Implications pour l’analyse de la régulation souple intermédiée
Nous avons noté au premier chapitre qu’en dépit du développement des formes souples et intermédiées de gouvernance de la régulation (K. W. Abbott et al., 2015) les effets concrets de ces dispositifs de régulation, notamment sur les organisations régulées, demeuraient largement méconnus. Notre examen de ces effets dans le cadre du Plan triennal 2015-2017 du ministère de la Santé indique qu’une des raisons de cette méconnaissance est d’ordre méthodologique. En effet, les méthodes communément utilisées en évaluation des politiques publiques (Desplatz et Ferracci, 2016) ne sont pas conçues pour traiter sur une échelle correspondant au périmètre d’application de ces politiques des relations causales aussi complexes (Misangyi et al., 2017) que celles impliquées par la régulation souple intermédiée. Notre expérimentation de l’analyse configurationnelle comparative (Rihoux et Ragin, 2009) pour rendre compte de ces relations dans le cas de la régulation du virage ambulatoire en France nous amène à proposer une démarche évaluative pouvant constituer une des réponses envisageables à cet enjeu méthodologique. En outre, le cas du virage ambulatoire que nous avons étudié souligne l’importance de ne pas borner l’analyse des effets des dispositifs de régulation souple intermédiée à leur seule efficacité. Cet exemple invite au contraire à s’intéresser à l’utilité de ces dispositifs pour les différentes parties prenantes de la régulation (SGMAP, 2015) et notamment à interroger la pertinence des cadres d’organisation promus par ces dispositifs pour les objectifs prioritairement visés par les régulateurs. Les enseignements que nous avons tirés de l’emploi de notre démarche évaluative mettent en évidence les apports mais aussi les limites de cette réponse méthodologique pour la compréhension de l’efficacité et de l’utilité des dispositifs de régulation souple intermédiée.
Une seconde explication possible du manque de savoirs disponibles sur les effets de tels dispositifs peut résider dans le caractère relativement nouveau de la recherche sur les intermédiaires de régulation. Levi-Faur et Starobin (2014) considéraient en 2014 que l’intermédiation représentait l’une des frontières de la connaissance académique sur la régulation. Depuis, les contributions au modèle RIT ont fourni une première base pour cette connaissance (K. W. Abbott et al., 2017a). Notre travail contribue à l’enrichissement de cette base en dévoilant trois types d’effets de l’intermédiation qui peuvent venir compléter ce modèle : 1. la capacitation contingente ; 2. la conjonction des véridictions ; et 3. l’apprentissage alèthurique. La prise en compte de ces effets permet d’identifier des conditions d’effectivité pour certaines des capacités assurées par les intermédiaires dans ce modèle, et dévoile une fonction d’apprentissage distincte des autres fonctions de l’intermédiation.
Proposition d’une démarche évaluative pour la régulation souple intermédiée
Les méthodes dites « a-théoriques », c’est-à-dire ne reposant pas sur une théorisation préalable du fonctionnement de l’action publique, constituent les outils de mesure habituels de l’effet des politiques publiques (Desplatz et Ferracci, 2016, p. 7). Au sein de ces méthodes, les devis expérimentaux, consistant à affecter aléatoirement des individus – ou des organisations – entre un groupe de traitement et un groupe de contrôle, sont réputés préférables, dans la mesure où ils tiennent compte des caractéristiques observables et inobservables de ces individus (Desplatz et Ferracci, 2016). Notre tentative d’application de ces méthodes a-théoriques pour estimer l’effet des dispositifs de régulation souple intermédiée du Plan triennal illustre tout d’abord l’impossibilité pratique d’utiliser dans certains cas un devis expérimental pour l’évaluation de ce type de dispositifs. Cette impossibilité a tenu au fait que l’inclusion dans le groupe de bénéficiaires de ces dispositifs n’a pas été décidée par le chercheur mais par les régulateurs secondaires, selon des critères qui pouvaient varier d’une région à l’autre. Le recours à un devis quasi-expérimental considérant la participation à la politique publique comme une expérimentation naturelle, c’est-à-dire comme le produit d’un événement exogène indépendant du traitement, n’a pas non plus été évident dans notre cas, car certains régulateurs secondaires avaient pu sélectionner les établissements participants sur la base des variables de traitement que représentaient les indicateurs du virage ambulatoire. Ce critère de sélection était même encouragé par les régulateurs primaires du Plan triennal, qui souhaitaient que les dispositifs d’accompagnement mis en œuvre par l’ANAP touchent en priorité les établissements les plus en retard dans le virage ambulatoire, en chirurgie notamment. Le caractère exogène de l’inclusion dans le groupe d’établissements ayant eu accès à ces dispositifs n’était donc pas certain. En l’occurrence, la comparaison des valeurs des indicateurs du virage ambulatoire dans le groupe de traitement et dans le reste de la population observable à la veille du commencement du Plan triennal – soit au 31 décembre 2014 – a révélé des biais de sélection en chirurgie comme en médecine. Dès lors, la seule méthode de comparaison qui pouvait être valide dans cette situation était l’identification, par appariement, d’un groupe de contrôle offrant des caractéristiques initiales observables .