Matériels et méthodes
Problématique
Madagascar est bien connu mondialement pour son intérêt biologique et écologique, non seulement par sa faune et sa flore uniques ainsi que le haut niveau de diversité et d’endémisme, mais aussi la destruction continue de ses habitats naturels (GREEN et SUSSMAN, 1990 ; RATSIRARSON et GOODMANN, 2005).
Les forêts littorales illustrent parfaitement cette situation. Elles ne subsistent que par rares fragments discontinus de contenance variable par suite d’une déforestation intense au profit des cultures vivrières et de rente et la production de charbon de bois.
D’une superficie de 675 ha, la forêt de Tampolo (Région d’Analanjirofo) est l’un des derniers vestiges les mieux conservés de la forêt littorale orientale malgache. Elle constitue ainsi un réservoir naturel représentatif de la flore rencontrée dans ce type de forêt, abritant notamment des espèces rares et menacées (Pandanus spp., ORCHIDACEAE, ARECACEAE…). En plus de la formation végétale au bord de la mer dominée par Pandanus dauphiniensis et Cycas thouarsii, la présence de quatre sous types de forêt (forêt littorale, forêt temporairement inondée, forêt d’enrichissement et forêt marécageuse) renforce la spécificité et la rareté de ce site.
La vie de la population riveraine de Tampolo est étroitement liée à la forêt. La forêt est utilisée pour les collectes de produits forestiers pour les besoins quotidiens des villageois, y compris la collecte de bois de chauffe pour l’utilisation ménagère et la distillation des feuilles de girofle, la collecte de bois de charpente et d’ébénisterie, la collecte d’autres produits forestiers (miel, fruit, lianes, plantes médicinales et notamment des palmiers) et la chasse des animaux (petits mammifères comme lesSetifer setosus et Tenrec eucaudatus, Lémuriens diurnes et nocturnes, Oiseaux aquatiques).
La forêt de Tampolo constitue le seul massif forestier d’ampleur restant dans le District de Fenoarivo Atsinanana. En effet, plusieurs exemples de sources de bois peuvent être cités comme la forêt d’Ambatomalama, dans la Commune Rurale de Mahambo (District de Fenoarivo Atsinanana), dont presque la totalité est détruite, ou encore celle de Firariana (District de Vavatenina) avec le même degré de destruction. La population de ce chef lieu de district, situé à une dizaine de kilomètres au Sud de la forêt, a des besoins élevés en bois et en charbon, d’autant plus que l’acheminement est facilité par la présence d’une route nationale bitumée en lisière de la forêt. Ceci exerce une pression anthropique de plus en plus accrue sur cette forêt.
Dans l’optique de restituer à la forêt son capital d’avant les exploitations, et d’effectuer des essais d’enrichissement, l’Okoumé, une espèce exotique à croissance rapide provenant du Gabon, a été introduit à Tampolo depuis 1958. L’espèce a été par la suite capable de se développer naturellement parmi les essences natives (espèce naturalisée).
L’introduction d’une nouvelle espèce dans un nouvel environnement résulte souvent en des bouleversements des interactions entre espèces. Lorsque l’espèce étrangère domine en abondance, ou détourne des ressources locales fondamentales à son profit, toute la chaîne d’interactions biologiques peut être perturbée.
Dans certains cas, ceci conduit à la disparition de certaines espèces concernées par ces interactions.
Dans d’autres cas, le milieu peut favoriser la coexistence d’espèces introduites et autochtones, augmentant du coup la biodiversité.
C’est dans ce contexte que se pose la question de recherche suivante : Quel type d’impacts l’introduction de l’Okoumé exerce-t-elle sur la viabilité de la forêt naturelle de Tampolo ?
Cette recherche est capitale puisqu’elle va permettre l’évaluation de la capacité de survie de la forêt suite aux répercussions initiées par l’introduction d’espèces exotiques.
Hypothèses
Plusieurs hypothèses sont avancées et restent à vérifier. La première tient au fait que la dispersion de l’Okoumé dans l’espace et dans le temps se traduit par la combinaison de facteurs propres à l’espèce et des facteurs du milieu. En effet, le processus suivi par une espèce introduite est généralement décrit en s’appuyant sur le concept de barrières à franchir par l’espèce qu’elles soient géographiques, écologiques, et biologiques (RICHARDSON et al., 2000). Les individus font face aux nouvelles conditions biotiques et abiotiques et doivent établir une population viable, c’est-à-dire se reproduire naturellement et assurer le maintien durable de la population. Vient ensuite la phase d’expansion pendant laquelle les organismes se dispersent et colonisent de nouveaux milieux.
La seconde hypothèse stipule que la présence des pieds d’Okoumé assure un bon développement de toutes les espèces natives. En effet, les espèces exotiques qui viennent d’être introduites vont évoluer en réponse à leur nouvel environnement, tout comme les espèces autochtones peuvent en retour évoluer face à l’introduction. L’établissement des espèces héliophiles qui supportent un ensoleillement important crée généralement des conditions plus favorables au développement des espèces desousbois.
La dernière hypothèse précise que le type de traitement des plantations privilégie l’habitat naturel et/ou les espèces reforestées. En effet, les plantations d’essences exotiques se distinguent selon les itinéraires sylvicoles et les techniques de gestion. Les procédés d’enrichissement et d’interventions sylvicoles dans le cadre des processus de restauration forestière après perturbation diffèrent selon l’objectif recherché. Il en est de même pour les espèces forestières à privilégier.
Site d’étude
L’étude a été conduite dans la forêt littorale de Tampolo pour deux raisons. En effet, cette forêt recèle une diversité biologique remarquable qui mérite une attention particulière en termes de conservation.
De plus, c’est un des sites d’introduction d’Okoumé à Madagascar (KASSIMO, 1971). La forêt de Tampolo a reçu le statut d’Aire Protégée (Catégorie V, Paysage Harmonieux Protégé) depuis 2006.
Milieu physique
Situation géographique et administrative
La forêt de Tampolo est localisée dans la Région Analanjirofo, à 10 Km au Nord Ouest de Fenoarivo Atsinanana, entre le littoral et la Route Nationale n°5 reliant Toamasina et Maroantsetra. Elle est limitée au Nord par le lac Tampolo, à l’Ouest par l’ancien tracé de la RN5 menant vers Rantolava, au Sud par la rivière d’Antetezambe qui se déverse à la mer, et à l’Est par l’Océan Indien (Carte 1).
Climat
Le climat est un facteur écologique très important car il influe sur plusieurs caractéristiques physionomiques et comportementales des espèces forestières.
Le climat est du type perhumide chaud (P annuelle > 2000 mm ; KOECHLIN et al., 1974). La précipitation moyenne annuelle enregistrée est de l’ordre de 2725 mm répartie sur 206 jours. Les mois les plus arrosés s’étalent de Décembre à Mars et la précipitation atteint son maximum en Janvier (473 mm). Le mois écologiquement sec n’existe pas dans la région avec une pluviométrie toujours supérieure au double de la température (P > 2T ; GAUSSEN, 1955). Le climat reste perhumide presque toute l’année avec des valeurs de la précipitation mensuelle nettement supérieures à 100 mm, à l’exception du mois d’octobre. La température moyenne annuelle est de 24°C environ. Le mois le plus chaud de l’année est le mois de Février (26,6°C). L’amplitude thermique moyenne est de 8,8°C (Figure 1).
La direction du vent est dominée par l’Alizé du Sud Est (RAJOELISON, 1993; RAHOLIVELO, 1994).
Milieu biologique
Flore et végétation
Au niveau phytogéographique, la forêt de Tampolo fait partie de la région orientale ou du vent (PERRIER de la BATHIE, 1921), du domaine de l’Est de basse altitude, du type dense humide sempervirent (RARIVOSON, 1989 ; RAJOELISON, 1995).
La zone de Tampolo est caractérisée par une végétation très diversifiée. En plus de la frange littorale dominée par Pandanus dauphiniensis, Cycas thouarsii, Calophyllum inophyllum, Terminalia catappa et Casuarina equisotifolia etc., la forêt de Tampolo est constituée par 4 types de forêts à savoir la forêt littorale proprement dite (forêt dense humide sempervirente), la forêt temporairement inondée (dominée par des petits arbres), la forêt enrichie et la forêt des marécages (RAJOELISON, 1997 (Photo 1, Carte 2).
Milieu humain
La forêt de Tampolo, qui est rattachée à la Commune Rurale d’Ampasina-Maningory (District de Fenoarivo Atsinanana, Région d’Analanjirofo) est entourée de quelques villages regroupant environ 6000 habitants (estimations de 2007) (ESSA-Forêts, 2013). Ces villages se répartissent en 4 Fokontany :
Ampasimazava-Andapa II au Sud
Tanambao Tampolo ou Ambavala se situant à l’Ouest
Rantolava à environ 5 km au Nord du campement de l’ESSA
Takobola se trouvant à 10 km au Nord.
Les paysans aux alentours de la forêt de Tampolo sont surtout composés de Betsimisaraka avec quelques immigrants Antemoro et Antanosy. Ces paysans vivent de la riziculture irriguée et de l’agriculture sur brûlis, ainsi que de la production de cultures de rente (café, girofle). La riziculture est la principale activité de la population riveraine de Tampolo. Elle est pratiquée dans les bas fonds, les plaines (riziculture irriguée) et sur les versants des collines (riziculture sur brûlis). Le lac Tampolo est une réserve abondante de poissons et de crabes. La pêche se fait au filet et à la nasse traditionnelle. Les paysans environnants alternent cette activité avec l’agriculture. La distillation du girofle est effectuée dans des alambics artisanaux. En général, ces derniers sont installés près des champs de girofliers. La production d’essence de girofle est exportée via le port de Toamasina en Europe et en Asie. La production artisanale, dont celle de la vannerie, est exclusivement destinée à l’usage domestique. Son développement peut constituer un créneau économique intéressant pour le budget du ménage. L’élevage bovin occupe une place particulière dans la vie socio-économique. Il est en effet un signe de richesse et un moyen d’épargne. Les habitants de la région restent encorefortement attachés à leurs héritages culturels et aux rites traditionnels.
La vie quotidienne de la population est étroitement liée à la forêt. Les populations locales pratiquent ainsi traditionnellement la cueillette de produits forestiers pour la pharmacopée ou l’alimentation (miel, fruits, cœurs de palmier, plantes médicinales). Les usages liés à la matière ligneuse consistent dans l’utilisation ménagère et la distillation des feuilles de girofle ou la construction des habitations et pirogues, tandis que la pratique de la chasse (Petits mammifères comme les Setifer setosus et Tenrec eucaudatus, Lémuriens diurnes et nocturnes, Oiseaux aquatiques) relève de l’écosystème.
La forêt de Tampolo constitue le seul massif forestier d’ampleur restant dans le district de Fenoarivo Atsinanana, ce qui induit cette forte pression anthropique. La population de ce chef lieu de district, situé à une dizaine de kilomètres au Sud de la forêt, a des besoins élevés en bois et en charbon.
L’acheminement est facilité par la présence d’une route nationale bitumée en lisière de la forêt. Les trafiquants sont non seulement des villageois mais également beaucoup d’habitants de Fenoarivo Atsinanana.
L’exploitation illicite de bois constitue une forte menace sur cet écosystème (Photo 2). De plus, ces pratiques illégales qui s’intensifient durant la nuit, nécessite l’utilisation de feu pour l’éclairage, ce quiconstitue un risque considérable d’incendie (RATSIRARSON et GOODMAN, 1998).
Caractéristiques dendrologiques
L’arbre est de grande taille et atteint couramment une hauteur de 45 à 50 m pour un diamètre de 1 à 1,2 m (AUBREVILLE, 1951). La base du tronc présente des contreforts aliformes d’aspect et de dimensions variables qui se développent lorsque le tronc atteint 30 à 40 cm de diamètre. Le fût est long, rarement très droit. L’écorce de l’arbre jeune est lisse, de couleur caractéristique grisâtre puis devient brun rougeâtre, très souvent recouverte de taches horizontales blanches, jaunes, brunes ou rouges, dues à des lichens. Avec l’âge, elle se craquelle et s’exfolie en grandes écailles épaisses allongées verticalement (Photo 3). Sa tranche est rouge rose et laisse exsuder une résine à forte odeur de térébenthine qui devient blanc opaque en coagulant.
Phénologie
L’Okoumé reste feuillé toute l’année. De nouvelles feuilles apparaissent de septembre à décembre et elles sont rouge vif pendant une semaine. En plantation, l’Okoumé fleurit à l’âge de 6 à 8 ans et fructifie vers l’âge de 9 à 10 ans, mais ce n’est qu’à partir de 13-14 ans qu’il donne des graines fertiles (DEVAL, 1976). Le début de la floraison a lieu aux premières pluies, c’est-à-dire à la fin de la saison sèche. La floraison débute à la fin du mois d’Août et se poursuit jusqu’au mois d’Octobre au Gabon. A Madagascar, elle s’étale de fin Octobre au début du mois de Janvier. La pollinisation est entomophile. Au Gabon, la période de fructification commence au mois de Décembre et dure jusqu’au mois de Mars et à Madagascar de Février jusqu’au début du mois de Mai. Seuls les pieds femelles portent des fruits. Environ 10% des fleurs femelles épanouies donnent des fruits viables (RANDRIAMBOAHANGINJATOVO, 1983).
Ecologie
L’Okoumé se rencontre à l’état naturel du niveau de la mer jusqu’à 200 (500) m d’altitude, avec une pluviométrie annuelle de (1600) 2000 à 3000 (3500) mm. Les températures annuelles moyennes oscillent entre 25 et 28 (30) °C, avec des températures minimales moyennes du mois le plus froid de 20 à 26°C (SAINT-AUBIN, 1963). La répartition naturelle de l’espèce est directement liée à la pluviométrie.
L’okoumé est une espèce héliophile pionnière, qui a une longue durée de vie (150 à 300 ans) (MAPAGA et al., 2002). L’espèce colonise en particulier les grandes clairières de forêt et les lisières de savane protégées contre les feux de brousse, où elle devient souvent mono-dominante.
L’Okoumé pousse bien sur une grande variété de sols acides formés sur des substrats variés. Il peut pousser sur des sols sableux peu fertiles mais préfère les sols sablo-argilo-limoneux fertiles et profonds. Il ne tolère pas les sols inondés.
Bois et usages
Le bois est formé d’un aubier peu épais de couleur gris blanchâtre et d’un bois parfait de couleur rose saumon avec un aspect nacré (Figure 6). La couleur rose devient beige clair à jaunâtre après une longue exposition à la lumière. Le grain est moyennement fin et le fil est le plus couramment avec un contrefil régulier peu marqué. Les cernes d’accroissement sont représentés par des alternances dezones claires et foncées, bien visibles lorsque le bois est poncé.
L’Okoumé est un bois très léger à léger (densité de 0,40 à 0,46), très tendre à tendre. Ses caractéristiques mécaniques sont faibles. Le bois parfait est faiblement durable vis à vis des champignons (classe de durabilité 4), non résistant aux attaques de Lyctus, sensible aux termites (classe de durabilité 5). Son utilisation est déconseillée aux endroits ayant des risques d’humidification permanente ou prolongée.
C’est l’essence la plus exploitée au Gabon. Elle est utilisée surtout pour le contreplaqué car elle convient bien au déroulage (faible densité, caractéristiques mécaniques faibles, dimension et rectitude des grumes adaptées). Elle est adaptée à une large gamme d’utilisations : menuiserie intérieure, moulures, lambris, ameublement et pâte à papier.
L’Okoumé est exploité pour la fabrication de pirogues artisanales et accessoirement pour le bois de chauffage. Les décoctions d’écorce et/ou de feuilles sont utilisées comme antiseptiques externes.L’écorce est utilisée comme astringent et anti-diarrhéique.
Table des matières
Remerciements
Présentation des partenaires
Résumé
Abstract
Famintinana
Liste des acronymes
Glossaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des cartes
Liste des photos
1 Introduction
2 Matériels et méthodes
2.1 Problématique
2.2 Hypothèses
2.3 Site d’étude
2.3.1 Milieu physique
2.3.1.1 Situation géographique et administrative
2.3.1.2 Climat
2.3.1.3 Relief
2.3.1.4 Sols
2.3.2 Milieu biologique
2.3.2.1 Flore et végétation
2.3.2.2 Faune
2.3.3 Milieu humain
2.4 Présentation de l’espèce étudiée
2.4.1 Systématique
2.4.2 Origine et répartition géographique
2.4.3 Caractéristiques dendrologiques
2.4.4 Phénologie
2.4.5 Ecologie
2.4.6 Bois et usages
2.5 Reconnaissance
2.6 Protocole de mesure
2.6.1 Dispositif d’échantillonnage
2.6.2 Acquisition des données
2.7 Traitement et analyse des données
2.7.1 Saisie des données et prétraitement
2.7.2 Analyse statistique
2.7.3 Analyse spatiale
2.8 Limites de l’étude
3 Résultats et interprétations
3.1 Propagation de l’Okoumé dans le temps et dans l’espace
3.2 Coexistence de l’Okoumé et des essences autochtones
3.3 Influence des méthodes de plantation sur les écosystèmes à Okoumé
4 Discussions et recommandations
4.1 Par rapport à la méthodologie
4.2 Par rapport aux résultats
4.3 Vérification des hypothèses
4.4 Recommandations
5 Conclusion
Références
Annexes