Information des patients dans le cadre de l’urgence chirurgicale

Obstacles à l’information

La qualité de l’information du patient ne repose pas uniquement sur la délivrance de cette information. Elle dépend aussi de sa compréhension et de sa rétention par le patient, qui sont généralement faibles . Kessels évoque plusieurs raisons pour expliquer la faible mémorisation des informations médicales par les patients . Parmi celles-ci, l’anxiété occupe une place importante. Si un élément est perçu comme particulièrement stressant, l’attention du patient est focalisée sur cet élément central, délaissant les éléments périphériques. Il s’agit du phénomène de concentration de l’attention (« attentional narrowing ») . Ainsi, lors de l’annonce d’une maladie ou d’un traumatisme grave, les informations sur le pronostic prendront le pas sur celles liées au traitement ou au suivi médical, qui ne seront pas retenues. Autre notion importante : la rétention de l’information est plus forte si l’état physique ou mental est le même aux moments de l’encodage et de la restitution de cette information (« state-dependant memory »). Ainsi, lorsque la douleur et l’angoisse ont disparu, il est difficile pour un patient de se rappeler ce qui lui a été dit lorsqu’il avait mal ou lorsqu’il était inquiet. Enfin, plus le nombre de messages est grand, et moins ils sont retenus .
L’information des patients est encore plus fragile en urgence . D’Souza et al. ont mené une méta-analyse afin de comparer l’efficacité de l’information des patients en chirurgie programmée et en chirurgie urgente. Cette vaste étude montre une mémorisation significativement plus faible des complications potentielles en urgence. Les raisons de ce défaut d’information sont multiples. Elles peuvent être liées à une faille dans l’organisation chirurgicale, et à la situation du patient : stress, douleur, fatigue ou effets secondaires des antalgiques. De même, les patients sont moins satisfaits de leur prise en charge en urgence, et lisent moins les formulaires de consentement éclairé qu’ils ont pourtant signés.

Particularités de la main traumatisée

Aristote considérait la main humaine comme « un instrument qui remplace tous les instruments » . Aujourd’hui encore, la plupart des activités professionnelles et de loisir requièrent des mains fonctionnelles. L’altération de leurs capacités entraîne nécessairement un handicap quotidien plus ou moins important selon les lésions et les patients. De plus, les mains sont souvent découvertes, et leur utilisation dans les gestes de la vie courante les rend particulièrement visibles. Toute cicatrice ou mutilation de la main peut donc engendrer des répercussions sociales importantes. Pour toutes ces raisons, la traumatologie de la main possède une façade psychologique indéniable. Les accidents de la main sont soudains, et peuvent causer, en une fraction de seconde, des handicaps irréversibles. Les conséquences de ces préjudices physiques perturbent grandement la vie privée et professionnelle des victimes, parfois obligées de réorganiser toute leur existence. Le retentissement financier de ces accidents et le stress psychologique lié à la survenue d’un événement imprévu aggravent une situation déjà complexe, et mènent parfois à une désocialisation totale. Peuvent s’ajouter à cette évolution peu envieuse certains désordres psychiatriques en lien avec le traumatisme initial, comme le syndrome de stress post-traumatique, affection fréquente après des accidents de travail parfois spectaculaires. La communication, la réassurance et l’information exhaustive des patients traumatisés de la main pourraient donc avoir un impact positif sur leur devenir.

Implication des chirurgiens

Relation médecin-patient : Près d’un tiers des patients n’a pas été revu par un médecin entre l’intervention et la sortie de l’hôpital. Plus étonnant encore, presque quatre patients sur cinq ne connaissaient pas le nom du chirurgien qui les avait opérés. Cela signifie soit que le chirurgien ne s’est pas présenté, soit que le patient n’a pas retenu son nom ; traduisant dans tous les cas un défaut (ou une absence) de communication entre le chirurgien et le patient.
Pourtant, les patients estimaient avoir été très bien informés et soignés, avec des scores de satisfaction élevés dans les deux domaines. Cette satisfaction semblait plus grande lorsque les patients connaissaient le nom de leur chirurgien, surtout à l’égard de l’information reçue ; mais là encore, la puissance de notre étude ne permet pas d’obtenir un résultat significatif.
Lisibilité et formation des chirurgiens : Ces résultats soulèvent un manque de lisibilité évident de la part de l’équipe chirurgicale. Il existe plusieurs axes d’amélioration simples à mettre en place. Le port systématique d’un badge, y compris au bloc opératoire, pourrait grandement améliorer la lisibilité de l’identité de chaque membre de l’équipe chirurgicale auprès des patients. Il a d’ailleurs été mis en place depuis. La mise à jour des modèles informatiques de nos documents de sortie afin de pouvoir y faire figurer le nom de n’importe quel chirurgien sénior permettrait également aux patients de savoir qui les a opérés.
La formation des chirurgiens sur le processus d’information doit être enrichie. Il existe de nombreuses études sur la mémorisation des informations, et certains concepts socio-psychologiques devraient être connus des soignants : simplification des mots, accourcissement des phrases, choix de l’ordre des informations, répétition des éléments importants, « teach-back strategy » . Cette dernière méthode consiste à faire répéter au patient ce qu’il a compris après lui avoir fourni les explications nécessaires, afin de pouvoir corriger ou compléter l’information. En 2015, Griffey et al. ont mené une étude randomisée prospective au cours de laquelle ils ont comparé cette stratégie à un processus d’information plus classique, dans le service des urgences d’un hôpital américain . Les résultats de leur travail sont encourageants, notamment en ce qui concerne la compréhension des consignes de sortie (médicaments prescrits, consultations de suivi…). Plus récemment, Mahajan et al. ont mené une étude équivalente au Pays-Bas . Non seulement les patients du groupe « teach-back » ont mieux compris les explications qui leur avaient été fournies, mais les consultations étaient en outre plus courtes que dans le groupe d’information traditionnelle. Il s’agit donc d’un moyen d’information fiable et rapide, tout à fait adapté à un centre SOS main, et ayant également fait ses preuves en dehors du cadre de l’urgence .

Parcours de soin

Circuit de l’urgence : Le taux non négligeable de patients non revus après leur intervention, et leur méconnaissance flagrante de l’identité du médecin qui les a pris en charge montrent que le parcours de soin des patients n’est pas optimal. Le moment et l’endroit de la délivrance de l’information sont aussi importants que son contenu. La Haute Autorité de Santé (HAS) considère d’ailleurs que cette délivrance «requiert du tact, du temps et de la disponibilité, ainsi qu’un environnement adapté». Or, l’organisation de l’urgence chirurgicale dans notre centre SOS main ne prévoit pas d’endroit ni de temps sanctuarisés pour le processus du consentement éclairé, notamment à cause de la pluralité des lieux d’action (service des urgences, bloc opératoire, service d’hospitalisation ambulatoire, service d’hospitalisation conventionnelle). L’absence de synthèse claire du traumatisme, de l’intervention et de ses suites achève une information limitée. Néanmoins, il nous semble important de nuancer ces propos à la lumière de l’ambiance qui peut régner dans un service d’urgences. Le bruit, l’attente et la fatigue peuvent altérer la compréhension des patients, ainsi que la précipitation parfois liée au circuit de la permanence des soins. Un trop grand nombre de messages délivrés dans un temps restreint peut également expliquer la faible rétention d’informations par les patients . De même, la multiplicité des intervenants dépersonnalise la prise en charge, et participe à la confusion des patients.
Réorganisation du parcours de soin : Le parcours de soin des patients opérés en urgence devrait permettre un temps dédié à leur information, dans un endroit calme et individuel. Cet environnement apaisé au moment de l’encodage de l’information permettrait d’améliorer la rétention d’informations par le patient, notamment grâce au principe de «state-dependant memory». L’entretien devrait avoir lieu deux fois: avant l’intervention (présentation du chirurgien, principes de l’intervention, bénéfices et risques chirurgicaux) et après l’intervention (exposé des lésions, explication des soins postopératoires, consignes de consultation en urgence). Ce temps devrait être suffisamment long pour être exhaustif et permettre de répondre aux questions des patients.
En préopératoire, la principale difficulté réside dans l’environnement tumultueux du service des urgences. L’information devrait être donnée dans un box fermé, sans autre intervenant que le chirurgien, auprès d’un patient rassuré et analgésié. Cette atmosphère apaisée, sans stimulus parasite, devrait permettre une meilleure rétention de l’information par le patient.
Cela semble plus simple pour l’information postopératoire. L’antalgie est optimale, car la plupart de nos patients sont encore sous l’effet de l’anesthésie locorégionale (ALR). Ils se trouvent dans une chambre, plus calme que le service des urgences, et l’appréhension de l’intervention est passée. Un entretien clair et concis lors de la remise des documents postopératoires, l’application de la stratégie du « teach-back » et les réponses aux questions des patients devraient compléter une information de qualité.

Table des matières

1 Introduction 
1.1 Épidémiologie 
1.2 Organisation de notre centre SOS main 
1.3 Consentement éclairé 
1.3.1 Histoire française du consentement
1.3.2 Consentement en Europe
1.3.3 Consentement aux États-Unis
1.3.4 Obligation éthique
1.4 Obstacles à l’information 
1.5 Particularités de la main traumatisée 
1.6 Intérêt et objectifs de l’étude 
2 Matériel et méthodes 
2.1 Type et population de l’étude 
2.2 Méthodes d’observation et d’évaluation 
2.3 Objectif principal et critères de jugement 
2.4 Analyses statistiques 
2.5 Considérations éthiques 
3 Résultats 
3.1 Population de l’étude 
3.2 Lésions et traitements 
3.3 Critère de jugement principal 
3.4 Critères de jugement secondaires 
4 Discussion 
4.1 Moyen d’information 
4.1.1 Compréhension de l’information
4.1.2 Amélioration du moyen d’information
4.2 Implication des chirurgiens 
4.2.1 Relation médecin-patient
4.2.2 Lisibilité et formation des chirurgiens
4.3 Parcours de soin 
4.3.1 Circuit de l’urgence
4.3.2 Réorganisation du parcours de soin
4.4 Limites de l’étude 
4.5 Perspectives 
5 Conclusion 
Références 
Annexes 

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