Influence comparée du matériel et du virtuel sur la
compréhension des élèves à propos de la flexion extension du bras
Conception du didacticiel
La prise en compte des conceptions des apprenants qui a guidé notre démarche de développement du didacticiel est celle de Giordan : « Qui sont-ils ? Quelles sont leurs questions, leurs attentes ? Quelles sont leurs façons de raisonner, leurs cadres de références, leurs façons de produire de sens ? Tout ce qui est actuellement regroupé dans le modèle allostérique sous le terme de conception » (Giordan et Guichard, 1997). Nous avons suivi ses recommandations sur le fait de bien connaître le public cible, car au niveau de la conception, il convient d’adapter au mieux le didacticiel à l’utilisateur. Ceci n’est possible que si le concepteur se met à la place de l’usager (Bardini et al. 1995)24. A cette condition, il sera donc possible de concevoir une interface selon des représentations mentales qui servent d’une part de modèle à l’usager et d’autre part de scénario d’utilisation.
Déroulement de la conception
La conception d’un didacticiel est un processus délicat qui nécessite plusieurs étapes, et de réflexions et d’investigations préalables. Il faut tenir compte de plusieurs types de contraintes liées au message que l’on veut faire passer, au public auquel on s’adresse ainsi que les caractéristiques de la machine et des programmes choisis. La conception d’un tel didacticiel nécessitait la collaboration entre didacticiens, informaticiens et scientifiques. L’outil multimédia a ainsi été crée sur mesure par une équipe constituée de trois personnes25. La conception d’un produit passe par une succession de phases (d’après Giordan et Guichard, 1997), selon le schéma présenté en figure suivante : 24 BARDINI, Thierry, HORVATH, August T. The Social Construction of the Personnal Computer User. Journal of Communication, été 1995, vol. 45, n° 3, p. 40-65): 25 Jack GUICHARD (professeur des Universités – Palais de la découverte), Pascal JABLONKA (formateur en informatique – IUFM de Paris), Berktan BODUR (doctorant – UMR STEF, ENS Cachan).
Les fonctionnalités attendues
Notre objectif étant d’apprécier un possible remplacement du modèle matériel par une simulation informatique, nous avons pris soin de respecter la structure et la logique générale de ce modèle en carton. En premier lieu, afin de résoudre le problème, les élèves essaient de trouver le point d’attache des muscles afin d’obtenir une composition qui permette au bras de se plier puis se déplier correctement. Cela conduit donc à un apprentissage par essais/erreurs. Nous avons conservé cette même logique de l’apprentissage dans l’outil informatique. Abrougui (1994) précise que les situations interactives favorisent les apprentissages par essai-erreur : l’élève a droit à l’erreur et peut recommencer son action plusieurs fois sans être jugé (le but de notre didacticiel consiste à faire apprendre aux élèves la notion d’attache des muscles aux élèves et non pas à les évaluer). La possibilité de faire des essais pour le point d’attache sur toute la partie du bras et de l’avant-bras est l’une des fonctionnalités importantes du didacticiel. Il faut que les élèves soient libres de faire des essais partout où ils le veulent, sans la contrainte d’un nombre d’essais limités ni de durée. 68 En second lieu, il convient de s’assurer de la stabilité des éléments à l’écran. Les os du bras seront représentés sous forme d’images. Il faudra les assembler correctement pour pouvoir avancer dans le didacticiel. Ainsi, pour que l’élève reste concentré sur les points d’attache, nous avons fait le choix de maintenir les éléments assemblés une fois qu’ils étaient correctement positionnés. Il n y aura pas de retour en arrière possible à partir de cette étape.
Adaptation aux capacités cognitives des usagers
Il est également crucial de prendre en compte des savoirs et des savoir-faire des élèves en ce qui concerne l’outil informatique. Dans notre cas, il s’agit des élèves de cycle 3 de l’école élémentaire. La simplicité et la clarté de la simulation à l’écran nous paraissent ainsi très importantes. Cette notion de surcharge cognitive précisée par Wallet (1999) se résume à éviter l’accumulation de mots pendant la conception des outils multimédias. C’est pourquoi nous avons également fait le choix de ne pas mettre de son dans le didacticiel, ce que confirme une étude réalisée par Frédéric Péran (2000) dans laquelle l’auteur souligne que l’une des préoccupations majeures des différents acteurs en ce qui concerne les logiciels éducatifs est celui de limiter les animations et la musique. Enfin, Rouet (1997)26 a mis en évidence les difficultés d’un utilisateur à lire des informations à l’écran. Donc les étapes principales de l’activité seront présentées sous forme de courtes phrases et d’illustrations simples, accompagnée d’une légende textuelle.
Susciter la motivation
Le deuxième point est celui qui est lié au sentiment de la manipulation. Les jeunes aiment bien manipuler du matériel à l’école. Le transfert du modèle matériel sur écran diminuerait-il cet effet ? La “manipulation directe” par l’intermédiaire de la machine, introduite dans les années 1980, permet de donner aux usagers l’illusion qu’ils agissent eux-mêmes sur des objets représentés grâce à l’informatique. Les clics de souris dans des zones prévues à l’avance facilitent cette tâche. Ainsi l’utilisateur a l’impression de les réaliser lui-même à l’écran.
Contrôle
Avec l’aide de l’interface, l’usager doit avoir le sentiment de contrôler l’outil informatique. Ce critère est primordial dans notre cas. Notre objectif est de remplacer une activité matérielle utilisée lors des situations d’apprentissage à l’école par le virtuel. Or si les élèves n’ont pas le 26 Cité dans Séjourné (2003) 69 sentiment de réaliser une véritable activité à l’écran, cela nuirait tant à l’efficacité du logiciel que, directement, au processus d’acquisition de connaissances. Ainsi l’usager doit avoir le sentiment qu’il contrôle le système, qu’il choisit ce qui se passe, qu’il sait pourquoi il attend, ce qu’il trouvera ensuite et comment s’en sortir. Il est essentiel que la simulation que l’on propose soit claire et compréhensible par les utilisateurs. Dans le cas contraire, cela entraînerait des difficultés de compréhension et les élèves ne pourront pas profiter pleinement du système conçu.
Phases de la conception
Cette phase se décompose en trois étapes : • investigations préalables, • définition de l’interface, • production du scénario.
Investigations préalables
La production d’une séquence et d’un scénario exige la maîtrise du contenu à faire passer et la connaissance du public (Giordan & Guichard, 1997). Dans notre cas, le contenu à transmettre aux apprenants est celui du mouvement de la flexionextension du bras. Nous avons ainsi recherché les conceptions des élèves comme cela a été détaillé dans les paragraphes précédents : 97 % des élèves se trompent dans la conception du phénomène de flexion extension. De là repose le fondement du didacticiel : le centrer sur les points d’attache des deux muscles du bras : biceps et triceps. Cette situation-problème (Fabre, 1999) est déjà proposée par l’activité avec le modèle matériel dans les manuels pédagogiques pour l’enseignant (Hebrard, 1999). Côté contenu, nous nous sommes référés à la fois à ces ouvrages et à la fois aux programmes. Le scénario a également été adapté de l’activité avec le modèle en carton pour être ensuite élaboré pour le support virtuel.
Définition de l’interface
Avec un outil informatique, il n’existe pas de communication directe entre le système et son utilisateur : elle se fait au travers de l’interface qui détermine la manière et le mode d’utilisation par les usagers. L’interface est définie comme « le lien entre l’humain et la machine conformément aux besoins de chacun » (Circa, 1989). L’interface sert de lien entre la machine et son utilisateur, en favorisant la communication. Ainsi, un design d’interface efficace ne relève pas seulement de sa qualité ergonomique mais aussi de sa finalité. Principes d’ergonomie La présentation conjointe de l’information visuelle et verbale (texte et narration) sur un ordinateur ou dans un ouvrage favorise directement la compréhension. Il est ainsi moins efficace de présenter une information visuelle ou un texte seuls. Clark a montré que les facteurs qui influencent le processus d’apprentissage dépendent de la qualité de ce message présenté et non pas du support. C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’étudier deux éléments déterminants pour l’apprentissage : la contiguïté et le rôle des modalités visuelle et auditive dans la présentation de l’information. La structure générale pour laquelle nous avons optée, est identique pour les trois versions du didacticiel. Elle est constituée de deux parties (image et texte) qui prennent en compte la notion de la contiguïté. Contiguïté Selon le principe de la contiguïté étudié par Mayer et Anderson (1992)29, l’efficacité de l’apprentissage multimédia s’accroît lorsque les mots et les images sont présentés de façon simultanée (en contiguïté), plutôt que de façon isolée, dans le temps ou dans l’espace. Ce principe, dérivé de la théorie du double codage30, suppose que les sujets possèdent deux systèmes distincts de traitement de l’information. Le premier présente l’information sous forme verbale, le second sous forme visuelle. La présentation en contiguïté du texte et des images facilite la sélection de l’information pertinente et favorise ainsi la mémorisation et la compréhension
Légendes
Les légendes peuvent être présentées sous différentes formes dans un outil multimédia. Pour ne pas encombrer l’écran, nous avons adopté des légendes éphémères. Il s’agit de faire « apparaître une légende correspondant à un mot du commentaire lorsque celui-ci est pointé par le curseur de la souris, et à la faire disparaître dès que ce mot n’est plus pointé. »31 De cette manière nous avons pu garder nos images vierges, tout en autorisant la présence de légendes détaillées.
Production du scénario
Cette production est restée fidèle à celle qui accompagne la réalisation du modèle matériel afin de permettre une comparaison. La prise en compte de ce choix didactique est cruciale à ce niveau. Le scénario général consiste à : 1. Introduire l’activité et donner quelques rappels élémentaires ; 2. Mettre l’utilisateur face à une situation-problème (essai-erreur) : 3. Assemblage des éléments du bras présenté, 4. Mise en place du muscle fléchisseur (biceps) et recherche de son point d’attache, 5. Mise en place du muscle extenseur (triceps) et recherche de son point d’attache ; 6. Observer le mouvement de flexion-extension du bras à l’écran avec explications fournies. Nous avons confié au formateur en informatique de l’IUFM de Paris la programmation du didacticiel selon nos critères : utilisation de trois types d’images différentes et mise en œuvre de l’activité par essais successifs, en s’appuyant sur le support matériel. Il a été contraint de procéder à quelques choix suite à des questions d’ordres pratique et technique. Cela nous a obligé à écarter quelques idées préalables. Par exemple, les représentations du support matériel à l’écran ont été choisies entre plusieurs images disponibles dans des banques de données, comme ce fut le cas pour le schéma scientifique du bras, à notre goût trop petit et trop précis. Techniquement, la plate forme de développement utilisée était « Director 8 » ; l’export s’est fait en « shockwave » ce qui a l’avantage de pouvoir être intégré en « plug-in » dans une page web pour navigateurs de type 5 (et plus). Ceci assure la compatibilité de plate-forme autour d’un standard du marché. De plus, il n’y a pas de faille de sécurité introduite sur la machine hôte puisque le seul lieu possible d’enregistrement des travaux de l’élève s’effectue dans un dossier spécifique sans possibilité de remonter à l’arborescence de la machine. Une fois cette phase de conception achevée, la phase « diagnostic » a pu démarrer.
Phases de diagnostic
Diagnostic informatique
Plusieurs tests informatiques ont été réalisés sur les toutes premières versions du didacticiel. L’objectif principal au cours de cette étape fut, bien entendu, d’améliorer l’accessibilité de l’outil et de déceler, pour les ôter, les erreurs et/ou les ruptures de programmation Plusieurs réunions de l’équipe de conception ont été organisées afin de bien assurer la cohérence entre souhaits didactiques et contraintes techniques.
Diagnostic didactique, reconstruction du didacticiel et production finale
A ce stade, nous nous disposions d’une première version des trois didacticiels. Nous avons procédé à une série d’essais sur un groupe restreint d’apprenants afin de déceler : o les effets globaux du didacticiel par rapport aux apprentissages souhaités, o les difficultés rencontrées par l’apprenant. Nous avons effectué ces tests auprès de quelques élèves du cycle 3 des écoles Boileau et Bolivar à Paris (soit au total 10 enfants). En outre, les entretiens réalisés pendant ces tests, croisés avec l’étude du curriculum prescrit pour ce thème scolaire, nous ont permis de choisir les termes à utiliser ainsi que le vocabulaire scientifique adapté. 73 Ces essais nous ont également permis d’évaluer le didacticiel du point de vue de la compréhension des consignes et de l’ergonomie. En ce qui concerne les consignes, nous avons effectué plusieurs reformulations par rapport à nos choix initiaux. Enfin, suite à ces tests, nous avons proposé plusieurs améliorations : • mettre une consigne pour indiquer comment l’on progresse dans le didacticiel : « pour avancer dans le logiciel clique sur le bouton animé » ; • remplacer les voyants que l’on doit toucher à la fin de chaque mouvement de flexionextension du bras par un autre objet familier, un ballon par exemple. La principale difficulté avec les voyants était que les enfants les considéraient comme des boutons sur lesquels cliquer, ce qu’ils faisaient continuellement. De plus, le fait de les remplacer par un objet plus « sympathique » et familier accroît le côté ludique du didacticiel ; • simplifier le choix des couleurs sur les voyants qui étaient source de difficultés auprès des élèves ; • remplacer le bouton animé sur les écrans où sont prévus de trouver les points d’attache des muscles par un bouton fixe. Ce bouton attirait particulièrement l’attention des enfants (il s’agissait d’une flèche animée qui bougeait en bas à droite de l’écran) et les déconcentrait de la partie principale où les muscles et les os sont représentés ; • ajouter une partie explicative à la fin de la séquence. Cela était nécessaire après la réussite de la localisation des points d’attache. Elle permet de redonner les termes scientifiques parallèlement à l’observation des mouvements de flexion et d’extension. Le didacticiel renvoie ainsi à la réalité biologique. Une fois les différentes versions du didacticiel achevées, nous avons commencé à utiliser les simulations informatiques dans les situations d’enseignement.
Introduction |