Inflammation aiguë pulmonaire en réanimation
Définitions, incidences
Les pneumonies nosocomiales ou pneumonies acquises à l’hôpital sont fréquentes et représentent la deuxième cause d’infection nosocomiale (American Thoracic and Infectious Diseases Society of 2005). Elles se définissent par le fait qu’elles n’étaient ni présentes, ni en cours d’incubation lors de l’admission du patient à l’hôpital, avec un délai minimum de 48 heures séparant l’admission du début de l’infection. La survenue d’une pneumonie nosocomiale dans les suites d’une chirurgie définit une sous-catégorie spécifique de pneumonie nosocomiale : la pneumonie nosocomiale post-opératoire (PNPO). L’une des spécificités essentielles qui différencient la PNPO des autres pneumonies acquises à l’hôpital réside dans la réalisation d’une chirurgie sous anesthésie, le plus souvent générale, ayant nécessité une intubation endotrachéale accompagnée d’une ventilation artificielle plus ou moins prolongée. Cependant, la ventilation artificielle au moment du diagnostic n’entrant pas dans la définition de PNPO, elle concerne des patients ventilés (moins ou plus de 48 heures) ou non (extubés, en ventilation spontanée). Les pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM) constituent un autre sous-groupe des pneumonies nosocomiales survenant spécifiquement chez les sujets ventilés depuis au moins 48h. Les PAVM peuvent également se rencontrer dans un contexte post-opératoire. Ces PAVM post-opératoires constituent alors un sous-groupe des PNPO. La limite de 5 jours de ventilation mécanique est classiquement acceptée pour différentier les PAVM précoces des PAVM tardives (Langer, et al. 1987). Nous verrons par la suite que l’intubation endotrachéale et la ventilation artificielle constituant le dénominateur commun entre PNPO et PAVM, conditionnent une physiopathologie commune, et donc une stratégie préventive centrée sur des cibles communes. Les pneumonies nosocomiales rencontrées en réanimation sont donc de deux types : -les PNPO (incluant les PAVM post-opératoires) -les PAVM (à distance ou en dehors de toute chirurgie) Les PNPO, globalement moins étudiées que les PAVM, touchent pourtant 1,3% (Delgado-Rodriguez, et al. 1997, Martin, et al. 1984) à 17,5% (Garibaldi, et al. 1981) des patients toutes chirurgies confondues et 20% des patients en post-opératoire de chirurgie vasculaire majeure, avec une augmentation importante après 48 heures de ventilation mécanique. Une incidence de 40% a été décrite en postopératoire de chirurgie thoracique. La grande variabilité des incidences recueillies dans la littérature s’explique par la difficulté de l’établissement du diagnostic de PNPO dans le contexte inflammatoire de réanimation, l’hétérogénéité des critères diagnostiques utilisés, les différents types de chirurgie ainsi que l’hétérogénéité des populations étudiées (Shander, et al. 2011). L’étude épidémiologique française EOLE menée dans 150 centres (Montravers, et al. 2002), a par exemple montré que sur la totalité des patients ayant présenté un épisode de PNPO, 31% étaient diagnostiqués de façon certaine, et 47% de façon probable. L’incidence des PAVM varie largement d’un service de réanimation à un autre en fonction principalement de la stratégie diagnostique employée et de la population étudiée. Les densités d’incidence des PAVM retrouvées dans la littérature varient de 1 à 20 cas, avec une moyenne de 7 cas pour 1000 jours de ventilation mécanique (Hubmayr, et al. 2002). L’incidence des PAVM représente quant à elle 8 à 28% des patients sous ventilation mécanique, 10 à 20% des patients ventilés depuis plus de 48 heures, ce qui en fait la principale complication infectieuse nosocomiale en réanimation (Chastre and Fagon 2002, Shander, et al. 2011). Cette incidence est maximale et estimée à 3%/jour pendant les 5 premiers jours de ventilation mécanique, puis diminue à 2%/jour du cinquième au dixième jour, pour arriver à 1%/ jour au-delà du dixième jour (Cook, et al. 1998).
Morbi-mortalité, impacts économiques
Les PNPO majorent la durée d’hospitalisation de 7 à 9 jours, et entrainent dans les études américaines un surcout estimé de 40 000 U.S. dollars par patient et par épisode (American Thoracic and Infectious Diseases Society of 2005, Cook, et al. 1998). La mortalité associée aux PNPO varient dans les 19 études de 15 à 45% (Dupont, et al. 2003, Ghaferi, et al. 2009, Sabate, et al. 2014, Shander, et al. 2011). Ghaferi et al, ont par exemple retrouvé une mortalité associée entre 16,5 et 25,5% majorée jusqu’à 31% en cas de ventilation mécanique associée (Ghaferi, et al. 2009). Dans l’étude EOLE (Montravers, et al. 2002), la mortalité globale était de l’ordre de 20% mais la mortalité attribuable aux PNPO était de 5 à 7%. Toutes les PNPO ne nécessitent pas l’hospitalisation en réanimation (19 à 33% dans l’étude EOLE), néanmoins lorsque celle-ci s’impose, cette complication se grève d’une mortalité associée plus élevée, se rapprochant de celle rencontrée dans les PAVM (Dupont, et al. 2003). Dans cette même étude, malgré la précocité de survenue de la pneumopathie, la proportion de germes nosocomiaux était élevée. Shander et al (Shander, et al. 2011) ont d’ailleurs montré que les micro-organismes isolés dans les PNPO étaient identiques à ceux des PAVM avec une prédominance de germes type Streptococcus spp, Staphylococcus spp et Haemophilus influenzae dans les infections précoces et une prédominance de bacilles gram négatif et de micro-organismes multi résistants type Pseudomonas spp et Staphylocoque aureus méticilline résistants dans les infections plus tardives. En réanimation, elles imposent la mise en route d’une antibiothérapie probabiliste et jouent un rôle dans la pression de sélection microbiologique (Bergmans, et al. 1997, Kollef 2005, Singh, et al. 1998). En ce qui concerne les PAVM, La plupart des études (études multivariées de cohorte ou de type castémoins) établissent leur mortalité imputable de 0% à 50%, les risques ratio de mortalité attribuable variant de 1 à 23,2 (American Thoracic and Infectious Diseases Society of 2005, Chastre 2008, Hubmayr, et al. 2002, Safdar, et al. 2005). La récente méta-analyse de Melsen et al. établie une moralité imputable globale à 13% (Melsen, et al. 2013). Les PAVM sont responsables d’une augmentation de la durée de ventilation mécanique de 10 jours, de la durée de séjour en réanimation de 4 à 18 jours et de la durée d’hospitalisation de 11 jours (Hubmayr, et al. 2002, Rello, et al. 2002, Safdar, et al. 2005). Par conséquent, elles représentent un surcoût économique global important évalué entre 5000 et 14000 U.S. dollars par patient et par épisode (Cook, et al. 1998, Rello, et al. 2002). Les PAVM motivent jusqu’à 50% des prescriptions d’antibiotiques en réanimation (American Thoracic and Infectious Diseases Society of 2005, Barbut and Coignard 2006, Chastre 2008). Leurs répercussions sur le pronostic des patients sont d’autant plus sévères que la PAVM est tardive (Kollef, et al. 1995).
Facteurs de risque
Les facteurs de risque associés aux PNPO se divisent en facteurs liés aux patients et ceux liés à l’intervention chirurgicale (Dupont, et al. 2003, Fujita and Sakurai 1995, Garibaldi, et al. 1981, Montravers, et al. 2002, Smetana, et al. 2006). Les facteurs de risque liés aux patients sont principalement : l’âge supérieur à 65 ans le score ASA supérieur à II le tabagisme actif les antécédents de bronchopathie chronique obstructive (BPCO) les antécédents de diabète les antécédents d’insuffisance cardiaque Les facteurs liés à la chirurgie concernent (Fujita and Sakurai 1995, Garibaldi, et al. 1981): le type de procédure chirurgicale la voie d’abord la durée d’intervention le saignement peropératoire la transfusion massive De nombreuses études multivariées ont pu établir un certain nombre de facteurs de risques indépendants de PAVM. Ils sont représentés dans le Tableau 1-1. Dans le cadre de la pneumonie nosocomiale, l’intubation endotrachéale, commune aux PNPO et PAVM, constitue à elle seule un facteur de risque indépendant de pneumonie avec des risques relatifs allant de 7 à 21 (Levine and Niederman 1991).
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