Le 20ème siècle a connu un développement sans précédent des échanges commerciaux internationaux. Les personnes physiques se sont aussi déplacées entre Etats beaucoup plus que par le passé. Les Etats ont favorisé ces échanges en créant de nombreuses CDPI (Conventions de prévention des doubles impositions). Les nouvelles technologies, des cas éclatants de fraudes, et probablement aussi l’endettement croissant des Etats ont conduit l’OCDE à protéger les bases imposables des Etats par son projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Ce plan a pour but de taxer les profits à l’endroit même où ceux-ci sont générés et où a lieu la création de valeur.
L’instrument multilatéral (MLI – Multilateral instrument), objet de l’action 15 du BEPS, a été développé pour introduire de façon rapide et uniforme plusieurs actions du BEPS dans un grand nombre de CDPI. Il serait donc erroné de croire qu’aujourd’hui il suffit de se référer seulement aux CDPI.
La complexité des lois fiscales nationales et la grande diversité de CDPI peut conduire des contribuables à subir une double imposition, et la question se pose de savoir ce que le contribuable peut entreprendre. De nombreuses CDPI prévoient une procédure amiable (MAP – Mutual Agreement Procedure). Le MAP vise à offrir un remède au contribuable qui estime que les actions de l’un ou des deux Etats Contractants entraînent ou entraîneront pour lui un résultat non conforme aux provisions de la Convention, en lui offrant la possibilité de soumettre son cas aux autorités compétentes de l’un ou l’autre Etat Contractant.
Le MAP, tel que prévu dans la majorité des CDPI, est considéré comme non satisfaisant car de nombreux contribuables ne parviennent pas à y accéder, les délais de résolution sont trop longs et une solution n’est pas toujours trouvée. Les Etats doivent en effet s’efforcer de trouver une solution, mais ne sont pas contraints de parvenir à un accord.
Consciente de cette situation, l’OCDE a prévu l’action 14 du BEPS relative au MAP , dont certaines recommandations ont été intégrées au MLI. L’Union Européenne a émis dès 1990 une Convention d’Arbitrage et récemment en 2017 une directive concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux.
Ce travail se propose d’évaluer dans quelle mesure les conditions d’accès au MAP ont été améliorées.
Les concepts de base du MLI (§ 3), de la Convention d’arbitrage (§ 4) et de la directive de règlement des différends fiscaux (§ 5) et l’impact concret de l’action 14 du BEPS sur les CDPI (§ 6) seront tout d’abord présentés de manière volontairement succincte.
Ensuite, des développements seront faits pour un choix de thèmes reprenant successivement le droit national belge, les CDPI, la Convention d’arbitrage, la Directive de règlement des différends fiscaux et le MLI. Il ne s’agit pas d’être exhaustif mais de mettre en évidence les différences entre ces voies de recours et adresser des questions que peut se poser un contribuable. Il s’agit du champ d’application et des conditions de refus du MAP (§ 7.1), de l’arbitrage (§ 7.2), des délais de soumission du cas (§ 7.3), de l’autorité à laquelle le cas doit être soumis (§ 7.4), de la coexistence de recours auprès de tribunaux nationaux et du MAP simultanément (§ 7.5).
L’expression « non conforme aux dispositions de la présente Convention » doit être interprétée à la lumière des nouveaux dispositifs anti-abus introduits par le MLI. Une règle de ne pas limiter le pouvoir d’imposition des Etats pour leur propre résidents est introduite à l’article 1 de la Convention Modèle de l’OCDE et à l’article 11 du MLI. Les mesures visant à contrer l’utilisation abusive des conventions fiscales sont énumérées aux articles 6 à 15 du MLI. Deux mesures anti-abus générales (GAAR – General Anti Abuse Rule), sont proposées. Le test de l’un des objets principaux (PPT– Principal Purpose Test) a été choisi par la majorité des pays européens. Le § 8 s’intéressera à l’impact de ces mesures anti-abus sur les conditions d’accès au MAP.
Importance du MAP
L’OECD a publié des statistiques relatives au MAP . Les chiffres présentés ont été fournis par les Etats et n’ont pas été audités.
Indépendamment de la qualité des chiffres, on peut constater une forte augmentation des cas de MAP avec le temps, et une proportion plus élevée de cas de MAP dans des petits pays comme la Belgique qui ont une activité internationale importante par rapport à leur marché intérieur. De l’avis de nombreux auteurs, l’augmentation du nombre de cas de MAP ne se laisse expliquer par la croissance du commerce international, mais par l’amélioration des conditions cadres du MAP.
Le temps moyen de résolution s’améliorerait. Ceci ne signifie pas que tous les cas de double imposition soient résolus, loin s’en faut. Toujours selon les statistiques de l’OCDE, seulement 55% des cas au niveau global seraient vraiment résolus par élimination de la double imposition. 20% à 23% seraient résolus par mesure unilatérale d’un Etat, et on peut se demander si les contribuables se trouvant dans un tel cas n’auraient pas été mieux servis par les remèdes juridiques traditionnels. Plus d’un cas sur cinq ne serait donc pas résolu.
La Belgique aurait un inventaire de 738 cas à la fin de 2017 (83 cas liés aux prix de transfert et 655 liés aux autres cas), elle aurait pu traiter 537 cas pendant 2017. Ces chiffres ne sont pas parfaitement en ligne avec ceux de 2016. Comme nous le verrons plus loin, le nombre de cas n’est pas toujours évident, certains cas pouvant être soumis d’abord au MAP selon les CDPI, puis selon la Convention d’arbitrage, ou en partie selon ces deux voies de recours. Ces cas peuvent donc être comptés comme un seul cas ou comme deux cas. L’autorité compétente belge aurait une équipe de 11 personnes dédiées au MAP, dont 2 exclusivement pour les problèmes liés aux prix de transfert. Le temps moyen de résolution des cas est de 39.67 mois pour les cas liés aux prix de transfert et de 11.61 mois dans les autres cas, à comparer à l’objectif de 24 mois.
1 Introduction |