Influence des ondes de gravité de montagne sur
l’écoulement de grande échelle en présence de niveaux critiques
Météorologie de montagne
L’idée que les montagnes peuvent influencer la météorologie et le climat est aussi vieille que la météorologie elle-mˆeme. Déjà Aristote, dans son ouvrage Meteorologica daté de 340 av. JC, supposait que les montagnes contrôlent la hauteur des nuages. Mˆeme si cette vision du nuage naissant à la cime des montagnes peut aujourd’hui paraître na¨ıve, il est cependant exact que de façon générale les montagnes peuvent participer de façon prépondérante à la génération de formations nuageuses et de précipitations de formes multiples, par des mécanismes qui varient selon l’environnement (latitude, position par rapport aux océans, échelles considérées, topographie1 …). En 1648, Pascal mesurait au Puy-de-Dome la décroissance verticale de la pression atmosphérique dˆue à la compressibilité de l’air. Cette expérience a le mérite de nous rappeler que les montagnes ont toutes les chances d’influencer le climat terrestre dans la mesure o`u les plus grandes d’entre elles (8.8km d’altitude pour l’Himalaya) ont une hauteur comparable à l’échelle caractéristique de variation de densité de l’atmosphère2 (8.5km). Autrement dit, mˆeme si à l’échelle du rayon terrestre la sphéricité de l’enveloppe solide est presque parfaite, l’atmosphère est suffisamment fine pour ˆetre considérablement contrainte dans son écoulement par les massifs montagneux, au moins dans sa couche inférieure la plus dense, la troposphère. Cet argument est aussi valable pour les océans, mais nous nous cantonnerons aux effets atmosphériques. En guise d’illustration, la Fig. 1.1 présente une vue ombrée de la surface continentale terrestre, telle qu’elle est vue par les données GLOBE3 (Global Land One-km Based Elevation), fournies par le NGDC (National Geophysical Data Center) de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, Etats-Unis).
Les quatre ingrédients de la météorologie de montagne
L’effet climatique montagneux le plus évident est sans doute lié à la décroissance des températures avec l’altitude. C’est un point essentiel, qui sous-tend en réalité une grande partie des effets montagneux, et pas seulement les effets locaux (on peut penser au rôle des glaciers sur le climat global par exemple). Mais pour comprendre la diversité des phénomènes météorologiques et climatiques liés à la présence des montagnes, et le fait que cette influence se ressent quasiment à toutes les échelles de temps et d’espace sur la planète, on peut appréhender les choses à travers quatre ingrédients physiques de base. Les deux premiers sont mécaniques, liés aux deux principales forces de rappel qui intéressent le dynamicien des fluides géophysiques : la force de Coriolis et la force d’Archimède. Aux grandes échelles horizontales, la force de Coriolis peut jouer le rôle de force de rappel grˆace à l’existence du gradient méridien de vorticité planétaire, qui lui mˆeme est dˆu à la sphéricité de la Terre. En effet, les montagnes induisent une compressiondécompression des colonnes de fluide qui s’écoulent sur elles. Par conservation du tourbillon potentiel (analogue à celle du moment cinétique en physique du solide), cela induit des mouvements horizontaux oscillant latitudinalement, appelés ondes de Rossby (Rossby et al. 1939, Rossby 1940, Rossby 1949). Par cet effet notamment, les grandes chaînes montagneuses de l’hémisphère sont connues pour forcer des ondes planétaires (5000 à 20000km) stationnaires qui modulent significativement la climatologie régionale aux moyennes latitudes (Charney et Eliassen 1949, Bolin 1950, Hoskins et Karoly 1981), ainsi que des ondes planétaires libres (Salby 1984, Madden 2007). Ces effets ont été revisités plus récemment en introduisant des phénomènes nonlinéaires. Il a ainsi été proposé que les montagnes jouent un rôle important sur la variabilité basse-fréquence aux moyennes et hautes latitudes (Charney et De Vore 1979, Legras et Ghil 1985, Yoden 1985, Lott et al. 2005). A des échelles un peu plus courtes (1000km) qualifiées de synoptiques, nous verrons que les ondes de Eady, qui s’apparentent d’un point de vue dynamique à des ondes de Rossby, jouent aussi un rôle dans la cyclogénèse de montagne (section 1.3). A des échelles 100 fois plus petites (10km), qualifiées de méso-échelles, c’est maintenant la force d’Archimède qui est dominante. Elle intervient parce que l’atmosphère est en moyenne stratifiée en densité de façon stable, le fluide étant d’autant plus léger qu’il est élevé. Ainsi, la force d’Archimède tend à s’opposer aux mouvements verticaux qui conduisent à mélanger du fluide dense à du moins dense, ou inversement. En tant que force de rappel, elle donne alors naissance à des oscillations verticales relativement rapides (période propre de 10 min dans la troposphère, moins dans la stratosphère) et permet la propagation d’ondes. C’est pourquoi la montagne, qui en présence d’un vent horizontal impose un mouvement d’ascension, peut voir son influence se propager verticalement et horizontalement à relativement grande distance, sous la forme d’ ondes de montagne (Queney 1948, Scorer 1949, Smith 1979a). Nous développerons abondamment ce sujet dans la prochaîne section. Remarquons toutefois dès maintenant qu’entre les échelles synoptiques précédentes, et les méso-échelles, les mouvements d’échelle sous-synoptiques (100km) combinent naturellement les effets oscillatoires liés à la rotation terrestre et à la stratification. Au cours de cette thèse, nous porterons un intérˆet particulier à ce domaine intermédiaire. Par contre, aux très petites échelles, inférieures à 10 km typiquement, les mécanismes ondulatoires précédents ne fonctionnent plus. Certains vents de bas niveau résultent alors prioritairement de l’interaction entre les irrégularités du terrain et la circulation à plus grande échelle (gaps winds, channel winds). Les deux derniers ingrédients de la météorologie de montagne sont thermodyna- 4 Introduction miques, liés pour l’un à la présence de vapeur d’eau dans l’air, et l’autre au rayonnement solaire. Puisque la montagne est susceptible de permettre une ascension de l’air, celui-ci se refroidit par détente adiabatique et peut donner lieu à la condensation de la vapeur. Outre l’effet météorologique attendu que sont les précipitations d’origine orographique, l’existence d’un changement de phase de la vapeur d’eau modifie la dynamique ”sèche” en jouant sur la densité des parcelles de fluide. Dans cette thèse cependant, nous ne nous intéresserons pas à ces complications. Nous nous cantonnerons ainsi aux effets dynamiques secs, bien que l’influence de la vapeur d’eau soit bien souvent non négligeable. La compréhension des mécanismes de précipitations orographiques est aujourd’hui un domaine à part entière, qui fait l’objet d’intenses recherches (Rotunno et Houze, 2007). Cependant, une compréhension solide et fine de la dynamique sèche est bien souvent un préalable à la compréhension des phénomènes de précipitation orographique. Enfin, concernant l’insolation, l’inclinaison variable du terrain module localement l’apport d’énergie solaire, ce qui produit des hétérogéné¨ıtés climatiques importantes à petite échelle spatiale (visibles dans la végétation par exemple), ainsi que des variations temporelles diurnes et saisonnières. Plus généralement, une grande partie des phénomènes météorologiques montagneux est imputable au lien intime entre le cycle de l’eau et l’insolation, notamment en présence de couvert neigeux. En effet, les différentiels thermiques engendrent des circulations locales régulières contraintes par le terrain et par le cycle diurne (vents katabatiques, brises diurnes de pente et de vallée), qui modulent éventuellement les précipitations (Smith 1979a, Whiteman 2000). A des échelles de temps et d’espace plus grandes, la présence de glaciers sur les montagnes est un facteur déterminant du climat global et régional de la planète, à travers le rôle joué par l’albédo notamment, mais aussi l’influence sur les régimes de temps ou le piégeage de la vapeur d’eau. En témoignent par exemple les effets du glacier des Laurentides à l’Est du Canada sur le climat nord-américain, ou celui du Gro¨enland sur le climat nord-atlantique (Smith 2003, Whiteman 2000).
La force exercée par les montagnes
Le fait que l’écoulement de l’atmosphère sur les montagnes puisse générer des ondes, qui transportent de la quantité de mouvement, a une conséquence mécanique fondamentale : les montagnes induisent une modification de la quantité de mouvement du fluide. Par principe d’action-réaction, les montagnes exercent donc localement des forces sur l’atmosphère (Eliassen et Palm, 1961), qui résultent globalement en un couple exercé par la Terre solide sur l’atmosphère. Notons que des phénomènes analogues se produisent dans l’océan. Cela peut se comprendre simplement en réalisant que grˆace à l’inclinaison du sol, la force de pression de surface admet une composante horizontale. Par ce biais, les montagnes ont donc un moyen d’action sur l’écoulement à des échelles de temps et d’espace variées. Nous développerons largement ce point dans la suite en ce qui concerne l’effet des ondes de montagne (section 1.2), dans la mesure o`u il sous-tend toute cette thèse. Signalons toutefois quelques résultats récents illustrant l’effet global des forces exercées par les montagnes aux échelles planétaires, échelles que nous n’étudierons pas dans cette thèse. Des liens ont été d’abord mis en évidence par Lejen¨as et Madden (2000) entre les ondes de Rossby, le couple des montagnes et le moment cinétique de l’atmosphère, dans la bande de périodes de 6 à 15 jours. Plus récemment, le couplage du moment cinétique de masse avec le couple des montagnes a été mis en évidence dans les périodes inférieures à 50 jours. Son rôle est significatif sur la dynamique du signal dominant de la variabilité basse fréquence aux moyennes et hautes latitudes de l’hémisphère nord, à savoir l’Oscillation Arctique (AO) (Lott et al. 2004, Lott et D’Andrea 2005). Enfin, des effets de ce mˆeme couple sur les ondes de marée ont récemment été mis en évidence aux fréquences semi-diurne et diurne (Lott et al. 2007). Dans la suite de cette introduction, nous présenterons d’abord de façon simple les ondes de montagne et les concepts importants qui leurs sont rattachés, puis nous expliquerons comment elles agissent sur la circulation atmosphérique de grande échelle. Ensuite, nous tenteront de définir la problématique de la cyclogénèse de montagne, et son évolution jusqu’à nos jours. Enfin, nous donnerons un aperçu de la paramétrisation des ondes de montagne depuis ses débuts jusqu’à nos jours.
1 Introduction |