La chute du mur de Berlin en novembre 1989 marque le démarrage d’une irréversible période de transition économique pour les pays d’Europe Centrale et de ceux issus de la désagrégation de l’URSS. Il est permis pour la première fois d’observer l’effondrement de tout un système économique, à savoir l’abandon de la planification centralisée, la reconnaissance de la propriété privée, l’ouverture sur les économies occidentales, l’abandon d’un espace marchand commun (le CAEM) lequel comprenait de nombreux pays, aux langues et cultures multiples . La mutation à l’Est concerne tous les rouages des économies anciennement membres de ce que l’on appelait encore récemment le «bloc de l’Est». Les institutions, les relations politiques et commerciales entre les agents, les mentalités, le traitement de l’information, les règles de concurrence, les rapports de forces géopolitiques, autrement dit tous les ingrédients participant à la vie économique et sociale ont été bouleversés.
Toutes ces transformations représentent un défi sans précèdent à la fois pour les décideurs de politiques économiques de ces Etats mais aussi pour la communauté internationale impliquée massivement dans le financement et le contrôle de ces programmes.
L’exercice est hors du commun car il n’existe aucune expérience passée qui puisse être utile pour diriger habilement ce processus de mutation. Parvenir à une compréhension approfondie des problèmes économiques surgissant au cours de cette période transitoire est une tâche si ardue, qu’elle ne peut se dispenser d’une méthode d’analyse précise.
En effet, il serait inutile de chercher à présenter de manière exhaustive l’ensemble des mécanismes économiques et monétaires activés dans tous les Etats situés derrière «le rideau de fer». Une telle entreprise n’aboutirait à aucun résultat tant les différences sont importantes entre les pays. Chacun d’entre eux a son propre passé, ses particularismes régionaux et locaux, ses richesses naturelles, sa culture.
Une autre alternative, consistant en l’étude d’un seul pays, pourrait être concevable. Cependant cette démarche est véritablement réductrice. La transition est un phénomène global, marqué par une forte interdépendance entre des économies anciennement planifiées. Les échanges marchands étaient encore récemment régis par des schémas de coordination établis à un niveau dépassant le simple cadre d’une économie nationale.
Situer l’analyse entre les deux options, à savoir affronter directement l’ensemble des problèmes ou bien cibler la situation d’un pays particulier, exige de trouver un fil directeur guidant la réflexion. Aussi, l’option théorique qui s’impose à quiconque cherche à comprendre l’ampleur des transformations économiques en présence à l’Est de l’Europe, est de déterminer un angle d’attaque, une «loupe grossissante» au travers de laquelle il devient possible de mettre de l’ordre dans tout ce désordre, de tirer un enseignement de toute cette diversité. En d’autres termes, il s’agit de trouver un dénominateur commun à tous ces pays.
Le choix de la «loupe» s’est naturellement imposé. Depuis le démarrage de la transition, toutes les économies auxquelles nous nous intéressons ont subi, ou subissent encore une considérable instabilité monétaire. Cette dernière a pu être observée au travers de fortes, persistantes et erratiques augmentations de prix.
Aussi, très rapidement, la résolution des déséquilibres monétaires a constitué le plus important problème auquel devaient faire face toutes ces économies. Les épisodes d’inflation forte, voire d’hyperinflation ont constitué et constituent encore pour de nombreux pays un puissant frein à la mise en place des réformes structurelles visant à instaurer des mécanismes de marché. Les pressions sur les prix ont contribué à une incertitude économique, à une instabilité, à l’appauvrissement de certains groupes vulnérables, à l’évasion de capitaux et à une période d’ajustement prolongée.
Ainsi, pour comprendre les mécanismes économiques activés par l’écroulement du système de planification centralisée, il s’agit avant tout d’étudier les phénomènes monétaires car ils sont à la fois au coeur de tout système d’échange et constituent la clef permettant un retour à un sentier de croissance. L’analyse de la monnaie et des prix représentera donc notre «angle d’attaque» pour la compréhension des mutations économiques et sociales vécues par les ex-pays membres du ComEcon. Ce choix méthodologique procure plusieurs avantages tout autant au niveau de la théorie monétaire, que de la politique économique dans son ensemble.
En terme de théorie monétaire, les récents épisodes d’inflation forte qui ont pu être observé dans les pays de l’Est en transition posent un certain nombre de questions. La grande hyperinflation allemande de 1923 marque le point de départ d’une abondante littérature sur les inflations fortes, laquelle fut par la suite régulièrement développée au grès des aléas de l’actualité monétaire qui ont marqué le vingtième siècle. La plupart des travaux furent construits sur la base du modèle présenté par Cagan en 19562 . Depuis les différentes vagues d’inflation chroniques subies par plusieurs pays d’Amérique Latine et par Israël dans les années 80, le développement de la littérature sur les inflations fortes s’était quelque peu ralenti. Au début des années 90, l’apparition de fortes pressions sur les niveaux de prix dans la plupart des pays de l’Est a suscité un regain d’intérêt de la part de la Science Economique pour l’étude des situations d’extrême instabilité monétaire. Près de sept années se sont écoulées depuis la chute du mur de Berlin et la masse de travaux de recherche visant à confronter la théorie monétaire à la réalité des faits observés dans les économies anciennement membres du pacte de Varsovie est considérable.
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