identifié trois types de « routes » qui les y mènent : l’engagement dans des réseaux criminels familiaux, les fugues et l’usage de drogues (Farr, 2000). Daly (1992) a quant à lui identifié quatre profils de femmes criminelles : les femmes avec un historique de victimisation (violence, usage de drogues, problèmes psychologiques…), les femmes battues par leurs partenaires, les « femmes de rue » et les femmes liées au milieu de la drogue (Farr, 2000).
On voit toutefois qu’il ne s’agit que d’une petite portion des infractions commises par les femmes. Ces auteurs n’étendent pas leurs classifications aux crimes violents tels que les homicides, les crimes sexuels, la participation à des associations de malfaiteurs etc. Trébuchon et Léveillée, dans une étude de 2017, ont séparé les femmes auteurs de crimes violents en deux groupes : celles dont les victimes faisaient partie de la cellule familiale et celles dont les victimes étaient soit des connaissances, soit des inconnus. Elles ont pu mettre au jour le fait que les femmes du second groupe présentaient plus de troubles psychopathologiques (troubles de la personnalité et impulsivité).
Il existe en outre un certain nombre d’études concernant les femmes auteurs d’abus sexuels et de viols. Dans une étude de 2008, Turner, Miller et Henderson ont tenté d’établir des profils de femmes condamnées pour des abus sexuels. Ils ont mis au jour trois « classes » de femmes : celles qui ne présentaient pas de problèmes psychopathologiques importants mais qui avaient des scores élevés au niveau de l’abus de substances, celles qui présentaient des niveaux de risque plus importants sur diverses échelles cliniques, particulièrement en ce qui concerne le trouble de la personnalité bordeline et celles qui présentaient de sévères troubles psychopathologiques.
En 2010, Wijkman, Bijleveld et Hendriks ont quant à eux établi quatre « prototypes » de femmes auteurs de crimes sexuels : les jeunes auteurs et les violeuses, qui sont plutôt jeunes et dont les victimes ne font pas partie de la famille, puis les co-auteurs présentant des troubles psychologiques et les mères passives, qui sont le plus souvent des mères qui abusent de leurs enfants.
Il existe également un certain nombre d’études concernant les délinquantes mineures, mais nous ne les passeront pas en revue étant donné que nous nous intéressons uniquement, dans ce travail, aux femmes majeures.
Il semble, d’après notre revue de la littérature, que peu d’auteurs aient tenté de développer des profils de femmes criminelles, en particulier des profils comprenant divers types de crimes. Les typologies réalisées ne concernent que des types de faits bien particuliers.
I. INTRODUCTION |