Influence respective des affordances MSV sur Vmax et MSA sur Amax sur la prise de décision
Introduction
Dans cette expérience, nous questionnerons la sensibilité du conducteur à des propriétés cinématiques telles que la vitesse et l’accélération maximale du véhicule conduit. Notre étude précédente (Morice et al., 2015) a démontré que les conducteurs réalisaient leur dépassement en fonction du ratio entre une propriété du système agent-environnement (i.e., la Vitesse Minimale Satisfaisante pour réussir le dépassement, MSV) et une propriété de l’agent (i.e., Vitesse maximale du véhicule conduit, Vmax). L’affordance de dépassement MSV/Vmax a ainsi été formalisée à partir de propriétés définies dans une unité de vitesse (m/s). Toutefois, dans la vie réelle les véhicules ne sont pas seulement bornés par une vitesse maximale mais également par une accélération maximale qui contraint la performance des conducteurs. Une telle limite d’action est, par exemple, essentielle dans la perception des possibilités de traverser une intersection en toute sécurité (Marti et al., 2015). Les possibilités de dépasser seraient contraintes à la fois par une vitesse maximale et une accélération maximale. Les conducteurs pourraient alors améliorer leur perception des possibilités de dépasser en s’appuyant non seulement sur la vitesse maximale mais également sur leur accélération maximale. En ce sens, nous postulons que la définition de l’affordance de dépassement peut être étendue au ratio entre l’accélération minimale satisfaisante pour réussir le dépassement (MSA) et l’accélération maximale du véhicule conduit (Amax). Cette nouvelle formalisation devrait ainsi enrichir la précédente en renseignant plus précisément les conducteurs sur leurs possibilités de dépasser.
Méthode
Afin de tester l’hypothèse selon laquelle les conducteurs percevraient préférentiellement une affordance de dépassement automobile formalisée à partir de propriétés d’intérêts définies dans une unité d’accélération, nous avons constitué deux groupes de dix conducteurs chacun. Le premier groupe possède une accélération maximale faible (Amax = 2 m/s²) et le second groupe dispose, quant à lui, d’une accélération maximale élevée (Amax = 3.5 m/s²). Dans chacune des Influence respective des affordances MSV sur Vmax et MSA sur Amax sur la prise de décision des conditions expérimentales soumises aux conducteurs, la difficulté du dépassement est dépendante à la fois des cinq valeurs de MSV calculées à partir de la vitesse maximale des participants (Vmax = 35 m/s) et des quatre valeurs de MSA calculées à partir des accélérations maximales des participants. De plus, dans chaque essai, les conducteurs possédaient une vitesse initiale inférieure à la MSV initiale afin de permettre l’utilisation éventuelle de la MSA. De ce fait, pour chaque condition de MSV et de MSA, les participants du groupe avec une accélération maximale élevée (Amax = 3.5 m/s²) devraient dépasser davantage que les participants du groupe avec une accélération maximale faible (Amax = 2 m/s). Par ailleurs, la manipulation des difficultés de dépassements liées à la MSV devrait avoir moins d’incidence sur le comportement de dépassement que la manipulation des difficultés de dépassement liées à la MSA.
Résultats
À l’aide d’une régression factorielle des courbes individuelles des fréquences de dépassement, nous avons mis en évidence une variation des fréquences de dépassement selon les capacités d’accélération maximales des véhicules conduits. Cette différence comportementale entre les groupes se produit lorsque les courbes psychométriques sont exprimées dans une échelle de mesure extrinsèque (i.e., en fonction de MSV et de MSA). En d’autres termes, le groupe de conducteurs avec une accélération maximale élevée (Amax = 3.5 m/s²) double plus fréquemment que le groupe de conducteurs possédant une accélération maximale faible (Amax = 2 m/s²). À l’inverse, lorsque les fréquences de dépassement sont exprimées dans une échelle de mesure intrinsèque (i.e., en fonction des ratios MSV/Vmax et MSA/Amax), les analyses statistiques effectuées sur les coefficients de la régression factorielle ne permettent plus de conclure à l’existence de différences significatives entre les groupes de conducteurs. Par ailleurs, une régression linéaire multiple est effectuée sur les moyennes individuelles des fréquences de dépassement en combinant MSA/Amax avec plusieurs prédicteurs possibles : MSV/Vmax, Vs, (MSV-Vs)/Ts et Ts, défini comme le temps pour atteindre la MSV. Nous avons ainsi pu quantifier le poids de chaque couple de prédicteurs dans le modèle de dépassement automobile à l’aide des R² ajustés. Conformément à notre hypothèse, l’affordance MSA/Amax est préférentiellement perçue par les conducteurs quels que soient les prédicteurs associés : en moyenne, 76.4% des fréquences de dépassement sont expliquées par la nouvelle affordance de dépassement MSA/Amax. Toutefois, de façon inattendue, le couple MSA/Amax et Ts explique significativement le comportement de dépassement, à l’instar du couple MSA/Amax et MSV/Vmax. Discussion Conformément à la théorie des affordances (J. J. Gibson, 1986) et à l’affordance-based control (Fajen, 2007a), les résultats comportementaux obtenus mettent en évidence la capacité des conducteurs automobiles à agir dans leur dépassement en considérant à la fois les capacités de vitesse maximales (i.e., Vmax) et d’accélération maximales (i.e., Amax) de leur véhicule. Toutefois, les résultats de la régression linéaire multiple mettent en évidence une utilisation préférentielle de l’affordance de dépassement (i.e., MSA/Amax), quels que soient les groupes de conducteurs. Cette utilisation préférentielle pourrait s’expliquer par un principe de sécurité (de Rugy, Montagne, Buekers, & Laurent, 2001) puisque la priorité est accordée à l’affordance MSA/Amax qui renseigne à la fois plus précisément et plus précocement le conducteur sur la faisabilité du dépassement. Dans l’intérêt du conducteur, il serait donc préférable de percevoir cette dernière. Par ailleurs, la sensibilité inattendue des conducteurs à la propriété Ts, traduite par son poids dans la régression du comportement de dépassement, pourrait s’expliquer par sa capacité à informer le conducteur des contraintes temporelles du dépassement et de ce fait de la possibilité d’accéder ou non à la MSA lorsque les contraintes temporelles sont sévères. En d’autres termes, la propriété temporelle Ts renseignerait le conducteur sur la marge de sécurité dont il dispose pour rejoindre MSA dans des conditions où le degré de liberté du conducteur est très faible, c’est-à-dire où MSA est très proche des limites d’action. Cette nouvelle propriété permettrait donc au conducteur de choisir un mode d’action pertinent. Lors de cette expérimentation, nous avons ainsi pu formaliser une nouvelle affordance de dépassement et confirmer la validité de la théorie des affordances (J. J. Gibson) ainsi que sa formalisation mathématique (Warren, 1984). Enfin, les résultats obtenus étendent ceux de Morice et al. (2015) en démontrant que les conducteurs sont non seulement sensibles à leur vitesse maximale mais également à leur accélération maximale pour percevoir les possibilités de dépasser, en accord avec le cadre théorique des affordances (Fajen, 2007a)