Disponibilité en eau ou activité en eau (Aw) et la température
L’Aw est un paramètre qui permet de quantifier la quantite d’eau disponible et qui dépend à la fois des caractéristiques chimiques et physiques du substrat. Elle varie entre 0 (toute l’eau est retenue) et 1 (eau libre). Les différentes moisissures ont des conditions optimales de développement qui leur sont propres aussi bien pour les temperatures que pour l’Aw. C’est le cas des champignons du genre Aspergillus qui se developpent normalement dans des milieux ou l’aw est faible et les températures importantes. De ce fait, on retrouve des infestations par Aspergillus flavus plus fréquemment dans les maïs cultivés dans des conditions de sécheresse et de chaleur. De même, les espèces du genre Penicillium, une moisissure très répandue prolifèrent dans des conditions optimales spécifiques représentées par une Aw relativement faible et des températures basses. Ces deux premiers genres se développent donc dans des conditions de faible Aw (voisines de 0,7 a 25°C). En consequent, ils sont consideres comme des champignons d’entreposage. Au contraire, les champignons du genre Fusarium sont généralement considérés comme des moisissures des champs puisque leurs conditions optimales de développement sont représentées par une humidité importante (Aw supérieure à 0,9) durant la période de floraison des cultures. Toutefois, ces principes ne sont pas fixes et c’est pour cela que l’on retrouve, par exemple, des champignons du genre Fusarium qui prolifèrent et produisent des mycotoxines dans certaines conditions que l’on retrouve durant le stockage (Reboux, 2006). Comme pour les moisissures du genre Fusarium, Claviceps (ou ergot) contamine les plantes au champ. Un temps frais et humide favorise son développement en permettant la germination des sclérotes (organe de conservation de taille et de forme variables) et la production de spores, et en prolongeant la période pendant laquelle les fleurons (petites fleurs élémentaires) restent ouverts sur les plantes (Peet et al., 1991).
Conditions propices à la contamination fongique
Non seulement la contamination fongique des denrées alimentaires entraîne une modification de la valeur nutritive et de la qualité organoleptique de la denrée alimentaire, mais surtout entraîne, dans certains cas, la présence de mycotoxines. Même s’il y a eu contamination fongique, la présence de mycotoxines dans le produit agricole n’est pas obligatoire. En effet, les conditions de croissance des moisissures diffèrent des conditions de mycotoxinogénèse. Chaque espèce ou isolat croît dans des conditions spécifiques d’humidité et de température. Ces conditions optimales de croissance peuvent différer de leurs optima de production de mycotoxines. Par exemple, A. carbonarius montre un optimum de croissance entre 30°C et 35°C alors que le maximum de production d’OTA de cette souche se situe a des températures comprises entre 15°C et 20°C (Mitchel et al., 2004). Lorsque les conditions environnementales le permettent, les moisissures produisent, par l’intermediaire d’un metabolisme secondaire, des mycotoxines au sein des vegetaux. Le métabolisme secondaire diffère du primaire par la nature aléatoire de son activation et par la grande diversité des composés formés et la spécificité des souches impliquées. La production de mycotoxines repond donc a des signaux issus de l’environnement qui correspondent ou non à ceux favorables à la croissance de la moisissure en cause (Yiannikouris et Jouany, 2002). En effet, il est important de souligner que les conditions les plus favorables à la prolifération des moisissures pourraient ne pas coïncider avec les conditions optimales pour la formation des mycotoxines en laboratoire. Par exemple, certains auteurs ont observé que des moisissures de genre Fusarium prolifèrent à des températures comprises entre 25 et 30°C sans produire beaucoup de mycotoxines, alors qu’a des temperatures proches de 0°C une grande quantité de mycotoxines est produite par une population minime de moisissures. Dans une moindre mesure ces resultats sont corrobores par d’autres etudes. Par exemple, la courbe de croissance du champignon du genre Aspergillus dependant de l’activite hydrique et de la temperature ne coincide pas precisement avec la courbe de production de l’aflatoxine qui est un de ses métabolites secondaires. Ainsi, alors que les conditions optimales de croissance pour la moisissure est de 36°C et une Aw de 0,95, celle de la production d’aflatoxine est de 33°C et une Aw de 0,99 (Pfohl-Leszkowicz, 2001).
Ceci montre que ce n’est pas parce que les moisissures sont dans des proportions minimes voire invisibles que l’aliment n’est pas contaminé par des mycotoxines à des seuils importants et inversement, un aliment moisi peut ne pas être contaminé par des mycotoxines (Whitlow et Hagler, 2001). D’autres etudes montrent que le DON (desoxynivalenol) se retrouve dans les echantillons preleves qu’ils soient ou non contamines par des champignons. Le meme constat est observe pour d’autres mycotoxines analysees comme la ZEA (zéaralénone) ou la toxine T-2 (Mathieu, 2007). En fait, la contamination par les moisissures a eu lieu au préalable puis ces moisissures ont disparu durant le procédé de fabrication laissant les mycotoxines produites. Certains auteurs visent à donner une signification évolutive aux mycotoxines en disant : «pour tout organisme, la production d’une molecule (ici, les toxines) a un cout metabolique qui doit être compensé par un avantage lié à la sécrétion de ces toxines». L’avantage apporte par les mycotoxines serait d’ordre competitif. En effet, en situation de stress, la compétition entre les différents organismes est exacerbée et la production de toxines par les moisissures permettrait de preempter le grain qu’il envahit en le rendant toxique pour les autres organismes compétiteurs du milieu (Malekinejad, 2006).
Règlementation et impact économique liés aux mycotoxines
A l’heure actuelle, les mycotoxines les plus préoccupantes sont réglementées (aflatoxines, ochratoxine A, fumonisines et zéaralenone…). En ce qui concerne l’alimentation humaine, le règlement européen (CE) N°1881 / 2006 en date du 19 décembre 2006 (JOCE du 20/12/2006), concerne les teneurs maximales pour un certain nombre de contaminants présents dans les denrées alimentaires. Ce texte dépasse le cadre des contaminations par les mycotoxines. Les articles n°7 et de 21 à 38 concernent plus spécifiquement les mycotoxines. Le règlement (CE) No1126/2007 de la commission du 28 septembre 2007 modifiant le règlement (CE) no 1881/2006, porte sur la fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires en ce qui concerne les toxines de Fusarium dans le maïs et les produits à base de maïs. Ce dernier a été modifié par le règlement (CE) N°105/2010 de la commission du 5 février 2010, portant sur fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrees alimentaires (epices) en ce qui concerne l’ochratoxine A. Concernant les aflatoxines, la commission réunie le 26 février 2010 a émis un nouveau rapport (No165/2010) portant sur la fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires (Arachides, noix et d’autres oléagineux) en ce qui concerne les aflatoxines. (Hadjeba-Medjdoub, 2012). La reglementation doit aussi prendre en compte d’autres aspects politiques et economiques. La FAO (Food and Agriculture Organisation) estime qu’environ un quart des recoltes de la planete de produits alimentaires est susceptible d’etre contamine par les mycotoxines soit environ 1000 millions de tonnes par an.
Il est tres difficile d’evaluer de maniere sure la perte economique due aux mycotoxines (Wu, 2011). La FDA (US Food and Drug Administration), a partir d’un modèle, a évalué la perte aux États-Unis due aux aflatoxines, DON et fumonisines, à 392 millions de dollars (CAST, 2003). Plus la réglementation est stricte et plus la quantité de matières premières à jeter sera importante. Cela peut créer de graves problèmes économiques aux pays exportateurs de produits agricoles, problèmes à évaluer et à comparer avec le risque mycotoxique. L’adoption des normes proposees par le Codex alimentarius par certains pays peu developpes est un exercice difficile mettant en oeuvre un equilibre entre nutrition et sante que les pays développés ont du mal à percevoir. Afin d’eviter une reglementation trop stricte, celle-ci est toujours en évaluation dans certains pays (Jard, 2009). Les pays en voie développement souffrent le plus de l’impact de l’application de la réglementation par les agences européennes et internationales. Les pertes économiques pour les pays en développement sont variées.
Les pertes ne proviennent pas seulement des cultures et des pertes en bétail, mais aussi des coûts associés aux conformités réglementaires (ARC, 2011). Par exemple, Bankole et Adebanjo (2003) ont signale qu’en raison de la réglementation, les exportations de produits agricoles, en particulier les arachides des pays en voie développement, avaient considérablement diminué, entraînant des pertes économiques majeures pour les pays producteurs. Les pertes résultant des expéditions rejetées et la baisse des prix pour cause de qualité peuvent dévaster les marchés d’exportation (Bhat et Vasanthi, 2003). En 2011, l’Argentine, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud ont connu respectivement 37, 60, 136 et 12 refus (Commission du Codex Alimentarius, 2014). La Banque mondiale a prédit que le changement de politique par l’UE réduirait de 64% les importations de céréales, de fruits secs et de noix des pays africains comme le Tchad, l’Égypte, la Gambie, le Mali, le Nigéria, le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Soudan et le Zimbabwe, et ont donc coute aux pays africains une perte d’environ 670 millions de dollars americains par an (Bankole et Adebanjo, 2003). Wu et al. (2011) ont signalé que l’ampleur des répercussions économiques et des conséquences sur la santé associées à la consommation d’aliments contaminés par l’aflatoxine dans les pays en développement n’est pas connue en raison du manque de données. Selon eux, la quantification des pertes économiques et l’estimation des effets de l’aflatoxine sur la santé encourageront les ministères de la santé à appliquer les normes. La pertinence des effets sur la santé humaine comprend le coût de la mortalité, le coût de la capacité de production perdue lorsque les personnes meurent prématurément, les pertes au travail dues aux hospitalisations et le coût des services de santé, tant publics que privés (Bhat et Vasanthi, 2003, Montet et al., 2019).
INTRODUCTION GENERALE |