Indices de spectre et mesure par chambre à fission

L’inférence Bayésienne

Pour réaliser une assimilation de données, il est nécessaire de regrouper deux types d’information : les distributions de probabilité des connaissances a priori des paramètres de modèles ; les distributions associées aux données expérimentales et aux grandeurs théoriques, représentées par une densité de probabilité multivariée appelée vraisemblance (“likeli-hood” en anglais). ’inférence Bayésienne fait intervenir ces distributions et reste donc une approche probabiliste. L’estimation des paramètres de modèles a posteriori s’appuie sur le théorème de Bayes généralisé à des densités de probabilité continues des paramètres de modèles.
Le concept de l’analyse bayésienne est de partir d’une connaissance a priori des paramètres de modèles et de construire la densité a posteriori incluant les nouvelles informations apportées par les expériences (représentées par la vraisemblance). La mesure favorise et oriente certaines valeurs des paramètres. Une densité de probabilité nouvelle est alors obtenue pour les paramètres de modèles qui donne accès aux moments des distributions (moyennes et covariances).

Le domaine du continuum

Le domaine du continuum concerne les énergies à partir de quelques keV pour les noyaux lourds et de l’ordre du MeV pour les noyaux légers. Il commence dans la plupart des cas après le domaine non-résolu et parfois à partir de la fin des résonances résolues, introduisant alors des hypothèses fortes vis-à-vis des calculs d’autoprotection en neutronique .
Ce domaine en énergie est important pour les réacteurs à neutrons rapides, puisque la plus grande population de neutrons se trouve au-dessus du keV. La complexité des réactions nucléaires dans le domaine du continuum est due à la présence de nombreux mécanismes d’interaction nucléaire, la contribution de chacun pouvant varier suivant l’énergie de la particule incidente. On distingue les mécanismes suivants :
la diffusion potentielle élastique : le neutron est supposé ne pas rentrer pas en contact avec les nucléons ;
les réactions passant par la formation d’un noyau composé. De façon générale, plus la particule incidente est énergétique, moins la part du noyau composé est importante ;
les réactions passant par un état de pré-équilibre du noyau : ces réactions interviennent généralement à plus haute énergie (> 4 MeV). Dans une vision semi-classique, la particule incidente va subir plusieurs chocs avec les nucléons du noyau. Le système ainsi formé peut émettre une particule avant d’atteindre un équilibre, comme dans le cas du noyau composé.

Gestion des incertitudes

Lorsqu’on rend compte du résultat d’une mesure d’une grandeur physique, il faut obligatoirement donner une indication quantitative sur la qualité du résultat. Cela permet à ceux qui l’utiliseront d’en estimer la fiabilité. Les valeurs expérimentales sont souvent issues d’un processus de réduction de données. Les grandeurs mesurées à l’origine, ou données brutes, sont souvent un nombre de coups. De façon générale, ce nombre de coups suit une loi statistique bien précise et souvent une distribution de Poisson (qui tend vers une gaussienne lorsque le nombre de coups devient grand). Cette distribution possède une variance non nulle et fournit ainsi une incertitude statistique. De plus, lorsque la valeur mesurée est transformée en une grandeur ou observable (comme une section efficace), plusieurs opérations entraînant des corrélations sont réalisées. Les incertitudes intervenant dans ces processus sont appelées incertitudes systématiques. Elles peuvent provenir de : la normalisation ; la correction du temps mort ; la soustraction du bruit de fond ; la calibration avec une section efficace de référence ; la composition de la cible ; la fonction de résolution de l’installation.

Expériences d’irradiation et d’activation

Il existe de nombreuses mesures de composition isotopique après irradiation en réacteur, donnant des informations sur les données nucléaires de base. Cela peut être des mesures de pastilles irradiées comme les expériences TRAPU dans PHENIX ou encore des ana- lyses de combustibles usés en sortie d’un réacteur de production. Les expériences PROFIL, PROFIL-2, PROFIL-R et PROFIL-M dans le réacteur PHENIX sont une source d’informations précises pour les sections efficaces d’absorption. Ce sont des irradiations d’échantillons d’isotope aussi pur que possible, pendant plusieurs cycles d’exploitation du réacteur. Des analyses isotopiques avant et après irradiation donnent des mesures très sensibles à un type de réaction précis. Souvent, les mesures sont réalisées par méthode destructive. Il est courant d’avoir recours à une analyse isotopique par ICPMS (Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) qui permet d’atteindre des incertitudes de mesure de l’ordre du pour mille. Cette méthode permet de détecter des isotopes avec des concentrations très faibles de l’ordre de 1 pour 109. Cela est possible en ionisant l’échantillon à analyser, grâce à un plasma obtenu par chauffage inductif. Un spectromètre de masse est ensuite utilisé pour séparer et quantifier les ions crées dans plasma.
Les expériences d’activation sont similaires aux expériences d’irradiation. La différence réside dans le niveau de flux qui est bien plus faible dans une expérience d’activation. La consommation de l’isotope analysée est alors négligeable au cours de l’irradiation. Les échantillons activés sont ensuite analysés à l’aide de techniques non destructives. Un autre type d’expérience est l’activation de dosimètres dans un réacteur. La dosimétrie permet d’obtenir des informations sur la forme du flux neutronique dans une configuration donnée. On peut également citer l’exemple de l’expérience PERLE (Programme d’Étude de Réflecteur Lourd dans ÉOLE) dans le réacteur de recherche Eole à Cadarache, qui utilise en partie des dosimètres pour valider/qualifier une évaluation du fer 56.

Indices de spectre et mesure par chambre à fission

Pour réaliser des mesures de flux en relatif ou en absolu, il est possible d’utiliser des chambres à fission. Ce sont des détecteurs constitués d’une enceinte remplie d’un gaz neutre et isolant et de deux électrodes métalliques entre lesquelles est appliquée une différence de potentiel. Quelques microgrammes d’un isotope fissile sont déposés en couche mince sur l’anode. Lorsqu’un neutron arrive sur l’anode, il peut induire une fission. Cette réaction crée deux fragments de fission avec des angles d’émission de 180°. Ainsi, un fragment va s’arrêter dans l’anode tandis que le second va ioniser la chambre. Les charges alors produites sont captées par les électrodes grâce à la tension qui règne entre ces deux dernières. A l’aide d’un calibrage, un flux peut être déterminé. Il existe plusieurs types de chambres à fission avec des dépôts d’isotopes différents comme l’ 233U, 235U, 238U ou encore la famille des plutonium. On ne mesure pas les mêmes domaines en énergie du flux selon l’isotope choisi. Par exemple, en choisissant l’238U, on aura une image du flux dans la partie rapide d’un réacteur, car la fission est négligeable en-dessous de 800 keV. Les chambres à fission sont habituellement utilisées pour deux types d’application :
les mesures statiques : elles sont dédiées aux mesures de paramètres d’intérêt pour la physique des réacteurs, notamment les distributions axiales et radiales de taux de fission dans le cœur, ou les indices de spectre qui permettent de qualifier les calculs de spectre neutronique en un point précis du cœur. Les indices de spectre sont des informations combinées de plusieurs mesures avec des chambres à fission différentes. Par exemple, les rapports des chambres à fission 235U/238U donnent une indication sur la dureté du spectre. Plus ce ratio est faible, plus le spectre est rapide.
les mesures dynamiques : elles ont pour but de fournir des éléments de qualification pour les études de sûreté. Il s’agit par exemple des mesures de temps de doublement et des mesures de chute de barres permettant d’estimer leur poids en réactivité.

Table des matières

Introduction générale
1 Évaluation des données nucléaires
1.1 Principes de l’évaluation des données nucléaires
1.1.1 Concept général de l’évaluation
1.1.2 L’inférence Bayésienne
1.2 Éléments théoriques de physique nucléaire
1.2.1 Les interactions neutron-noyau
1.2.2 Le domaine des résonances résolues (RRR)
1.2.3 Le domaine des résonances non-résolues (URR)
1.2.4 Le domaine du continuum
1.3 Les expériences microscopiques
1.3.1 Technique du temps de vol
1.3.2 Mesures des différentes sections
1.3.3 Gestion des incertitudes
1.3.4 Exemple : mesure de transmission pour l’238U
1.4 Les expériences intégrales
1.4.1 Benchmark criticité
1.4.2 Expériences d’irradiation et d’activation
1.4.3 Indices de spectre et mesure par chambre à fission
1.4.4 Oscillation d’échantillon
1.4.5 Gestion des incertitudes
1.4.6 Exemple : Jezebel (239Pu)
1.5 Le code d’évaluation CONRAD
1.6 Les bases de données
1.6.1 Un format universel : ENDF
1.6.2 Les bibliothèques de données nucléaires
1.7 Synthèse
2 Méthodes de résolution de l’inférence Bayésienne
2.1 Principes généraux de l’inférence Bayésienne
2.2 Résolution analytique
2.3 Résolution stochastique
2.3.1 Méthode Classique
2.3.2 Méthode avec Importance
2.4 Exemples et cas de validation
2.4.1 Cas didactique n°1 : URR 238U
2.4.2 Cas didactique n°2 : RRR 155Gd
2.5 Traitement des incertitudes systématiques
2.5.1 Méthode Analytique
2.5.2 Méthodes stochastiques
2.5.3 Exemple de l’238U
2.6 Synthèse
3 Méthodes d’ajustement sous contraintes microscopiques
3.1 Évaluation traditionnelle : utilisation des expériences microscopiques
3.1.1 Les données de base
3.1.2 Utilisation des expériences microscopiques
3.2 Évaluation des incertitudes en utilisant des fichiers évalués
3.2.1 Construction rétroactif de l’a priori à partir d’une évaluation
3.2.2 Application au 239Pu
3.3 Utilisation de plusieurs théories et des incertitudes systématiques
3.3.1 Principe
3.3.2 Exemple sur le 23Na
3.3.3 Exemple sur l’238U
3.4 Formalisme des multiplicateurs de Lagrange
3.4.1 Formalisme
3.4.2 Continuité de la section efficace
3.5 Synthèse
4 Assimilation de Données Intégrales
4.1 Amélioration des évaluations en utilisant les expériences intégrales
4.1.1 Assimilation de Données Intégrales sur les sections efficaces multigroupes
4.1.2 Assimilation de Données Intégrales sur les paramètres de modèles
4.1.3 Outils de neutronique pour l’assimilation de données intégrales
4.1.4 Outils de traitement pour l’assimilation de données intégrales
4.2 Application au 239Pu
4.2.1 Description du problème et schémas mis en œuvre
4.2.2 Retours sur les paramètres de modèle en utilisant Jezebel
4.2.3 Retours multigroupes en utilisant Jezebel
4.2.4 Résultats et analyses
4.3 Synthèse
5 Utilisation des expériences intégrales
5.1 Interprétation des expériences PROFIL et PROFIL-2
5.1.1 Les programmes PROFIL
5.1.2 Méthode de propagation des incertitudes
5.1.3 Les données nucléaires de l’235U et de l’238U
5.1.4 Résultats et discussion pour PROFIL-2A
5.1.5 Bilan et résultats finaux
5.2 Utilisation d’expériences intégrales pour l’238U
5.2.1 Description de l’expérience réalisée dans MASURCA
5.2.2 Matrice de covariance a priori
5.2.3 Résultats a posteriori et discussion
5.3 Utilisation des résultats PROFIL et Jezebel pour le 239Pu
5.4 Synthèse
Conclusions générales & Perspectives
A Contexte historique des données nucléaires
A.1 D’Henry Becquerel à Ernest Rutherford
A.2 De la découverte du neutron à la première réaction en chaîne
B Éléments de neutronique
B.1 Le transport spatial
B.2 Les disparitions (absorptions et diffusions)
B.3 La source de diffusion
B.4 La source de fission
B.5 Les autres sources
B.6 Formulation de l’équation de transport
C Résolution de l’inférence Bayésienne – algorithme de Metropolis
C.1 Principe
C.2 Résultats
D Outils de probabilité
D.1 Variable aléatoire unidimensionnelle
D.2 Variable aléatoire multivariée
E Propagation des incertitudes
E.1 Développement limité d’une fonction C (~x)
E.2 Calcul de l’espérance de C (~x)
E.3 Calcul de la covariance entre Ck (~x) et Cl (~x)
E.4 Calcul de la variance entre de C (~x)
F Rendements mesurés pour l’235U dans PROFIL et PROFIL-2
F.1 Importance des rendements de fission
F.2 Évaluation des rendements des néodymes de fission
F.3 Résultats de l’interprétation des expériences PROFIL et PROFIL-2
Bibliographie

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