INFLUENCE DU MIL ET DES PRODUITS RESIDUAIRES ORGANIQUES (PRO) SUR LA LIXIVIATION DU BASALTE
Introduction
Les émissions de gaz à effet de serre, en particulier les carbonés (CO2, CH4), liés aux activités anthropiques sont en partie responsables du changement climatique. Pour réduire de manière considérable l’impact du carbone sur le climat, il faut le maintenir à un taux atmosphérique acceptable et diminuer les émissions. (Stocker et al., 2013). L’activité photosynthétique des plantes permet de récupérer 30 % du CO2 atmosphérique. La décomposition de ces plantes par les microorganismes du sol en matière organique entraine une augmentation du carbone dans le sol. Le sol constitue un vaste puits de carbone organique (1500 PgC entre 0 et 1m ; (Clara et al., 2017)). Le carbone améliore les propriétés physiques des sols par la formation d’agrégats mais aussi leur fertilité. Sa séquestration1 a donc un double enjeu : climatique et alimentaire. Pour répondre à cet enjeu, cinq instituts français de recherche (CNRS, Aix-Marseille Univ., Collège de France, INRA et CIRAD) se sont réunis en consortium à travers le projet NanoSoilC. Ils essaient de définir les modalités de stabilisation/déstabilisation de la matière organique (MO) dans le sol. Ce processus est lié à la nature de la MO, aux propriétés physiques du sol (température, structure..), ainsi qu’aux possibles liaisons entre les particules organiques et minérales (Chevallier, 2015). La présence de MO et de matière minérale dans les sols soumis à l’altération entraine la formation de nanocomplexes organo-minéraux ou nCOMx (Derrien et al., 2016). Le but de ce projet est de comprendre les mécanismes qui contrôlent les interactions organo-minérales afin de définir les paramètres ayant une influence sur le temps de résidence du carbone dans les sols mais encore à déterminer le potentiel de séquestration dans les sols. Au Sénégal le CIRAD, dans le cadre du projet NanoSoilC, a initié une thèse qui cherche à induire la formation de nCOMx par des pratiques agricoles favorables : (i) l’amendement du sol avec du basalte broyé finement (> 50 µm) et (ii) l’apport de produits résiduaires organiques (PRO). Il s’agit de déterminer l’influence des minéraux du basalte sur la séquestration du carbone avec la présence ou non de MO. Les travaux consistent à estimer le taux de carbone piégé dans des pots contenant des sols pauvres en MO avec ou sans basalte. Au cours de ces expériences menées en serre deux lignées de mil (lignée 132 : mil à fort exsudation racinaire, « La Séquestration du Carbone est une stratégie pour ralentir l’accumulation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère par absorption de ce carbone dans le sol et la végétation pérenne. Ceci peut être atteint par la reforestation, l’agroforesterie ou la gestion des forêts, toutes activités qui protègent ou augmentent le « puits » de carbone existant. Les puits de carbone comprennent les forêts et les autres écosystèmes, ainsi que les cultures en agriculture durable qui séquestrent du carbone dans le sol et dans les produits agricoles à longue durée de vie ».(Bernoux et al., 2004) 2 lignée 3 : mil à faible exsudation racinaire) ont été utilisées ainsi que des engrais minéraux et des PRO. La présente étude s’inscrit dans le cadre de cette thèse. Les particules nanométriques des phases minérales du sol ont un potentiel élevé de stabilisation de la MO en raison de leur forte réactivité et leur grande surface spécifique (Tamrat et al., 2018). Le basalte est une roche basique abondante sur la surface terrestre et connue pour sa capacité à capturer le CO2. L’objectif général de ce travail est de déterminer l’altération du basalte, à travers le phénomène de lixiviation. Cette altération dépend généralement de plusieurs facteurs : le climat (drainage, température), la composition chimique, le pH, la matière organique…Les travaux consistent à évaluer la mobilité des éléments minéraux du basalte en relation avec la présence du mil et des produits résiduaires organiques (PRO) en comparant différents traitements (ou modalités). Il s’agit plus précisément de déterminer la vitesse relative de libérations des cations (identification et quantification) en fonction des différentes modalités grâce à des analyses chimiques sur les lixiviats et de déterminer les relations entre ces éléments par des traitements statistiques. Le plan adopté pour présenter ce travail est le suivant :
La première partie est une revue Bibliographique consacrée aux généralités sur le basalte et aux facteurs qui influencent l’altération du basalte ; aux généralités sur la mobilité des éléments dans le sol grâce à la dissolution et au phénomène de lixiviation et à quelques définitions 2. La deuxième partie décrit les différents matériels et les méthodologies expérimentales utilisés 3. La troisième partie présente et discute les résultats
Le basalte
Le basalte constitue l’une des roches les plus abondantes de la lithosphère. C’est une roche microlithique de densité élevée (2.9-3.2), caractérisée par une teneur faible en SiO2 (-52%) et une concentration en alcalin comprise entre 5 et 10 %. Le basalte est une roche basique se présentant sous forme de coulées horizontales ou de dykes. Elle est essentiellement composée de plagioclase souvent à l’état de microlite, de pyroxène et d’olivine ainsi que de minéraux secondaires (magnétite, titane). Sur le plan textural, le basalte est constitué de minéraux visibles à l’œil nu (phénocristaux) correspondant aux minéraux ci-dessus et de microlites, le tout baignant dans une pate vitreuse non cristallisée.
Classification du basalte
Il existe une classification internationale des roches volcaniques qui permet de classer différents types de roches en fonction de leur teneur en Na2O et K2O comparé à leur teneur en silice SiO2. On distingue classiquement les basaltes tholéitiques et les basaltes alcalins (Figure 1). Figure 1 : Classification Chimique des Roches Volcaniques (Provost and Langlois, 2011; cité dans Rossier, 2012). 4 Les basaltes tholéitiques sont caractéristiques des dorsales océaniques et des arcs insulaires. L’olivine étant incompatible avec la silice est absente ou rare dans les basaltes tholéitiques pauvres en potassium avec des teneurs relativement élevées en éléments de transition (Chrome, Nickel). Ils sont mésocrates et peuvent évoluer par différenciation pour donner des andésites et des rhyolites. Les basaltes alcalins saturés à sous saturés en silice, contiennent plus d’alcalins (Na2O et de K2O) que les basaltes tholéitiques et sont riches en olivine. Les magmas primaires à l’origine des basaltes alcalins se sont formés à une profondeur inférieure à celle des tholéites et à une température de fusion plus faible. Leur mise en place est liée au volcanisme continental des zones de subduction et des arcs insulaires. Par différenciation ce type de magma peut évoluer vers des trachytes ou vers des phonolites (Adelinet, 2010). Au Sénégal le volcanisme du tertiaire est marqué par des laves alcalines sous saturées et moyennement sous saturées en silice. Les premières sont caractérisées par de fortes teneurs en ferromagnésiens (50 et 60%), des plagioclases basiques (labrador) et des néphélines. Les laves moyennement sous-saturées en silice sont à l’origine de basaltes riches en plagioclase avec des teneurs moyennes en ferromagnésiens (40%) (Dia, 1982).
Altération des basaltes
Les roches silicatées représentent 97 % des roches de la croute terrestre. Leur altération se fait souvent en présence d’eau et se traduit par deux phénomènes : mise en solution des ions (Ca2+ , Mg2+, Na+ , K+ ), précipitation ou formation de nouveaux assemblages minéraux. Elles jouent un rôle important dans les cycles géochimiques globaux. De plus l’altération chimique des roches silicatées contribue également à la régulation du climat par la consommation de CO2 atmosphérique qui sera stocké sous forme de carbonate dans les sédiments (Amiotte Suchet et Probst, 1993; Moon et al., 2014). Le CO2 consommé par l’altération des roches continentales est estimé à hauteur de 7.85 (5.78–9.93) 1012 mol/an (Moon et al., 2014). Cependant cette consommation diffère en fonction des types de roches avec deux fois plus de carbone consommé par les basaltes que par les granites (Amiotte Suchet et Probst, 1993; WolffBoenisch et al., 2006). Selon Dupré et al. (2003), le basalte s’altère huit fois plus vite que le granite. Le basalte est une roche silicatée dure et compacte qui s’altère facilement comparée aux autres silicates (Dupré et al., 2003). Les basaltes occupent 6.8*106 km2 soit près de 5% de la surface de la terre (Dessert et al., 2003). Leur abondance sur l’écorce, leur importance dans les 5 phénomènes climatiques ainsi que leur apport en nutriments (par la libération des ions) ont poussé plusieurs auteurs à essayer de comprendre les lois et paramètres contrôlant leur altération. Le basalte cristallin est une roche riche en plagioclase, pyroxène et olivine et est constitué d’environ 25% de Ca, Fe, Mg. La mobilité de ces éléments conditionne la formation des carbonates pour limiter le carbone atmosphérique (Gysi et Stefánsson, 2012a). La dissolution des cations divalents est limitée par la précipitation des phases secondaires constituées en général d’argiles (kaolinite, montmorillonite, illite…), d’oxydes et de sesquioxydes de fer et de zéolites (Alfimova et al., 2014; Engel et al., 2016; Gislason et al., 2014). En climat tropical humide la kaolinite est le produit d’altération majeur des basaltes mais aussi des hydroxydes de fer et d’aluminium peuvent se former (Laplante, 1954a, 1954b). Les sols du Massif central montrent la présence d’argile 1/1 (majoritaire) et 2/1 de type smectite comme produit d’altération du basalte (Chesworth et al., 1983). Les minéraux alcalins et alcalino-terreux sont les premiers éléments libérés lors de l’altération qui est conditionnée par plusieurs facteurs que sont : la composition minéralogique , le type de climat (température, drainage) et le support végétal (Yaichi et Benali, 2013). Selon Dessert et al. (2003), l’intensité du drainage joue également un rôle important dans l’altération chimique du basalte.
Rôle du pH et de la composition chimique des minéraux
L’altération d’une roche peut être définie comme l’altération différentielle des minéraux primaires qui la composent. Dans le basalte les plagioclases sont plus altérables que l’olivine, les pyroxènes et les titanomagnétites quel que soit le milieu (organique, inorganique)(Moinereau, 1977). Par contre Eggleton et al. (1987) avaient déterminé l’ordre d’altérabilité des constituants du basalte suivant : verre > olivine > plagioclase > pyroxènes. La stabilité de ses minéraux est contrôlée par le pH et la composition de la solution (Gislason et Arnórsson, 1993; Gislason et Oelkers, 2003; Gudbrandsson et al., 2014, 2011; Oelkers et Gislason, 2001) mais aussi par la composition des minéraux concernés . Avec une hausse de la fraction en Mg, olivine et pyroxène deviennent plus instables respectivement à haute et faible température tandis que le Ca rend les plagioclases moins sensibles à l’altération (Gislason et Arnórsson, 1993). L’altération des minéraux est à l’origine d’une absorption de protons et de la libération de cations qui vont augmenter le pH de la solution. La libération des éléments de la roche diminue lorsque le pH augmente (Gislason et Arnórsson, 1993; Gislason et Oelkers, 2003; Wolff-Boenisch et Galeczka, 2018). Gislason et 6 Oelkers, (2003); Gudbrandsson et al., ( 2011) démontrent que la vitesse de dissolution des éléments diminue avec le pH en solution acide alors qu’elle augmente avec le pH en solution basique. Dans les basaltes cristallins, le Fe et le Mg présents dans le pyroxène et l’olivine sont préférentiellement libérés en pH acide. La silice et le calcium ont un comportement différent. La courbe de variation de la vitesse de dissolution du calcium et de la silice décrit un U. Leurs vitesses diminuent avec le pH en condition acide alors qu’elles augmentent en condition basique. Le plagioclase est l’un des éléments les plus abondants de l’écorce terrestre et du basalte. Sa vitesse de dissolution est fonction de sa composition avec l’anorthite qui est 2.5 fois plus rapidement dissout que l’albite en solution acide (Gudbrandsson et al., 2014). La chimie de la solution altérante a aussi une importance sur l’altération du basalte. Le basalte est hautement réactif avec le dioxyde de carbone (Rosenbauer et al., 2012). A faible température, l’interaction basalte-eau-CO2 a pour conséquence la formation d’argiles et de carbonates calciques, ferriques et magnésiennes en plus des hydroxydes et/ou oxyhydroxydes de fer (Gysi et Stefánsson, 2012b). La présence de CO2 entraine une dissolution incongruente des minéraux et une mobilité du Ca et du Mg en milieu moyennement acide qui diminue avec le pH et la formation de phases secondaires. L’action d’une solution riche en silice réduit quant à elle la vitesse de dissolution des éléments à pH neutre (Berger et al., 1994). Les acides organiques, les acides minéraux (nitrique, sulfurique) et sels minéraux (NaCl) facilitent également la dissolution des minéraux (Pereira- Barreto, 1960). Les travaux de Flaathen et al. (2010) sur la dissolution du verre basaltique avec du sulfate aqueux montrent une augmentation du processus de carbonatation du CO2 dissous. Cela est la conséquence d’une forte libération des cations divalents entrainée par la présence des sulfates.
Rôle de la matière organique
L’interaction plantes-microorganismes est à l’origine d’une augmentation du CO2 qui est liée à la respiration des racines et à l’oxydation de la matière organique rendant les eaux plus acides (Dontsova et al., 2014; Violette, 2010). Les plantes sont également responsables de la production de rizhodépôts au niveaux de leurs racines dont les exsudats racinaires qui stimulent l’activité microbienne. Les exsudats racinaires et microbiennes sont composés de molécules simples à faible poids moléculaires (phénols, acides aminé, acides organiques, sucres, peptides) et de molécules à fort poids moléculaires (glycoprotéines, polysaccharides, ectoenzymes) dont l’abondance dans les sols dépend du type de plantes. Les acides organiques sont connus pour stimuler la dissolution des minéraux et des roches (Augusto et al., 2000; Dontsova et al., 2014; Hausrath et al., 2009; Huang et Longo, 1992; Oelkers et Gislason, 2001). Les acides 7 aliphatiques (oxalate, citrate, etc.) sont les acides organiques les plus communs dans les sols. L’influence des citrates sur l’altération des basaltes a été établi par Hausrath et al. (2009). Pour Oelkers et Gislason (2001), la présence d’acides organiques favorise la dissolution des minéraux dans les verres basaltiques. Toutefois l’influence des acides organiques est plus conséquente en milieu terrestre avec la présence des plantes. Ceci montre que la matière organique participe également à la mobilité des éléments du basalte. La présence de citrate dissous entraine une plus forte libération des ions (2 x plus) et un enrichissement en certains éléments pour les basaltes liés à la complexation des cations métalliques par les ligands. La complexation se fait par la dégradation des minéraux primaires des roches avec les acides qui attaquent les liaisons faibles de la structure du basalte. Ils provoquent la formation de colloïdes ou la mise en solution des ions Al3+, Ti4+ . Les plantes supérieures jouent un rôle important sur l’altération biologique des basaltes (Augusto et al., 2000; Ford Cochran et Berner, 1996; Hinsinger et al., 2001). Augusto et al. (2000) ont étudié l’impact de différents types d’arbres sur l’altération des plagioclases (labradorite). Les plagioclases sont également dissous avec la présence d’acides carboxyliques tels que l’ EDTA ( acide éthylène-diamine-tétra acétique) et l’acide oxalique par complexation de l’aluminium tandis que l’acétate favorise la dissolution des feldspaths en contrôlant le pH de la solution (Huang et Longo, 1992). La dissolution du minéral est en partie contrôlée par la quantité d’acides aliphatiques et aromatiques produite en fonction du type de plante. La présence des plantes sur le basalte peut entrainer une solubilisation 5 fois plus importante des ions avec le Ca, le Na des plagioclases sont préférentiellement libérés (Hinsinger et al., 2001). Le fer en proportion négligeable dans les solutions avec l’absence de plantes augmente considérablement alors que le Ca et Na sont préférentiellement libérés.
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