Infections ostéo-articulaires à Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis
Infections ostéo-articulaires à Staphylococcus aureus
épidémiologie moléculaire Les infections nosocomiales et l’émergence de clones communautaires de SARM constituant des enjeux majeurs de santé publique, la grande majorité des études cliniques et fondamentales sur les IOA à S. aureus portent sur les souches résistantes à la méticilline. En particulier, la corrélation entre l’internalisation dans les ostéoblastes et la chronicité des IOA a été démontrée dans notre laboratoire à partir des principaux clones de SARM circulants [324]. De plus, l’importante clonalité des SARM et l’association des clones communautaires et nosocomiaux à des entités cliniques relativement homogènes a rendu possible une corrélation bactério-clinique sans avoir accès à des données cliniques extensives. Toutefois, les SASM restent très majoritairement représentés dans les IOA, y compris sur matériel. Nous avons donc souhaité confirmer les résultats obtenus avec les SARM en utilisant une collection de souches cliniques de SASM responsables d’IOA. Tous les patients porteurs d’une IOA à SASM suivi dans le CRIOAC des Hospices Civils de Lyon entre 2001 et 2011 ont été considérés pour l’inclusion dans notre cohorte. Conformément aux recommandations actuelles, le diagnostic d’IOA était basé sur l’existence de signes cliniques, radiologiques et biologiques d’IOA, et d’au moins un prélèvement bactériologique de référence (i.e. ponction articulaire, prélèvement chirurgical et/ou hémoculture) positif à SASM [11–13]. Les dossiers cliniques ont été analysés et les informations pertinentes ont été recueillies dans une grille de recueil standardisée, incluant données démographiques, antécédents (résumés par l’index de comorbidités de Charlson [334]), type d’IOA, présentation clinique, biologique et radiologique, prise en charge médicale et chirurgicale, et évolution. Deux cent onze patients ont ainsi été identifiés. Après analyse des dossiers cliniques, six ont été exclus du fait de données manquantes trop importantes, ainsi que trois patients porteurs d’une IOA de contiguïté sur mal perforant plantaire, du fait des caractéristiques physiopathologiques et de la prise en charge particulières de ces infections [28]. Parmi les 202 patients restant, 116 souches cliniques avaient été conservées. Les souches issues d’une récidive (n=19) et les souches de SCVs stables (n=2) ont été exclues. Au final, 95 couples patients-souches ont été inclues, représentant 64 (67.4%) IOA aiguës (délai entre le début des symptômes et le diagnostic ≤ 4 semaines) et 31 (32.6%) IOA chroniques. 96 La première étape d’analyse de cette collection a été de déterminer le fond génétique de ces souches de SASM. La première méthode utilisée était basée sur la technique de référence du spa typing, consistant en l’amplification et au séquençage de la région X du gène de la protéine A (spa), hautement polymorphique, et porteuse de séquences nucléotidiques répétées. Le fond génétique est alors déterminé par la séquence, le nombre de répétitions et l’ordre de ces séquences répétées [335,336]. La seconde méthode a consisté en l’utilisation d’une puce à ADN, permettant la détection simultanée de 172 gènes de virulence et de résistance. L’analyse des informations fournies par la puce a également permis l’attribution d’un complexe clonal, comme décrit précédemment [337]. Comme attendu pour une collection de SASM, le screening de notre collection a mis en évidence une importante diversité génétique, retrouvant 17 complexes clonaux différents, dont 7 incluaient au moins 5 souches différentes. Ce résultat était concordant avec la seule étude rapportant une analyse de clonalité des SASM responsables d’IOA menée en Allemagne en 2005-2006 [338]. Cette étude mettait également en avant une grande diversité génétique, et retrouvait les mêmes clones prédominant (CC8, CC45 et CC30 notamment). Toutefois, un élément marquant a été la constatation de 9 souches (9.5%) appartenant au complexe clonal 398 (CC398). Ce clone de SASM n’avait en effet jamais été décrit dans les IOA. En revanche, son homologue résistant à la méticilline est mis en avant depuis une dizaine d’années comme le principal représentant des clones de SARM émergent du réservoir animal [339,340]. Initialement décrit comme colonisant de nombreuses espèces animales, le SARM CC398 a secondairement été associé à de nombreuses infections humaines [340]. Une étude moléculaire récente a mis en évidence que ce clone de SARM pourrait en fait provenir d’un SASM CC398 humain [339], peu décrit chez l’animal mais associé à la colonisation humaine de 0.2 à 3.7% de la population, et à diverses situations pathologiques telles que les infections respiratoires, de la peau et des tissus mous, des endocardites infectieuses et des bactériémies [341–344]. Enfin, sur les 9 SASM CC398 de notre collection (2001-2011), 8 provenaient de souches isolées à partir de 2009, évoquant une émergence récente de ce clone. Afin de mieux caractériser ce phénomène, nous avons voulu mener une étude épidémiologique plus large, incluant 485 souches de SASM isolées d’IOA et 348 SASM responsables de portage nasal dans 5 centres français. Les collections de ces différents centres ont été criblées à l’aide d’une PCR spécifique du clone CC398, amplifiant le gène sau1- hsdS1, comme précédemment décrit [345].
Détection de la delta-toxine
un nouveau marqueur diagnostique de la chronicité des infections ostéo-articulaires à Staphylococcus aureus lié à l’internalisation dans les ostéoblastes et à la formation de biofilm Le délai d’évolution des IOA impacte de manière importante leur prise en charge, notamment en cas d’IOA sur matériel orthopédique. En effet, les recommandations nationales et internationales actuelles préconisent une ablation totale du matériel orthopédique en cas d’IOA chronique, alors qu’un traitement conservateur, avec simple lavage et débridement, est envisageable en cas d’IOA aiguë [5,11,13]. D’après ces mêmes recommandations, la définition de la chronicité des IOA est basée sur un délai d’évolution entre le début de l’infection (début des symptômes, ou, en cas d’infection sur matériel, date de l’inoculation correspondant la plupart du temps à la mise en place du matériel) et la prise en charge de 3 à 4 semaines. Cependant, cette définition est arbitraire, sans qu’aucun substrat objectif biologique ou microbiologique ne puisse guider la prise en charge. Or, les quelques séries disponibles décrivant des patients porteurs d’une IPA bénéficiant d’un traitement conservateur montrent des taux d’échec très variables, même au sein de ces quatre premières semaines d’évolution de l’infection. Zürcher-Pfund et al. décrivent même un taux d’échec de 84.6% chez 11 patients porteurs d’une IPA aiguë (durée d’évolution ≤ 3 semaines) après traitement conservateur [346]. Ces mêmes auteurs proposent dans leur discussion une synthèse des publications de 1980 à 2012, incluant 599 IPA avec traitement chirurgical conservateur. Même si les situations incluses sont très hétérogènes (type de patients, délai d’évolution, bactéries impliquées …), le taux d’échec global est de 47.4%. Une large étude rétrospective multicentrique récente, incluant 345 épisodes d’IPA, retrouve même qu’une durée d’évolution des symptômes supérieure à 10 jours est associée à un risque d’échec multiplié par 2 (1.13- 4.18 ; p=0.042) [347]. La recherche de marqueurs objectifs de chronicité pouvant guider les indications de prise en charge des IOA semble donc essentielle. Comme nous l’avons vu en introduction, trois mécanismes phénotypiques bactériens ont été associés à la chronicité au cours des IOA staphylococciques : i) la formation de biofilm [209,210]; ii) l’internalisation bactérienne au sein de cellules osseuses non phagocytaires, et notamment des ostéoblastes [169,170]; et iii) le switch vers le phénotype SCV [17,215,216]. Une étude récente menée dans notre laboratoire sur les principaux clones de SARM circulants a ainsi mis en évidence que les souches hospitalières, habituellement responsables d’IOA persistantes et indolentes, avaient 102 une capacité d’internalisation dans les ostéoblastes et une cytotoxicité moindres que les souches communautaires, généralement associées à des formes aiguës. Il faut noter que la grande majorité de ces études ont porté sur des souches de laboratoire, et visaient à décrire les mécanismes fondamentaux impliqués dans ces voies supposées de récurrence et de chronicité. De plus, la dysfonction du système agr, principal régulateur de l’expression des facteurs de virulence staphylococciques, a été associée à des formes persistantes d’infections staphylococciques, incluant bactériémies et infections respiratoires, notamment du fait d’une augmentation de la capacité de formation de biofilm [234–237]. Nous avons donc souhaité décrire les capacités de formation de biofilm, d’internalisation dans les ostéoblastes et de switch intra-cellulaire pour le phénotype SCV de notre large collection de souches cliniques de SASM, et corréler ces résultats avec le tableau clinique présenté par les patients, ainsi qu’avec la fonctionnalité du système agr.
Action intra-ostéoblastique des antibiotiques
un nouveau paramètre à prendre en compte dans le traitement des infections ostéo-articulaires à Staphylococcus aureus ? Comme nous l’avons vu dans la synthèse bibliographique, le choix de l’antibiothérapie dans le traitement des IOA staphylococciques est aujourd’hui principalement guidé par l’activité anti-bactérienne intrinsèque des molécules disponibles et leur diffusion intra-osseuse [4,5,11– 13,33,112]. Toutefois, l’impact thérapeutique potentiel des mécanismes physiopathologiques bactériens impliqués dans les IOA a récemment été pris en compte dans les recommandations. En particulier, du fait de son activité « anti-biofilm », la rifampicine a ainsi pris une place de choix dans la stratégie thérapeutique des IOA, notamment en cas de traitement conservateur d’une IOA sur matériel orthopédique [252,269,270]. En revanche, alors que l’internalisation staphylococcique au sein de cellules osseuses non phagocytaires telles que les ostéoblastes pourrait conduire à la constitution d’un autre réservoir bactérien à l’origine de la chronicité et de rechute, l’action intracellulaire des anti-staphylococciques n’est en revanche actuellement pas prise en compte dans l’élaboration des stratégies thérapeutiques des IOA. Ceci s’explique par le fait qu’il n’existe que peu de données sur le sujet. En effet, les principales études disponibles sur l’activité intra-cellulaire des antibiotiques évaluent l’action de quelques molécules utilisées à fortes doses dans des modèles d’infection de cellules monomacrophagiques [300,301,306]. De même, si les profils de sensibilité SCV aux antibiotiques des souches sont souvent moins favorables que ceux des souches de phénotype usuel, ces différences ne sont actuellement pas prises en compte dans les choix thérapeutiques des IOA [312,319,320]. Sur la base des résultats présentés dans les pages précédentes, confirmant l’importante du processus d’internalisation bactérienne par les ostéoblastes dans les phénomènes de chronicisation des IOA staphylococciques, nous avons souhaité évaluer l’activité intracellulaire des principaux anti-staphylococciques dans notre modèle. Les antibiotiques et le mode de vie intra-cellulaire pouvant constituer un mode de sélection de SCV, nous avons également évalué l’impact de ces antibiotiques sur l’émergence intra-cellulaire de SCV.
LISTE DES ABREVIATIONS |