Réduction du débit sanguin cérébral et déficit énergétique
La régulation du débit sanguin cérébral (DSC) est essentielle au maintien de l’homéostasie. Une diminution des fonctions cérébrovasculaires et un découplage entre le DSC et le métabolisme du cerveau ont été rapportés chez les patients atteints de la MA (de la Torre 2004, Zlokovic 2008a). En effet, des études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et par tomographie par émission de positrons (TEP) ont observé une diminution significative du DSC au repos ainsi qu’une hypoperfusion cérébrale chez les patients atteints de la MA (Costa et al. 1988, Montaldi et al. 1990, Johnson et al. 2006). De plus, une étude d’IRM fonctionnelle utilisant le signal du blood-oxygen-level-dependent (BOLD) comme mesure a rapporté un délai de la réponse du DSC chez des patients souffrant d’un trouble cognitif léger (Rombouts et al. 2005). Selon cette étude, ce délai serait davantage prononcé chez les patients atteints de la MA (Rombouts et al. 2005). Ces résultats suggèrent que la diminution du DSC apparaîtrait dans les stages précoces de la MA.
La diminution du DSC serait aussi reliée à une importante altération du métabolisme du glucose cérébral (Hoyer et al. 1991, Fukuyama et al. 1994, Piert et al. 1996, Winkler et al. 2011, Ding et al. 2013). Des études d’imagerie par TEP ont démontré une diminution du métabolisme du glucose dans plusieurs régions du cerveau telles que le cortex et l’hippocampe chez des patients souffrant d’un déficit cognitif léger bien avant l’apparition de la MA (Jagust et al. 1991, Piert et al. 1996, Minoshima et al. 1997, Hunt et al. 2007). Suite à l’apparition des déficits cognitifs, plusieurs études ont démontré une corrélation entre le déficit en glucose et la sévérité des symptômes cognitifs de la MA (Mosconi 2005, Cerami et al. 2015). De plus, des études ont aussi rapporté une diminution des niveaux de GLUT-1 sur les CECCs dans l’hippocampe et le cortex cérébral des patients atteints de la MA (Kalaria et al. 1989, Horwood et al. 1994). Une étude effectuée chez la souris 3xTg-AD a mis en évidence une association entre la réduction du passage du glucose au cerveau et les niveaux de GLUT-1 sur les CECCs chez les souris transgéniques en comparaison avec les animaux témoins (Do et al. 2014). Ces résultats suggèrent donc que l’hypométabolisme cérébral précéderait la neurodégénérescence ainsi que l’atrophie cérébrale.
Changements morphologiques de la vascularisation cérébrale
On observe plusieurs changements morphologiques de la vascularisation cérébrale chez les patients atteints de la MA (Vinters et al. 1994). Une diminution de la densité de la microvascularisation cérébrale en plus d’une atrophie des capillaires et des artérioles a été rapportée (Bailey et al. 2004). Au niveau de l’endothélium, on observe une augmentation de la pinocytose et une diminution de la densité des mitochondries. Des études ont aussi rapporté une diminution des marqueurs des CECCs CD34 et CD31 suggérant une dégénération de l’endothélium (Kalaria et al. 1995a). Par ailleurs, une étude aurait associé une faible expression du gène MEOX2 dans les CECCs à certains phénotypes endothéliaux pathologiques observés dans la MA comme la diminution de la clairance d’Aß et l’atrophie vasculaire (Wu et al. 2005b). De plus, on retrouve chez plus de 80% des cas de la MA des dépôts vasculaires d’Aß. Cette pathologie, appelée angiopathie amyloïde cérébrale (AAC), peut toucher tous les types de vaisseaux présents dans le cerveau (Jellinger 2010). Les vaisseaux affectés par cette pathologie montrent fréquemment des signes d’atrophies et on rapporte chez 30% des cas des microhémorragies cérébrales (Cordonnier 2011, Viswanathan et al. 2011).
Plusieurs études ont aussi rapporté une augmentation des teneurs en collagène IV, protéoglycans et lamine causant un épaississement de la LB (Kalaria et al. 1995b, Verbeek et al. 1999, Berzin et al. 2000, Farkas et al. 2001, Bailey et al. 2004). Cet épaississement de la LB a aussi été rapporté chez la souris 3xTg-AD entraînant une diminution du volume vasculaire cérébral (Bourasset et al. 2009). De plus, des études post mortem ont aussi identifié la présence de la métalloprotéinase MMP-9 dans les cerveaux des patients Alzheimer (Asahina et al. 2001). L’activation de MMP-9 peut ainsi entraîner des dommages au sein de la BHE et potentiellement mener à la formation de microhémorragies cérébrales (Fukuda et al. 2004, Yang et al. 2007, Rosenberg 2009).
La sclérose en plaques
La SP est une maladie neuro-immune, progressive, caractérisée par des lésions de la gaine de myéline engendrant chez les individus souffrant de cette maladie des troubles variés (visions, motricité, sensibilité, fatigue, etc.) (Noseworthy et al. 2000, Sospedra et al. 2005, Pinheiro et al. 2016). On retrouve au niveau de ces lésions cérébrales, une infiltration anormale de cellules immunitaires, stimulant ainsi une réponse auto-immune (Lassmann et al. 1983, Engelhardt et al. 1997). Dans la SP, une altération de la BHE pourrait jouer un rôle important dans l’apparition et dans la progression de la maladie (Fabis et al. 2007, Morgan et al. 2007, Weiss et al. 2009b). Plusieurs études menées dans un modèle murin de la SP ont d’ailleurs démontré une corrélation entre la sévérité des symptômes et le degré de perturbation de l’intégrité de la BHE (Kirk et al. 2003, Minagar et al. 2003).
Bien qu’il soit difficile de déterminer si l’altération de la BHE est à l’origine de l’infiltration massive des cellules immunitaires ou l’inverse, il est clair que les fonctions de la BHE sont perturbées durant la formation des lésions (Larochelle et al. 2011, Daneman et al. 2015). En effet, on observe au niveau de ces lésions dites actives une altération de l’expression de certaines protéines des jonctions serrées, causant ainsi une augmentation de la perméabilité de la BHE (Morgan et al. 2007, Alvarez et al. 2011a). En plus d’une augmentation de la perméabilité qui facilite l’infiltration des cellules immunitaires circulantes, on observe aussi une augmentation de l’expression de nombreuses molécules d’adhésions leucocytaires comme I-CAM, V-CAM et E-sélectine dans les cerveaux de patients souffrant de la SP (Sobel et al. 1990, Bö et al. 1996).
Défi pour les sciences pharmaceutiques
Bien que de nombreuses cibles thérapeutiques aient été identifiées autant au niveau cérébral qu’endothélial, la BHE est l’obstacle principal ralentissant considérablement le développement de médicaments pour traiter les pathologies du SNC (Alam et al. 2010, Patel et al. 2013). Malgré le fait qu’il existe des traitements disponibles pour traiter certaines pathologies neurologiques (dépression, schizophrénie, épilepsie), très peu, voire aucune maladie neurodégénérative ne sont pour l’instant traitée convenablement par les médicaments actuellement sur le marché (Pardridge 2007c). Présentement, on estime qu’environ 98% des petites molécules thérapeutiques ne peuvent traverser la BHE (Pardridge 2005, Pardridge 2007a, Zlokovic 2008b). Pour les produits biopharmaceutiques, le problème est particulièrement grave. En effet, les maladies périphériques bénéficient d’une multitude de médicaments à base d’anticorps monoclonaux ou de protéines recombinantes, tandis que pratiquement aucun de ces produits n’est disponible sur le marché pour traiter les maladies du SNC, car ils ne traversent pas la BHE (Pardridge 2005, Pardridge 2007a). L’exception étant le médicament Aducanumab dans la MA (Ferrero et al. 2016, Sevigny et al. 2016). De plus, très peu de maladies du SNC répondent bien aux traitements actuels basés sur l’utilisation de petites molécules (Figure 8). Le problème que représente la BHE dans le développement de nouveaux médicaments est tel que plusieurs équipes de recherche se consacrent maintenant au développement de nouvelles stratégies pour franchir la BHE. Néanmoins, compte tenu de l’étroite relation qui existe entre les composantes de la BHE, une meilleure connaissance de la BHE et des mécanismes de ciblage thérapeutique ouvre également la porte à de nouvelles possibilités pour améliorer la santé cérébrale.
Les défis de l’industrie pharmaceutique pour le développement de médicaments pour les maladies du SNC:
La majorité des maladies du SNC ne sont toujours pas traitée efficacement par les médicaments sur le marché
Une revue de la base de données du «Comprehensive Medicinal Chemistry» démontre que sur plus de 7000 médicaments de petit poids moléculaire seulement 5% sont efficaces pour traiter le SNC et ces médicaments ciblent principalement quatre maladies: la dépression, la schizophrénie, la douleur chronique et l’épilepsie. Il existe très peu de molécules thérapeutiques pour la majorité des maladies du SNC à l’exeption de l’utilisation de la levodopa dans la maladie de Parkinson et des cytokines dans la sclérose en plaque
Figure 8: Les défis de l’industrie pharmaceutique pour le développement de médicaments pour les maladies du système nerveux central.
L’approche par chimie médicinale
Il est connu que les petites molécules hautement lipophiles diffusent aisément à travers les membranes des CECCS du sang vers le cerveau. Une approche par chimie médicinale permet d’augmenter la pénétration des médicaments au cerveau en augmentant la lipophilicité des molécules hydrophiles en bloquant les groupements capables de faire des ponts hydrogènes, tout en ne modifiant pas la liaison au site moléculaire ciblé (Abbott et al. 1996, Pardridge 2007b). Malgré la grande simplicité rationnelle derrière cette technique, à ce jour cette approche peine toujours à augmenter considérablement la biodisponibilité des molécules thérapeutiques au cerveau. En effet, augmenter le caractère lipophile d’une molécule favorise sa pénétration à travers la barrière endothéliale de la BHE, mais augmente aussi son taux de pénétration à travers toutes les membranes biologiques de l’organisme, diluant ainsi le médicament à travers le corps entier (Pardridge 1998. Il a été estimé par Pardridge qu’une hausse de la lipophilicité pouvait réduire si rapidement les concentrations circulantes qu’ultimement la biodisponibilité cérébrale n’était pas augmentée {Pardridge, 2007 #531, Gabathuler 2010, Lu et al. 2014, Crawford et al. 2016). De plus, un autre facteur influençant la pénétration des molécules au cerveau est le poids moléculaire. Inévitablement, l’ajout de groupement lipophile va augmenter considérablement le poids moléculaire du médicament et donc ainsi limiter sa capacité à franchir la BHE (Pardridge 2007a).
Approches invasives
Il est possible de contourner la BHE pour acheminer les médicaments au cerveau avec des stratégies qui sont qualifiées comme étant invasives. Ces approches sont dites invasives, car elles nécessitent une intervention chirurgicale ou une perturbation de la BHE. Certaines de ces approches ont montré une bonne efficacité en études cliniques, mais il est important de noter que ces approches ne sont pas sans risque et sans inconvénient (Fortin et al. 1999, Doolittle et al. 2000, Bellavance et al. 2008).
Il est possible de contourner la BHE par des approches chirurgicales (injection transcrânienne, cérébroventriculaire) (Pardridge 2007b) ou en perturbant de manière temporaire l’intégrité de la BHE (choc osmotique, bradykinine, ultrasons) (Bellavance et al. 2008, Timbie et al. 2015, Van Tellingen et al. 2015). Pour toutes ces techniques, l’intervention doit être effectuée par un spécialiste et est difficilement envisageable dans le cadre du traitement chronique d’une maladie (Miller 2002). Un des problèmes majeurs de l’approche chirurgicale est le faible taux de diffusion des composés dans le parenchyme cérébral suite à l’injection (Krewson et al. 1995, Fung et al. 1996, Gaillard et al. 2005b). On estime que la concentration d’une molécule injectée directement dans le cerveau va décroître de 90% sur seulement 500 µm (Dykstra et al. 1993, Mak et al. 1995, Fung et al. 1996, Thorne et al. 2001, Thorne et al. 2006, Wolak et al. 2015). Tandis que pour l’augmentation de la perméabilité de la BHE, la principale préoccupation est le potentiel neurotoxique de l’approche. En effet, l’ouverture de la BHE permet grandement de favoriser la pénétration au cerveau d’un médicament, mais est non sélective et permet aussi l’entrée de substances potentiellement neurotoxiques pouvant causer des changements neuropathologiques chroniques (Salahuddin et al. 1988, Nadal et al. 1995, Miller 2002).
Ciblage thérapeutique
Les médicaments présentement offerts sur le marché pour soigner les maladies neurodégénératives sont malheureusement souvent très peu efficaces et aucun n’est curatif (Pardridge 2001). De plus, les méthodes pharmacologiques ou invasives pour augmenter la pénétration au cerveau sont soit inefficaces ou inappropriées dans le cadre d’un traitement chronique. Par contre, la vascularisation cérébrale possède un grand nombre de transporteurs spécifiques et il est possible de cibler de manière non invasive ces transporteurs avec un ligand (Gaillard et al. 2005b, Pardridge 2005, Georgieva et al. 2014, Lajoie et al. 2015, Pardridge 2015b).
Chez l’humain, on estime que la longueur totale de la vascularisation cérébrale à près de 650 km (Pardridge 2005, Zlokovic 2008b). Avec une aussi grande surface de contact entre le sang et le cerveau, on estime que pratiquement chaque neurone est perfusé par son propre capillaire (Pardridge 2005, Zlokovic 2005, Zlokovic 2008b). Cibler directement les CECCs permettrait donc de faire diffuser un composé thérapeutique à travers tout le cerveau sans avoir à perturber l’intégrité de la BHE (Pardridge 2002, Gaillard et al. 2005b).
Une stratégie employée pour le ciblage thérapeutique vise à cibler directement un système de TMR présent en grande quantité sur les CECCs (Gaillard et al. 2005b, Pardridge 2006). Pour se faire, on utilise une molécule ciblant spécifiquement un récepteur conjugué à un composé thérapeutique (Pardridge 2001, Pardridge 2006, Neuwelt et al. 2008). Généralement, les molécules de ciblage ou vecteurs typiquement utilisés sont soit les différents ligands endogènes des récepteurs ciblés, des peptides ou anticorps monoclonaux conçus pour cibler et être internalisés par TMR (Pardridge et al. 1991, Pardridge 2012, Lajoie et al. 2015).
L’utilisation de ligands endogènes pour le ciblage thérapeutique est problématique, car leur concentration plasmatique est souvent très élevée et demande donc l’administration d’une quantité exagérée de vecteurs pour déplacer le ligand naturel (Gaillard et al. 2005b, Jones et al. 2007, Pardridge 2012). De plus, spécifiquement dans le cadre du ciblage du récepteur de l’insuline, l’utilisation de l’insuline comme vecteur peut causer de l’hypoglycémie et donc engendrer de graves conséquences pour le patient (Bickel et al. 2001).
Anticorps monoclonaux
Plusieurs peptides et anticorps monoclonaux (AcM) ciblant des transporteurs situés sur les CECCs ont été développés et utilisés pour le ciblage thérapeutique cérébral (Georgieva et al. 2014). Ces vecteurs protéiques se lient habituellement à des épitopes différents de ceux ciblés par les ligands naturels afin de limiter la compétition pour le site de liaison (Gaillard et al. 2005b, Pardridge 2007b). De plus, les vecteurs offrent la possibilité de cibler une région du domaine extracellulaire du récepteur pouvant déclencher l’internalisation de celui-ci (Pardridge 2007b). Les AcMs sont très souvent utilisés sous leur forme «complète», mais certains fragments de l’anticorps (Fab, F(ab’)2, etc.) peuvent aussi être employés comme vecteurs. La structure de l’AcM est représentée dans la Figure 9.