Influence des conditions environnementales sur la dissolution oxydante
Les conditions physico-chimiques particulières du site de stockage sont susceptibles d’avoir une influence sur le mécanisme d’altération sous eau du combustible présenté précédemment (Figure I-7). Etant donné que d’autres pays ont choisi le stockage direct des combustibles UOx, les études d’altération de combustible UOx en conditions environnementales sont nombreuses dans la littérature. Dans des eaux simples, l’oxydation de la surface mène au relâchement d’uranium en solution selon le mécanisme de la dissolution oxydante et peut conduire à une précipitation de phase secondaire d’uranyle comme la schoepite. Les vitesses de dissolution de la matrice sont plus faibles en milieu réducteur qu’en milieu oxydant. Par exemple, l’étude de Rollin et al. [9] sur du combustible irradié montre une vitesse de dissolution 1000 fois plus rapide en milieu oxydant qu’en milieu réducteur. En conditions réductrices (qui sont les conditions du site de stockage), l’étude de Bruno et al. [10] sur UO2 indique une vitesse de dissolution faible de l’ordre de 10-12 mol.m-2.s-1 entre pH 7 et 11, tandis que l’étude menée par Rollin et al. [9] sur du combustible UOx irradié présente une vitesse de dissolution encore un peu plus faible de l’ordre de 10-13 mol.m-2.s-1. Les anions peuvent avoir une influence sur la dissolution de UO2. En particulier, les ions carbonates à leur teneur classiquement observée dans l’environnement (~10-3 M) ont la capacité d’augmenter la dissolution oxydante [11] :
– en l’absence de carbonates : des dépôts des produits de corrosion peuvent s’accumuler en surface ralentissant ainsi la dissolution ;
– à faible concentration en carbonates (<10-3 mol.L-1) : la présence de carbonates permet d’augmenter la solubilité de UO22+ et empêche ainsi le dépôt des produits de corrosion sur la surface ;
– à une concentration intermédiaire en carbonates (de 10-3 à 10-1 mol.L-1) : les carbonates accélèrent la dissolution par formation d’espèces de surface intermédiaires ;
– à forte concentration en carbonates (>10-1 mol.L-1) : une phase de type UO2CO3 peut précipiter en surface et limiter la dissolution.
L’influence d’autres eaux que celle du Callovo-Oxfordien a été étudié [12] [13] [14]. Par exemple, Ollila [14] a étudié la dissolution de SIMFUEL (un simulant de combustible irradié) dans une eau granitique synthétique en conditions anoxiques. Les résultats semblent indiquer le relâchement de l’uranium suivi de sa (co)précipitation et suggèrent que des phénomènes de sorption, de précipitation ou la présence de colloïdes jouent un rôle important dans les conditions de ces expériences. Rondinella & Matzke [15] ont également étudié la dissolution de SIMFUEL dans une eau granitique en présence d’un monolithe de granite (atmosphère Ar, T = 200 °C). Ils indiquent une inhibition de la dissolution par rapport à l’altération en eau pure sous air et la présence d’alumino-silicates sur la surface du SIMFUEL. De nombreuses études ont également rapporté un effet du fer sur la chimie de l’uranium. Par exemple, l’uranium peut s’adsorber à la surface des produits de corrosion du fer susceptibles de se former dans les conditions physico-chimiques du stockage tels que la goethite [16] [17] [18] ou la magnétite [19] [20] [21]. Il a aussi été mis en évidence que Fe(II) peut réduire, à la surface des matériaux, U(VI) en U(IV) moins soluble [19] [20] [21]. Amme et al. ont montré qu’en présence de Fe(II), celui-ci contrôle la dissolution de UO2 [22]. Comme les auteurs précédents, ils ont observé que non seulement Fe(II) peut réduire U(VI) en U(IV), mais une autre réaction redox dans laquelle Fe(II) consomme l’espèce radiolytique oxydante H2O2 peut avoir lieu. Notons que Fe(II) peut également consommer d’autres espèces oxydantes issues de la radiolyse de l’eau comme par exemple OH• [23].
Combustible MOx MIMAS irradié : MOx 47 Le dernier type de matériau utilisé dans cette étude est un combustible MOx MIMAS irradié en réacteur nucléaire. Il se présente initialement sous la forme de tronçons de combustible gainé (Zr) de quelques centimètres de hauteur (Figure II-9). Les tronçons de combustible utilisés sont tous issus du même crayon de combustible industriel MOx MIMAS (noté EA13) exploité en réacteur EDF. Ce crayon a été irradié pendant 4 cycles dans le réacteur Dampierre 2 avec un taux de combustion de 48,8 GWj.tMLi-1, et a ensuite été entreposé pendant 21 mois en piscine de refroidissement. Il sera appelé MOx 47 dans la suite de ce manuscrit. La microstructure du combustible MOx 47 est hétérogène comme celle des pastilles de MOx 7% décrites précédemment puisqu’il s’agit également d’un combustible MOx de type MIMAS. Les amas de Pu sont cette fois-ci repérables au microscope électronique à balayage car ils ont été restructurés au cours de l’irradiation en réacteur (Figure II-10). En effet, suite à l’irradiation, on observe dans les amas enrichis en Pu une division des grains initiaux en sous-grains associée à une augmentation de la porosité.
Cette restructuration des amas est causée par un taux de combustion localement plus élevé dû à leur forte teneur en Pu. Cette microstructure est très semblable à la zone de rim observée en périphérie des pastilles de combustible UOx après irradiation pour les hauts taux de combustion [3] [41] . L’inventaire en radioéléments du combustible MOx MIMAS après irradiation a été calculé à l’aide du code César développé par le CEA [42]. Les fractions massiques des éléments pertinents au regard de cette étude sont données dans le Tableau II-5. Cette composition est calculée pour le combustible MOx en sortie de réacteur cependant, les phénomènes de décroissance radioactive font évoluer cette composition au cours du temps. Elle doit donc être recalculée au moment de l’utilisation du combustible pour les expériences plusieurs années après sa sortie de réacteur. Ce calcul a été réalisé avec le logiciel Caldéra développé par le CEA [39] [40]. La composition du combustible calculée pour l’année 2013, c’est-à-dire l’année de réalisation des expériences, est reportée dans le Tableau II-5. Le Tableau II-6 rassemble les activités, les puissances thermiques et les débits de dose alpha, beta et gamma du combustible MOx 47 (pour l’année 2013). Les activités et les puissances thermiques ont été calculées à l’aide du code Caldera. Les débits de dose sont calculés à partir des puissances thermiques sachant que 1 W = 1 J.s-1 et 1 Gy = 1 J.kg-1.
Matrice expérimentale
Pour étudier l’altération du combustible nucléaire en conditions de stockage géologique, chaque matériau décrit dans la première partie de ce chapitre (UO2 50 ans, UO2 10000 ans, UO2 réf, MOx 7%, MOx 47) a été soumis à des lixiviations de longue durée en conditions environnementales. La démarche expérimentale choisie a consisté à complexifier progressivement le milieu de lixiviation de façon à mettre en évidence les effets de chaque paramètre étudié. Ainsi, les lixiviations ont été menées en eau carbonatée, puis en eau synthétique du COx, et finalement en eau synthétique du COx en présence de fer. L’eau carbonatée permet tout d’abord de suivre correctement l’altération du combustible grâce à la forte complexation de l’ion uranyle par les ions carbonatés qui limite l’adsorption et la précipitation secondaire de l’uranium relâché par la dissolution oxydante. L’eau carbonatée constitue également une première étape vers les eaux environnementales qui contiennent généralement des ions carbonatés, les meilleurs complexants de l’uranium, a des teneurs non négligeables (de l’ordre de 10-3 M). Concernant les UO2 50 ans, UO2 10000 ans et UO2 réf, des lixiviations en eau carbonaté ont été réalisées lors d’une thèse précédente [2] et ne sont pas réitérées ici. Seuls les MOx 7% ont été soumis à des lixiviations en eau carbonatée sous atmosphère air ou argon afin d’acquérir des données de base sur l’altération de ce matériau encore peu étudié.
Une eau de chimie plus complexe se rapprochant davantage de celle de l’eau porale du site de stockage français a ensuite été utilisée. Il s’agit d’une eau synthétique dont la composition est représentative de celle de l’eau porale du site de stockage géologique français dans le Callovo-Oxfordien : elle est appelée eau synthétique du COx. Chaque type de matériau a subi au moins une lixiviation dans ce milieu. Finalement, l’influence d’espèces comme le fer a été étudié dans l’eau synthétique du COx. Le fer est une espèce électro-active forte et un effet sur les espèces sensibles à l’oxydo-réduction (par exemple U, H2O2, etc.) est donc attendu. Dans le cas du stockage géologique, le fer peut provenir soit de la corrosion du conteneur de stockage en acier, soit de la roche hôte (contenant 2 à 3 % de pyrite [1]). Dans les expériences de lixiviation de cette thèse, il a été introduit dans l’eau synthétique du COx sous la forme d’une lame de fer métallique pure pré-corrodée pour simuler le conteneur de stockage en acier. Hormis l’échantillon UO2 réf, tous les autres matériaux ont été soumis à une lixiviation dans ce système. Notons également que toutes les expériences (sauf exception) ont été menées en milieu anoxique (O2 < 1 ppm), comme dans le cas du stockage géologique, sous une atmosphère Ar/CO2 3000 ppm. La pression partielle de CO2 sert à équilibrer les couples acido-basiques HCO3-/CO2,H2O et CO32-/HCO3- pouvant jouer sur le pH de la solution. Ainsi, avant expérience, le pH se stabilise vers 7,1-7,2 ce qui correspond au pH attendu de l’eau synthétique du COx. Le Tableau II-7 et le Tableau II-8 répertorient les expériences de lixiviation réalisées dans le cadre de cette thèse. Pour chaque lixiviation effectuée, le matériau lixivié, les conditions et la durée de la lixiviation et le nom de l’expérience sont donnés. Pour faciliter la lecture, les expériences ont été classées par matériau et séparées en deux tableaux : le Tableau II-7 pour les échantillons de type UO2 (UO2 50 ans, UO2 10000 ans et UO2 réf), et le Tableau II-8 pour les échantillons de type combustible MOx MIMAS (MOx 7% et MOx 47).
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